Sculptrice, artiste, amante, muse… pourquoi Camille Claudel a-t-elle fini sa vie dans un asile dans des circonstances inimaginables?
La vie hors du commun de la sculptrice Camille Claudel, née le 8 décembre 1864, s’est terminée dans des conditions difficiles, en pleine Seconde Guerre Mondiale. Après des années passées dans un asile, c’est à l’âge de 78 ans, le 19 octobre 1943, que la sœur de Paul Claudel est morte. Mais que s’est-il vraiment passé au moment de sa mort, et cette dernière aurait-elle pu être évitée ?
Des relations familiales compliquées
Tout a commencé alors que la jeune Camille Claudel énonce son envie de créer et d’exprimer son âme artistique. Une envie que son père comprend et soutien mais que sa mère, au contraire, essaie de décourager. Tout au long de la vie de sa fille aînée, la mère de Camille Claudel ne sera d’ailleurs que source de reproches et tourments. Car après avoir exprimé son aversion envers la sculpture malgré la passion de sa fille, Louise Claudel est ensuite profondément choquée lorsqu’elle apprend la relation que Camille entretient avec Auguste Rodin. Il faut dire que de nombreuses années séparent l’élève du maître, par ailleurs marié avec une femme qu’il choisira au détriment de son amante.
Cette incompréhension que la mère de Camille Claudel ressent à son égard aura fait partie des éléments clés qui ont mené à sa mort, mais ce n’est pas le seul. Après plusieurs années empreintes de créations applaudies et saluées par les critiques sous l’œil bienveillant de son maître et amant Rodin, Camille Claudel arrive à une période beaucoup plus difficile qui a notamment commencé par sa rupture avec Rodin. Côté artistique, la jeune femme essaie de se distancer de son maître de toujours au travers, notamment, d’œuvres d’art avec des matériaux différents – comme ce fut le cas de La Vague ou encore de Les Causeuses. Côté émotionnel, la transition est plus difficile et selon plusieurs témoignages, Camille Claudel commence à souffrir de troubles mentaux qui vont précipiter l’étape suivante – et finale – de sa vie.
De l’inspiration à l’isolement
L’artiste, possiblement en dépression après sa rupture, vit recluse, ne voit presque personne et sort très rarement de chez elle. “Ma maison est transformée en forteresse : des chaînes, des mâchicoulis, des pièges à loup derrière toutes les portes témoignent du peu de confiance que j’ai dans l’humanité” écrit-elle elle-même, tandis que son frère, dans son journal, décrit : “A Paris, Camille folle. Le papier des murs arraché à longs lambeaux, un seul fauteuil cassé et déchiré, horrible saleté. Elle, énorme et la figure souillée, parlant incessamment d’une voix monotone et métallique“. Persuadée d’être épiée, espionnée, sabotée, Camille Claudel souffre de troubles paranoïaques qui seront diagnostiqués en 1913, un an après qu’elle ait détruit “tous ses modèles en plâtre, et brulé tout ce qu’elle pouvait pour se venger de ses ennemis”.
Si ses problèmes de santé mentale sont bien là, on ne peut pas dire qu’elle ait pour autant reçu du soutien de sa famille pour mener vers une éventuelle guérison ou amélioration de son état. Alors qu’elle a 48 ans, en mars 1913, le père de Camille Claudel meurt. Bien qu’il ait été son allié de toujours et celui qui l’a soutenue quand elle a exprimé son envie de faire de la sculpture, personne de sa famille ne la prévient de la triste nouvelle, de sorte qu’elle ne peut même pas assister à l’inhumation. Juste après la mort de leur père, Paul Claudel demande à un médecin un certificat pour faire interner sa sœur, demande soutenue par sa mère de 73 ans. Femme célibataire, artiste et sans enfant, Camille Claudel est en effet l’incarnation d’une liberté trop en avance sur son temps, et son attitude d’ermite commence à trop entacher la réputation de sa famille.
De l’asile à la tombe
Plusieurs docteurs examinent Camille Claudel et finissent par lui diagnostiquer une psychose paranoïaque avec délire de persécution, qui pourrait notamment être due à la consommation d’alcool et la malnutrition. Le docteur Michaux écrit quant à lui que l’artiste est “atteinte de troubles intellectuels très sérieux ; qu’elle porte des habits misérables ; qu’elle est absolument sale, ne se lavant certainement jamais… ; qu’elle passe sa vie complètement renfermée dans son logement et privé d’air (…) qu’elle figure être persécutée, que son état dangereux pour elle à cause du manque de soins et même parfois de nourriture est également dangereux pour ses voisins. Et qu’il serait nécessaire de l’internet dans une maison de santé”.
Le 10 mars 1913, Camille Claudel est internée à la demande de sa famille, qui limite également ses autorisations de visites et ses correspondances. La maladie d’abord, puis le manque de soutien de sa famille, ont été déterminants dans la mort de Camille Claudel, qui avait par ailleurs conscience de son état et qui, après son internement qui a commencé par un véritable kidnapping chez elle, a demandé à plusieurs reprises de façon parfaitement articulée à être libérée. Aujourd’hui encore, la légitimité de son internement est toujours remise en question. Chez ses admirateurs aussi l’incompréhension et la colère sont au rendez-vous, et plusieurs lancent dans la presse une campagne de libération contre la séquestration légale dont Camille Claudel est la victime. La Première Guerre mondiale va cependant la placer loin des préoccupations directes des Français, et Camille Claudel sera déplacée de l’asile de la Ville-Evrard en région parisienne à celui de Montdevergues, dans le Vaucluse, où elle passera les 30 prochaines années jusqu’à sa mort.
Pendant toutes ses années d’internement, son frère Paul Claudel est venu la voir 12 fois, sa mère pas une seule. Cette dernière continue même de s’opposer à sa libération, tout en répondant à ses lettres qu’elle n’écrit “qu’un ramassis de calomnies, toutes plus odieuses les unes que les autres”. La Seconde Guerre mondiale finira d’achever une femme déjà délaissée par les siens depuis un moment, et que la France préférera ignorer. Alors occupée par l’Allemagne, la France subit d’importantes restrictions et la nourriture manque partout. Parmi les endroits touchés, les hôpitaux psychiatriques qui ont recensé des dizaines de milliers de victimes de la malnutrition en quelques années, dont Camille Claudel, morte le 19 octobre 1943 à 78 ans.
Auteur d’un livre sur le sort des asiles pendant la Seconde Guerre mondiale sous le régime de Vichy, André Castelli a souligné qu’il s’agissait surtout là d’une “volonté du régime de Vichy de se débarrasser en douce de ses malades mentaux”. Écrivant à Paul Claudel en 1942, le directeur de l’asile de Montdevergues avait ainsi expliqué : “Mes fous meurent littéralement de faim : 800 sur 2000”. Au-delà d’une maladie qui aurait pu être traitée et d’une famille qui l’a abandonnée à son sort, Camille Claudel est donc aussi morte, comme des milliers d’autres patients, dans l’indifférence la plus totale d’un régime qui, pendant quelques années, a voulu se rapprocher de l’idéologie eugénique de l’occupant nazi.