C’est l’une des affaires les plus énigmatiques de ces dernières décennies. Dix ans après le quadruple meurtre de Chevaline, le mystère n’a pas été levé. Au plus fort de l’enquête, 90 gendarmes ont été mobilisés, explorant plus d’une cinquantaine de pistes en France et aux quatre coins du monde afin de débusquer l’identité du tueur ayant froidement abattu, le 5 septembre 2012, trois membres de la famille Al-Hilli ainsi que Sylvain Mollier qui profitait d’une journée ensoleillée pour effectuer une sortie à vélo.Des commissions rogatoires ont été délivrées en Irak, en Turquie, au Canada ou encore au Costa Rica afin de vérifier le moindre indice susceptible de faire avancer l’enquête. Les équipes sont même allées chercher en Nouvelle-Zélande le titulaire d’une carte bancaire utilisée le jour du drame à proximité de la zone de crime. Des centaines de témoins ont été auditionnées. Mais toutes les pistes méticuleusement suivies ont mené à un cul-de-sac. Le mobile n’a jamais été établi, non plus.Persuadée, au mois de février dernier, de n’être « plus très loin » de la vérité, la procureure d’Annecy, qui misait sur « des preuves scientifiques », s’est finalement retrouvée dans une impasse, comme ses prédécesseurs. Début août, Lise Bonnet a demandé à être dessaisie du dossier afin qu’il soit transféré au nouveau pôle judiciaire de Nanterre consacré aux « cold case » qui dispose de davantage de moyens et de temps. Pour l’heure, le juge d’instruction n’a pas encore statué sur ses réquisitions, indique-t-elle à 20 Minutes.A ce jour, le dossier de 95 tomes, qui comporte 8.000 pièces, soulève davantage de questions qu’il n’apporte de réponses. Le point sur les principales pistes étudiées jusque-là.Le mystérieux motard, la dernière piste relancéeLes enquêteurs ont mis deux ans à l’identifier. Celui qui était présenté comme le « mystérieux motard » et dont le portrait-robot avait été largement diffusé, a fait figure de témoin puis de suspect. William Brett Martin, cycliste qui a découvert la scène de crime et alerté les secours en premier, avait été formel en attestant l’avoir vu redescendre à petite allure « comme s’il allait lui parler ». Le timing a été corroboré par les agents de l’office national des forêts. Eux aussi l’ont aperçu en haut du parking où les quatre victimes ont été abattues. Ils lui ont demandé de rebrousser chemin, après lui avoir indiqué que la route était coupée.Que faisait donc ce chef d’entreprise à proximité de la zone de crime ? L’intéressé a répondu qu’il rentrait d’une sortie à deltaplane dans la région et qu’il avait emprunté des petites routes pour profiter du paysage avant de regagner son domicile dans la région lyonnaise. Puis, il n’a eu cesse de répéter qu’il n’avait rien vu, ni entendu, ce qui a laissé les gendarmes perplexes. « Il n’aurait jamais fait le lien entre les faits de Chevaline et son passage à proximité malgré le tapage médiatique », se sont-ils étonnés dans leur synthèse dévoilée par Le Parisien. Pourtant, aucune preuve ne permet de le relier au quadruple meurtre. Son passé, sa personnalité, son statut d’entrepreneur « honorablement connu et au-dessus de tout soupçon » ne collent pas avec le profil recherché, à savoir celui d’un tireur fou ou expérimenté.L’homme a toutefois été placé en garde à vue, une nouvelle fois, au mois de janvier. A l’issue, les gendarmes ont acquis la certitude qu’il n’était définitivement pas le suspect qu’ils traquaient depuis dix ans. Désormais, plus aucune charge ne pèse contre lui.Le règlement familial, la piste enterréeTrès rapidement, les enquêteurs ont découvert que Saad al-Hilli entretenait une relation conflictuelle avec son frère vivant lui aussi en Angleterre. Les deux hommes étaient fâchés au point de ne plus se parler, si ce n’est pas l’intermédiaire de leur avocat. A l’origine de leur brouille, deux projets de testaments contradictoires concernant le patrimoine de leur père, estimé à 5 millions d’euros. L’un établissait un partage équitable, l’autre déshéritait totalement Saad al-Hilli qui a rapidement soupçonné son frère d’en être l’auteur. Décédé en 2011, soit un an avant le drame de Chevaline, le patriarche n’a pas eu le temps de régler sa succession.Les gendarmes acquièrent alors la conviction que le cadet des frères al-Hilli aurait pu passer un contrat pour supprimer son aîné afin de devenir l’unique héritier mais ils ne disposent d’aucune preuve permettant d’étayer cette hypothèse. Le suspect sera interpellé à deux reprises, en 2013 puis en 2014 avant d’être relâché. L’homme, qui a toujours clamé son innocence, est aujourd’hui particulièrement remonté contre les enquêteurs français.Par ailleurs, les gendarmes ont également cherché à savoir si le patrimoine du père Al-Hilli, qui avait fui le régime de Saddam Hussein dans les années 70, n’avait pas suscité des convoitises en Irak, où se trouvait une partie des biens. Qui aurait pu avoir intérêt à faire disparaître les héritiers ? Une piste qui n’a pas abouti même si un Irakien de 35 ans a été placé en garde à vue en 2014 après avoir été signalé par un de ses codétenus pour de présumées confidences sur l’exécution d’un « contrat visant à abattre des Irakiens » en France. L’homme a finalement été innocenté.Le passé d’Iqbal, un temps fouilléLa vie antérieure d’Iqbal, épouse de Saad, a elle aussi été méticuleusement fouillée. Les enquêteurs se sont demandé si elle n’était finalement pas la principale cible du tireur après avoir découvert des « choses surprenantes ». Avant de rencontrer Saad, Iqbal vivait aux Etats-Unis, où elle avait été mariée deux ans à un chirurgien-dentiste de 13 ans son aîné, ce qui lui avait permis de bénéficier d’une green card. Ses proches ignoraient pourtant tout de cela. Encore plus intrigant, son ancien époux est décédé le 5 septembre 2012, le même jour que la tuerie de Chevaline. Officiellement d’une crise cardiaque au volant de sa voiture. Une étrange coïncidence qui va alerter les gendarmes. Mais là encore, ils ne trouveront rien permettant d’explorer davantage cette piste.Sur la piste d’un tueur localReste l’hypothèse d’un tireur expérimenté sur laquelle les enquêteurs ont longtemps travaillé. Selon les experts, la fusillade aurait duré au maximum 90 secondes. Vingt et une balles provenant de la même arme ont été retrouvées sur place. L’auteur aurait rechargé à trois reprises son pistolet dans un laps de temps relativement court. Ce qui traduit une certaine dextérité dans le maniement des armes et un sang-froid peu commun. L’arme en question, un pistolet automatique Luger P06, est une arme de collection. Les enquêteurs vont orienter leurs recherches dans les cercles de passionnés. S’ils suspecteront un ancien policier municipal de la région ainsi qu’un ancien militaire, ils finiront par échouer à trouver la moindre preuve permettant de les incriminer. Enfin, l’hypothèse d’un tueur fou, agissant de son propre chef, n’a jamais pu être corroborée à ce stade.Le dossier de la tuerie de Chevaline pourrait atterrir au pôle cold casesLa tuerie de Chevaline sera-t-elle élucidée ? Le point sur 9 ans d’enquête