Jean-Michel Ribes retrouve le théâtre du Rond-Point qu’il a quitté en 2022 après l’avoir dirigé pendant plus de vingt ans. C’est pour mettre en scène Dernières nouvelles du large, un seul-en-scène loufoque de Patrick Robine, rare, sinon seul, grand imitateur botaniste, forestier et animalier. Alors que sa pièce, Musée haut, musée bas, est rééditée chez Actes Sud dans une nouvelle collection adressée aux collégiens, le dramaturge aime toujours emprunter les chemins de traverse.
LE JDD. Où vont nous emmener ces Dernières nouvelles du large ?
Jean-Michel Ribes. Très loin dans la fantaisie ! À la recherche d’une espèce de fauve, une moule géante unique au monde, cachée dans une île flottante perdue sur l’océan. Et nous voilà entraînés avec toute une drôle de clique à sa rencontre, à bord du Topinambour, un bateau énorme avec une ferme normande, ses pommiers et ses vaches dans les cales, pour ne manquer de rien. À la différence du stand-up où les gens racontent leur vie, Patrick Robine décrit une vie incroyable où tout nous paraît possible même si c’est complètement extravagant. Il me fait mourir de rire, mais pas avec l’humour qui a envahi toutes les chaînes de télévision et les radios. Lui cultive un univers rare, qui n’appartient qu’à lui.
Comment le décrire ?
Il imite très bien l’œuf au plat, le pin parasol, le grand lac du Bourget. Tout ce qui nous paraît inatteignable, il l’intègre dans son univers, à tel point que cela nous semble alors incroyable de ne pas y avoir pensé avant. Il nous attrape pour nous faire gravir des sommets où l’air est plus pur, mais surtout plus divers. C’est un personnage à part, une sorte de facteur cheval de l’humour. Il ne cherche pas à être drôle mais il est d’une nature extraordinairement extravagante et insolite qui vous sort de vos habitudes. Patrick Robine me fait un bien fou. On se renforce l’un l’autre par la cocasserie et les surprises.
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Votre rencontre est-elle aussi rocambolesque ?
Totalement, oui. Je l’avais vu dans un petit théâtre, pendant le Festival d’Avignon. Je me souviens d’être entré pour jeter un coup d’œil. Il y avait beaucoup de monde, c’était un peu bizarre mais je ne suis pas resté très longtemps. Dans le train vers Paris, je me retrouve par hasard assis juste en face de lui. Par une espèce de politesse obligée, j’engage la conversation. Quand je lui demande quels sont ses projets, il me répond : « En ce moment, je travaille beaucoup sur l’asperge. » C’était gagné ! Il n’avait plus besoin de dire autre chose. Tout est inhabituel chez lui. Il habite à Bordeaux et se promène dans de grandes voitures américaines qu’il arrive à peu près à garer. Quand on s’écrit, il signe Baudelaire, Saint-Exupéry ou Chaban-Delmas.
Il n’est pas le premier hurluberlu avec qui vous avez travaillé. Qui vous a le plus marqué ?
Je prépare justement un spectacle qui va s’appeler Un pas de côté, et l’autre aussi, où je les rassemble tous. Certains ne sont pas aussi connus qu’ils devraient l’être. Il y a évidemment des gens comme Roland Topor ou Roland Dubillard que j’adore, Georges Perec, François Rollin… Ces individus un peu dangereux et décalés qui nous rendent possible le reste de l’existence. Ils sont des issues de secours qui nous permettent de respirer et d’aller contre les morales définitives et le bon goût tyrannique. Tous ont en commun la fantaisie, un mot dont beaucoup de gens devraient se servir. Ce ne sont pas uniquement des blagues, c’est surtout une ouverture au monde.
« Je crois aux ressources inouïes de l’être humain »
Comment voyez-vous le théâtre évoluer ?
Depuis que je fais ce métier, on passe d’une crise à une autre, mais là, ça va devenir en effet plus sévère. Mais je crois aux ressources inouïes de l’être humain. L’un des plus beaux exemples est arrivé pendant le Covid. J’appelle mon ami Pierre Guillois pour lui dire que j’organise des spectacles en plein air, devant le Rond-Point. Il me répond qu’il n’a rien, juste des cartons. Il en a fait un spectacle devenu un immense succès : Les Gros patinent bien vient de fêter sa 1 000e représentation. Il est important de soutenir la culture. Pour deux raisons : c’est d’abord le visage d’un pays et il ne s’agit pas uniquement d’une danseuse. Économiquement, elle rapporte plus d’argent que les avions. Un pays sans culture coûte plus cher qu’un pays avec.
À défaut de savoir imiter comme Patrice Robine l’œuf au plat, quels sont vos talents ?
Je remplis des cahiers avec des dessins automatiques. Vous savez, pendant que vous téléphonez, vous faites des gribouillis et un dessin en sort, comme un objet qui arrive d’on ne sait où mais qui représente toujours quelque chose. J’aime bien mes pâtés. M’épater aussi.
Dernières nouvelles du large au théâtre du Rond-Point (Paris 8e). 1 h 15. Du 2 au 13 avril. theatredurondpoint.fr. Puis à partir du 18 avril à La Scène libre (Paris 10e). le-theatrelibre.fr
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