TikTok Shop, le service d’e-commerce intégré à l’application chinoise, est arrivé dans l’Hexagone ce lundi 31 mars. Déjà déployée dans une dizaine de pays du monde, notamment aux États-Unis et en Asie, cette fonctionnalité permet aux 25 millions d’utilisateurs français de TikTok d’acheter directement via la plateforme. Quatre outils sont proposés : des vidéos avec achat intégré, des directs promotionnels, des « vitrines » et enfin des « boutiques ». Mais une question cruciale se pose : qui contrôlera ces nouveaux marchés ?
Déjà infiltrés sur Snapchat, Telegram et Instagram, les dealeurs pourraient voir en TikTok Shop une opportunité en or. Pour Xavier Raufer, criminologue français, il n’y a pas de doute : « À chaque fois qu’une plateforme devient populaire, les trafiquants se l’approprient. » Une théorie qui a déjà fait ses preuves : Telegram, avec son système de messagerie cryptée, s’est rapidement transformé en repaire du trafic de drogue et du banditisme – forçant même son fondateur, Pavel Durov, à ouvrir ses données aux forces de l’ordre.
Les points de deal physiques sont trop risqués, alors ils ont créé leur propre “Uber Shit”
Xavier Raufer, criminologue
Gain de temps, pas d’exposition physique dans la rue (et donc discrétion maximale), nouvelle clientèle, business géré depuis chez soi grâce à des livreurs… Il faut dire que les arguments ne manquent pas pour inciter les dealeurs à adopter cette forme de « télétravail » du banditisme. Selon Xavier Raufer ces réseaux sont en réalité devenus une forme de planque pour les narcotrafiquants.
« Les points de deal physiques sont trop risqués, alors ils ont créé leur propre “Uber Shit“. Et dès que les contrôles se renforcent sur une plateforme, ils migrent vers une autre : c’est l’effet de déplacement criminel », explique l’auteur du Crime mondialisé (éditions du Cerf, 2019) au JDD.
Un nouveau supermarché de la drogue en ligne
Commander du cannabis, de la cocaïne ou encore de la kétamine en un clic ? C’est une réalité depuis déjà un moment sur les réseaux sociaux, où des centaines de comptes font ouvertement la publicité de leurs drogues en ligne. Des catalogues de substances en tout genre aux grilles tarifaires en passant par les horaires de livraison et les promotions (dignes d’une chaîne de supermarchés) pour les clients fidèles, les narcotrafiquants n’hésitent pas à emprunter tous les codes du commerce traditionnel.
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Souvent appelé « coffee », en référence aux boutiques de revente spécialisés de la ville d’Amsterdam, ce genre de business se professionnalise grâce aux livraisons à domicile, mais aussi à un marketing soigné. « Pour promouvoir leurs produits, ils utilisent des termes codés bien connus des consommateurs, qui peuvent directement passer leur commande comme au drive. »
Pour faire face au phénomène, la police judiciaire (PJ) a lancé en 2024 des unités spécialisées, les « cyberstups », chargées de traquer (sous de fausses identités) ces trafiquants 2.0. « D’un côté, les enquêteurs traquent directement les individus, les identifient, peuvent les piéger, puis supprimer leur compte en effaçant leur signature électronique. De l’autre, ils repèrent des mots-clés comme “drogue” ou “stupéfiant” pour enquêter sur d’éventuelles activités criminelles », détaille l’expert en criminalité. Avant de tempérer : « Mais trop peu d’enquêteurs sont mobilisés. Démanteler un réseau prend au minimum un an ! »
Audience massive… et contrôle limité
Avec 34 % de ses utilisateurs âgés de 16 à 24 ans, TikTok touche une cible particulièrement jeune, dont une large part de mineurs. En 2024, le géant chinois se classe ainsi au 4e rang des réseaux les plus utilisés en France – hors messageries cryptées. Une clientèle massive que les narcotrafiquants risquent de chercher à conquérir. Mais des embûches pourraient entraver leurs activités : le paiement par carte de crédit, PayPal ou encore Apple Pay devrait compliquer la discrétion des transactions…
Pour échapper à la traçabilité des paiements, certains redoublent de subterfuges. Contacté sur l’un de ces réseaux sociaux via une boucle (accessible en seulement quelques clics), un dealer confie envisager plusieurs options, comme « le paiement en cryptomonnaie » ou la création « d’un business parallèle légal de façade » pour justifier ses rentrées d’argent. Le criminel en est convaincu : le narcotrafic va rapidement migrer sur TikTok, notamment au vu du vieillissement de Snapchat.
Un risque confirmé par le criminologue Xavier Raufer. « TikTok représente une nouvelle porte d’entrée pour la drogue », affirme l’expert, précisant que, pour les forces de l’ordre, les contrôles n’en seront que « plus compliqués ».
Le démantèlement d’un réseau pourrait prendre jusqu’à plusieurs années
Selon lui, la coopération avec les autorités chinoises pourrait ralentir considérablement les enquêtes. « Dès qu’une affaire devient extraterritoriale, les réponses se font attendre. Les enquêteurs doivent passer par le procureur de la République, qui lui-même sollicite l’ambassade chinoise, ce qui entraîne d’interminables négociations », décrit Raufer. Résultat : le démantèlement d’un réseau pourrait prendre jusqu’à plusieurs années…
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