« Qui a tué qui ? » Y a-t-il eu une pause entre les tirs ? Des exécutions à bout portant ? Au procès des attentats du 13 novembre 2015, l’enquêteur venu détailler lundi ses constatations au bar La Belle équipe a été assailli de questions sur la fusillade, souvent sans pouvoir y répondre.
« Je m’excuse si mon propos peut paraître froid ou déshumanisé, c’est le langage professionnel qui fait ça », prévient d’emblée l’enquêteur de la Brigade criminelle de Versailles, venue prêter main-forte aux services parisiens le soir des attentats.
Son style détonne avec celui de ses collègues, qui ont eu du mal la semaine dernière à contenir leur émotion en racontant leur travail après les attaques du Bataclan et d’autres terrasses.
Quand son équipe arrive devant l’établissement où 21 personnes ont trouvé la mort, « il y a une espèce de silence qui dénote avec la violence des faits, c’est un peu déroutant », dit ce barbu en costume noir, la trentaine, qui témoigne anonymement.
Le policier commence par montrer une vidéo filmée par un riverain. On y voit deux des trois assaillants à côté de leur voiture, tirer en rafale et au coup par coup. La terrasse n’est pas dans le champ. Les jihadistes crient « Allah Akbar » et remontent dans leur véhicule.
Plus tard dans l’après-midi, Salah Abdeslam demandera la parole. « Si on sort (les vidéos) de leur contexte, je suis le premier à les désapprouver », lance-t-il. « Mais si on les met dans leur contexte, je ne peux les condamner ». Le président Jean-Louis Périès déplore « une part de provocation », s’agace.
Après la vidéo, l’enquêteur a montré les conséquences de la fusillade en une photo : une dizaine de corps recouverts de draps colorés au pied des tables. Dans la salle d’audience, des sanglots éclatent.
Sur l’écran apparaît alors un schéma de la position des 13 corps, identifiés des lettres A à M. Six autres clients sont décédées dans un poste médical improvisé dans un bar voisin, deux autres à l’hôpital.
Pour chaque victime, le policier détaille les blessures « très lourdes dues au fracas massif des kalachnikovs sur les corps ».
L’un « découvert sur le dos, blessé au niveau du cou, de la clavicule, de l’abdomen et de la poitrine », l’autre « en chien de fusil, blessé d’au moins quatre plaies ». Et il continue du même ton neutre, corps par corps.
L’avocat de la famille d’une victime s’avance. « Elle est la lettre K », précise-t-il. « Est-ce qu’à partir des constatations vous pensez qu’il est possible de déterminer quelle est la personne qui a tiré sur Anne-Laure Arruebo ? »
L’enquêteur semble dérouté, hésite. Vu le « volume » tiré, 163 tirs en « une à deux minutes », la configuration des lieux… « ça me paraît assez improbable de déterminer l’auteur du coup de feu fatal, si tant est qu’il n’y en est qu’un seul ».
L’avocat insiste. « Est-ce que ce travail de reconstitution, ’qui a tué qui’ a été réalisé ? »
« C’est un exercice qui se fait pour les crimes de sang, mais là on est sur un attentat terroriste. Si on nous l’avait demandé, pour être franc… Je pense que ça aurait été impossible ».
Autre question. « Anne-Laure Arruebo était encore assise sur sa chaise. Est-ce qu’on peut en déduire qu’elle est morte sur le coup ? »
L’enquêteur hésite encore, il n’est « pas médecin légiste ». « C’est l’hypothèse que je privilégierais ».
Le président intervient, rappelle que des experts viendront aussi témoigner. Dans le cas de la jeune femme, il reprend le dossier. « Mort directe et immédiate par traumatisme crâno-cérébral ».
Les questions des avocats de parties civiles continuent. Où étaient installées les six personnes dont les corps ont été déplacés ? Pourquoi personne n’a enquêté sur cet individu suspect qui avait traîné dans les environs un mois avant ? Est-ce qu’il y a eu des pauses entre les séries de tirs ? Des exécutions à bout portant ?
L’enquêteur répond comme il peut. Des étuis de munitions ont été retrouvés sur la terrasse. « Ça montre qu’à un moment donné, un, deux ou les trois terroristes se sont rapprochés de la terrasse. Est-ce que c’était à bout portant ? Je ne sais pas si les expertises médicales ont pu le dire. Mais c’était des tirs de très près a minima ».
« Notre travail s’arrête vraiment à la scène », continue l’enquêteur. « On recueille des indices, des témoignages », finit-il par dire comme pour s’excuser de ne pas pouvoir apporter plus de réponses. « On est des gestionnaires de scènes de crime ».
L’audience reprend mercredi.