Les enquêteurs français s’intéressent de plus en plus aux commandes de viols en live-streaming passées par des pédocriminels français, dont le nombre de cas a augmenté ces trois dernières années.
En trois ans, le nombre de dossiers traités par la police concernant des commandes de vidéos pédocriminelles est passé de 6 à 27, et les autorités craignent que la hausse continue. Le concept est sordide: il s’agit de commander en ligne depuis la France une vidéo d’un viol en direct (live-streaming) réalisé sur un enfant à l’étranger. Le phénomène est connu depuis plusieurs années, mais les mois de Covid et de confinement semblent avoir accéléré cette pratique criminelle.
Il s’agit de la production, à la demande de pédophiles, de vidéos qui sont réalisées en différé ou en direct. Le pédocriminel français peut lui-même donner des indications des pratiques sexuelles qu’il souhaite regarder, voire des violences auxquelles il souhaite que l’enfant soit soumis. “Il devient donc réalisateur d’une vidéo de viol”, décrit un enquêteur à BFMTV.
“Le délinquant passe commande du type de mineurs et d’actes qu’il souhaite et reçoit, à date, soit un contenu filmé soit un lien de connexion qui lui permet de suivre les sévices en direct et même de pouvoir commander le type d’actes commis”, expliquait fin février au Figaro Laure Beccuau, procureure de Paris.
Les pédocriminels font ces commandes sordides sur le darkweb mais aussi sur des sites légaux. Les victimes vivent principalement dans des pays pauvres: on en retrouve surtout aux Philippines, mais aussi dans les pays d’Europe de l’Est comme en Roumanie, ou encore en Amérique du Sud.
À noter que le prix d’une vidéo de viol est estimé entre 30 et 70 euros. Il s’agit d’une somme assez importante dans les pays des victimes, mais dérisoire pour les pédocriminels français qui la déboursent.
Le phénomène est apparu en 2005/2006 et un premier dossier a été monté en France en 2011. Mais depuis trois ans, le nombre de cas augmente: 6 dossiers ont été traités par l’Office central de la répression contre les violences aux personnes (OCRVP) en 2020, 10 dossiers en 2021 et 27 dossiers depuis le début de l’année 2022.
“C’est un phénomène effectivement qui à nos yeux est en hausse, notamment lié à la crise Covid qui a obligé les consommateurs et les pédocriminels à changer leurs habitudes”, explique sur BFMTV Frédéric Courtot, chef adjoint de l’OCRVP. Le tourisme sexuel était impossible pendant cette période et “effectivement, ils ont dû se tourner vers la technologie”.
Entre 250 à 300 pédocriminels français se livrent à cette pratique selon nos informations. “Nous évaluons que, à la fin de cette année, nous aurons ouvert une centaine d’enquêtes”, déclare Laure Beccuau.
Il est difficile de repérer les auteurs de ces crimes, car il s’agit d’échanges en visio-conférence en direct, qui ne sont pas forcément enregistrés.
Pour remonter leur piste, les enquêteurs se servent beaucoup des signalements Tracfin, ce service de renseignement français chargé de la lutte contre la fraude fiscale ou encore du financement du terrorisme. Ils repèrent ainsi les virements de sommes souvent dérisoires (de 30, 50 ou encore 70 euros) de la France vers les Philippines. Quand ils notent une récurrence de ces virements, ils enquêtent et interviennent si besoin.
Toutefois, “on n’arrive pas à identifier ces victimes-là”, déplore sur notre antenne Nathalie Bucquet, avocate d’Innocence en Danger, association qui défend les enfants victimes de violences. “On a des enquêteurs qui se déplacent dans ces pays en espérant pouvoir identifier les victimes. Une fois qu’on les a identifiées il y a la barrière de la langue, la difficulté sur notre système français d’indemnisation…”, explique-t-elle.
“Aujourd’hui on fait déjà dans un premier temps un travail symbolique pour essayer d’avoir un nom sur ces enfants”, déclare l’avocate.
“Notre rôle est de ramener les enfants au cœur de ces dossiers, qu’ils ne soient pas seulement des numéros de cote dans des dossiers, qu’on arrive à prononcer leur nom, que l’on sache ce qu’ils ont vécu, ce que cela implique”, déclarait en décembre à FranceInfo Ludivine Piron, de l’ONG l’ECPAT (End child prostitution, child pornography and trafficking of children for sexual purposes). “C’est notre rôle de rappeler que, derrière des images, des enfants sont réellement agressés sexuellement ou violés.”
À l’heure actuelle, le parquet de Paris est saisi de 20 enquêtes sur des faits de ce type, et cela pourrait aboutir, l’an prochain, à un premier procès d’assises en France. En 2020, un homme avait été condamné à cinq ans de prison pour avoir visionné en direct, via Internet, des agressions sexuelles sur des fillettes aux Philippines. Il avait alors été jugé pour détention et diffusion d’images pédopornographiques, mais aussi complicité d’agressions sexuelles sur mineurs de moins de 15 ans.
La jurisprudence a récemment évolué sur le sujet. Désormais, les personnes arrêtées pour avoir visionné ces vidéos pornographiques en direct peuvent être poursuivies pour “complicité de viols”. C’est à dire qu’elles risquent autant que l’auteur d’un fait de viol: 20 ans de réclusion.
“Ce n’est pas de la simple détention d’images pédopornographiques”, explique à BFMTV Aurélien Brouillet, substitut du procureur au parquet de Paris, adjoint à la section des mineurs. Il s’agit de “complicité de viol, de complicité de traite des êtres humains, avec ces deux complicités qui sont par instigation. C’est à dire que l’on va commander quelque chose et que donc sans son action, en réalité, ce fait criminel ne peut pas avoir lieu.”