L’affaire n’avait pas fait grand bruit à l’époque, en 2004, mais Philippe Jaenada, écrivain à succès connu pour décortiquer d’anciens faits divers, est bien décidé à se démener pour offrir une résonance particulière à l’histoire d’Alain Laprie. A 66 ans, celui-ci a été condamné à quinze ans de prison, à tort selon l’auteur, pour le meurtre de sa tante, Marie Cescon, 88 ans. Elle est retrouvée sans vie, une plaie à la tête, dans sa maison incendiée en mars 2004. Alain Laprie est enfermé après une décision de la cour d’Appel d’Angoulême de 2020, alors qu’il avait été acquitté en première instance à Bordeaux, en 2018.Dans Sans preuve et sans aveu, qui vient d’être publié aux éditions Mialet-Barrault, Philippe Jaenada retrace une instruction de quatorze années qui se focalise sur le neveu de la victime. Il devient rapidement le suspect idéal au mépris de certains éléments factuels et sur la base du récit de l’oncle, frère de la victime, qui raconte aux enquêteurs que son neveu est venu soulager sa conscience auprès de lui.C’est un libraire que vous fréquentez pour la promotion de votre précédent livre qui vous présente lors d’un dîner un ami, Alain Laprie, qui a besoin d’aide. Qu’est-ce qui vous pousse à vous investir dans cette affaire ?Je parle avec cet homme, Alain Laprie, et il me paraît sympathique, sincère, désespéré, et sa femme aussi. Je ne me dis pas alors que je vais écrire un livre là-dessus, mais ils m’ont touché. Après qu’il a été incarcéré, je commence à consulter le dossier d’instruction, simplement parce que ça m’intéresse, on est alors à l’automne 2021. Plus j’avance dans le dossier, plus je me dis que c’est impossible d’envoyer un type en prison avec un dossier aussi vide et avec autant d’erreurs, et je dis erreurs pour être gentil. On y lit vraiment des choses curieuses.Au départ, je voulais seulement écrire dans les médias pour alerter l’opinion : « Attention il y a un type innocent en prison et tout le monde s’en fout. » Mais, je me rends compte que le seul moyen de l’aider c’est d’écrire un livre rapidement. Si je ne le fais pas, je ne pourrai plus me regarder dans une glace. Après plusieurs mois à étudier à fond le dossier, j’écris le livre en un mois. Il n’a pas d’ambition littéraire mais vise l’efficacité.Dès le départ, vous estimez qu’il y a un désintérêt pour la scène de crime et que certains éléments matériels passent sous les radars des enquêteurs. Expliquez-nous.Les gendarmes se braquent de façon stupide sur Alain Laprie. Ce qui les fait tiquer c’est qu’il veut rentrer dans la maison (après l’incendie et la découverte du corps de Marie Cescon à l’intérieur). Selon eux, c’est pour prendre le testament qui le déshérite et en même temps, si c’est lui le coupable, il l’a déjà pris après avoir tué sa tante… C’est déjà absurde. Et, dans n’importe quelle mauvaise série à la télé, quand on trouve un mégot à 20 cm du corps de la victime avec un ADN qui n’est pas celui d’Alain Laprie, on ne s’arrête pas comme cela a été le cas. Il n’y a même pas eu de recherche dans le voisinage ou la famille.Lors de l’enquête, il n’y a pas non plus une seule empreinte ni une trace d’ADN relevées dans toute la maison. On en retrouve évidemment dans le sang de la victime mais aucune analyse n’a lieu sur la gazinière, les poignées de portes ou la boîte d’allumettes retrouvée ensanglantée dans la chambre où le feu a pris. On voit sur les photos que des objets ont été déplacés, les volets ouverts et fermés… Je crois très sincèrement que les enquêteurs se disent que c’est le neveu et qu’ils veulent prouver que c’est bien lui. Ils ne pensent à rien d’autre.Cela est en lien avec les problèmes de la justice : c’est beaucoup plus simple et surtout beaucoup moins cher d’éplucher mille pages de relevés bancaires d’Alain Laprie que de faire dix tests ADN dans son entourage.Le mobile d’Alain Laprie serait de récupérer l’héritage de sa tante, décrite comme très fortunée. Qu’en est-il ?On a parlé de 700.000 euros d’héritage mais la victime avait 80.000 euros en banque et des terrains (à Pompignac, en Gironde). Et ces derniers qui valent 700.000 euros aujourd’hui ne valaient pas autant en 2004, peut-être 200.000 euros. Alain Laprie avait, lui, 50.000 euros en banque, sa femme gagnait alors 4.000 euros par mois et il avait deux appartements à Bordeaux. Il n’y avait pas un fossé financier entre lui et sa tante au point qu’il se dise que c’est le jackpot de toucher cet héritage.Dans les aveux rapportés par l’oncle, le mobile est différent : Marie Cescon a traité sa mère (à Alain Laprie) de pute, de salope. Il s’est énervé et la tue de colère mais il est acquitté lors de ce premier procès. Au deuxième procès, on change le mobile pour dire qu’il en voulait à son héritage.L’enquête ne s’intéresse pas du tout à cet oncle qui rapporte les aveux supposés de son neveu, pièce maîtresse de l’accusation.Il n’y a aucune enquête sur lui. Les gendarmes demandent juste à ses enfants qui expliquent que c’est le meilleur des papas. Il est brouillé à mort avec sa sœur (la victime) depuis dix ans (il ne lui serre même pas la main à un enterrement) pour des raisons d’argent et il hérite de la fortune de sa sœur si Alain Laprie est condamné. …C’est flagrant, l’oncle a menti pour faire accuser son neveu et le problème, qu’Alain Laprie soit innocent ou pas, c’est que la seule bille des gendarmes c’est ce témoignage et ils ne l’ont pas vérifié. L’autopsie montre que la plaie vient du choc avec le mur, pas d’un coup de bâton (ce que rapporte l’oncle).La cause et la propagation de l’incendie qui ravage la maison de la victime, à Pompignac sont aussi au cœur de votre livre.La preuve indiscutable que ce n’est pas Alain Laprie, c’est le gaz. Les experts ont dit que le gaz s’était écoulé des brûleurs pendant 1h10 au maximum, même si la bouteille était pleine. Il a donc été ouvert au plus tôt à 21h50 et on est sûrs et certains, personne ne le remet en cause, qu’Alain Laprie était à Bordeaux à cette heure-là. L’accusation dit que la bonbonne extérieure de gaz était fermée. Tout le monde dit que Marie Cescon n’y touche jamais, qu’on venait lui installer et la changer quand il n’y avait plus de gaz. Un voisin qui est arrivé en premier sur les lieux, et qui dit trois fois qu’il a fermé le robinet de la bouteille de gaz qui était ouvert. Que dit l’instruction ? Non, c’était fermé. C’est une preuve matérielle que cela ne peut pas être Alain Laprie et elle a été balayée.Avec ce livre, qu’est-ce que vous attendez comme suite judiciaire possible ?Après un pourvoi en cassation, il n’a plus aucun recours. Le seul espoir c’est la révision du procès. S’il y a une révision, avec ce qu’il y a dans le dossier, ou plutôt ce qu’il n’y a pas, et mon livre, je mets mes deux bras à couper qu’Alain Laprie est acquitté. Le problème c’est qu’il y a eu, je crois, seulement neuf révisions depuis 1945. Pour qu’il y ait un procès, il faut un élément nouveau mais tout ce qui est dans le dossier est couvert par la procédure, et ne constitue donc pas un élément nouveau. Mais les scellés ont été conservés (des mégots, des boutons de la gazinière, la boîte d’allumettes etc.) donc tout n’est pas perdu. Si la révision est refusée, il resterait éventuellement la grâce.Je veux vraiment aider Alain Laprie car je me suis pris d’amitié pour lui et sa famille, mais c’est aussi symbolique pour dire que ce n’est pas un cas unique. On parle de lui mais pour 500 qui sont dans le même cas, qui n’ont aucun moyen de faire entendre leurs voix, qui ont été mal jugés ou condamnés trop hâtivement et qui sont tout seuls dans leur cellule.CultureGironde : Dans son dernier livre, Jaenada prend la défense d’un condamnéCultureQuais du Polar : Pour Philippe Jaenada, « le fait divers révèle les profondeurs de l’âme humaine »