Vingt femmes ont témoigné des violences subies de la part du praticien lors de leur accouchement, au sein de l’hôpital privé d’Antony. Une plainte a été déposée en novembre et une autre doit l’être prochainement.
Les douleurs au bas-ventre la prennent un jour d’été, l’an dernier. Sarah*, maman d’une petite fille, sent que quelque chose ne va pas: elle perd énormément de sang et est au bord du malaise. Prise en charge par le Samu, la jeune femme, âgée d’une trentaine d’années, se réveille le lendemain matin à l’hôpital privé d’Antony, dans les Hauts-de-Seine, où elle insiste pour voir un gynécologue.
De ce moment-là, Sarah se rappelle de tout. Des odeurs, du détail des couloirs de l’hôpital dans lesquels l’interne pousse son fauteuil roulant, cherchant d’un pas pressé les urgences gynécologiques et lui donnant des petites claques pour ne pas qu’elle s’évanouisse. Un an plus tard, le souvenir de la douleur, lui aussi, est encore vif. “Je me sentais partir”, confie-t-elle auprès de BFMTV.com.
Elle est finalement prise en charge par le Dr D., un professionnel désormais visé par une vingtaine de témoignages l’accusant de violences, selon le collectif Stop aux Violences Obstétricales et Gynécologiques (Stop VOG). “En arrivant, il ne me dit pas ‘bonjour'”, se souvient Sarah. Le diagnostic du médecin ne se fait pas attendre:
“Il me dit ‘Vous avez des règles douloureuses, comme toutes les femmes. Rentrez chez vous et prenez des antalgiques'”, assure-t-elle.
Car malgré le diagnostic, Sarah sent que quelque chose ne va pas. Elle insiste pour qu’il l’ausculte, ce qu’il finit par faire. “Il a inséré brusquement son spéculum, il y allait très fort. Il était violent dans ses gestes, il m’a fait très mal.” L’examen dure une trentaine de secondes, puis le Dr D. inscrit “RAS” – rien à signaler – sur son dossier, avant d’asséner, selon le récit Sarah: “Toutes les femmes ont mal pendant leurs règles.”
La jeune femme rentre chez elle. Si les antalgiques la soulagent, elle n’est toujours pas convaincue que sa douleur soit uniquement liée aux règles. Elle décide donc de se rendre à l’hôpital du Kremlin-Bicêtre.
“En dix minutes, une interne a vu que j’avais fait une grossesse extra-utérine et que je faisais une hémorragie interne. L’une de mes trompes s’était rompue.”
Rapidement, une opération est programmée, et Sarah en sort indemne. Mais une question la poursuit: comment les médecins de l’hôpital d’Antony, et particulièrement le Dr D. qui l’a examinée, ont-ils pu ne rien voir?
“L’établissement reconnaissait qu’il y avait eu une grave erreur, mais le Dr D. ne s’est jamais excusé”, déplore la patiente. Elle affirme que pour toute justification, on lui a dit que le médecin était très occupé le jour de sa prise en charge. “J’avais la sensation que tout le monde voulait le protéger.”
Face à cette réaction, Sarah dit s’être longtemps sentie seule, abandonnée par le système médical. Elle plonge dans la dépression, parvient à peine à s’occuper de sa fille, raconte-t-elle, des larmes dans la voix. Incapable de sortir de chez elle, elle cesse de travailler jusqu’à récemment: “J’avais l’impression que ma vie n’avait pas de valeur à ses yeux. Il m’a brisée.”
Mi-mai, l’histoire de Sarah trouve un écho sur internet. Elle qui n’a jamais parlé publiquement de ce qui lui était arrivé dit avoir l’impression de respirer à nouveau en lisant de nombreux témoignages similaires, diffusés sur les réseaux sociaux par le biais du collectif Stop VOG.
“Ces femmes dénoncent des actes médicaux à vifs, des gestes déplacés effectués sans consentement, au forceps, au mépris de la douleur et de la parole des victimes”, décrit Sonia Bisch, fondatrice et porte-parole du collectif, auprès de BFMTV.com.
À ce jour, le collectif recense 20 témoignages à l’encontre du gynécologue. “J’ai eu affaire à un gynécologue violent lors de mon accouchement”, raconte également Léa* à BFM Paris. “Il m’a enfoncé les forceps violemment sans me prévenir. J’ai juste eu le temps d’entendre le bruit du métal. Je me suis mise à hurler de douleur. Je n’ai jamais autant hurlé et souffert de ma vie.”
D’autres anciennes patientes évoquent des points de suture faits sans anesthésie, malgré les plaintes qu’elles expriment auprès du Dr D.
“Quelques jours plus tard, ce gynécologue se vantera auprès de mon mari de m’avoir fait le point du mari (un acte qui consiste à recoudre d’un point de suture supplémentaire le périnée, lorsque celui-ci a subi une épisiotomie pendant l’accouchement, afin d’augmenter le plaisir sexuel du mari, ndlr). J’ai souffert plusieurs années après pendant les rapports”, écrit l’une d’entre elles.
Une première plainte avait été déposée pour “viol et tortures” en novembre dernier. Sarah compte déposer elle aussi une plainte, indique l’avocate de ces plaignantes, Me My-Kim Yang-Paya, auprès de BFMTV.com.
D’après nos confrères du Parisien, le professionnel avait déjà été condamné, en 2016, à 8 mois de prison avec sursis pour avoir agressé sexuellement une femme de 34 ans. De son côté, l’hôpital a déclaré à BFM Paris que le Dr D. a été suspendu le 30 mai dernier.
“Nous adressons à toutes les mamans, qui ont témoigné de violences ressenties lors de leur accouchement, nos profonds regrets et nous restons à leur entière disposition pour échanger sur ces ressentis et faire tout ce qui sera possible pour améliorer les soins apportés”, a répondu l’établissement au Parisien.
Selon Sonia Bisch, cette situation particulière met en lumière une certaine omerta dans la profession au niveau des mauvaises pratiques gynécologiques. “Il faut de la formation, des campagnes d’information pour le public, et davantage d’évaluation des pratiques”, plaide-t-elle.
Cette notion du consentement lors d’examens revient d’autant plus dans le débat public que des plaintes déposées à l’encontre de la secrétaire d’État Chrysoula Zacharopoulou pour des violences gynécologiques ont récemment été rendues publiques – des accusations contestées par l’intéressée.
Dans la foulée, certaines associations de professionnels se sont exprimées en appelant à ne pas confondre examens et viols. “Il faudrait cesser de renvoyer la faute sur les femmes et décrier plutôt les mauvaises pratiques”, estime de son côté Sonia Bisch.
Contacté, le Dr D. n’a pas répondu à notre sollicitation.
* Le prénom a été modifié, à la demande de l’intéressée.