Dr Pierre-Yves Maillard. Les caractéristiques spécifiques de la trisomie 21 nécessitent un suivi médical et paramédical particulier, tout au long de la vie des personnes qui en sont porteuses. En effet, la présence de trois chromosomes au lieu de deux sur la 21e paire entraîne des déséquilibres au sein de l’organisme, conduisant à un grand nombre de dysfonctionnements : neurologiques, cognitifs, sensoriels (auditifs et visuels, par exemple), mais aussi à la survenue de malformations cardiaques, digestives ou rénales.
« Le dépistage et la prévention sont essentiels »
Ces patients sont également plus à risque de développer certaines pathologies, telles que des maladies auto-immunes, ou encore la maladie d’Alzheimer. Tout cela requiert un suivi préventif tout au long de la vie. Ce tableau peut sembler bien sombre, mais heureusement, tous les patients ne développent pas ces pathologies associées et une grande partie sont bien prises en charge aujourd’hui. Le dépistage et la prévention sont essentiels ! À l’Institut, nous avons la chance de pouvoir proposer des consultations longues, d’une heure en moyenne. Ce temps nous permet d’assurer un suivi global et approfondi, avec une vision d’ensemble de l’état de santé du patient, et ainsi de pratiquer une médecine préventive.
Si l’on est porteur de trisomie 21 aujourd’hui, vit-on mieux et plus longtemps que par le passé ?
Oui, l’espérance de vie a considérablement augmenté en un siècle, elle est passée de moins de 10 ans au début du XXe siècle à plus de 60 ans. Cela tient aux progrès de la médecine – et notamment la chirurgie, de la recherche, des différentes rééducations… Tout cela favorise une meilleure autonomie et qualité de vie des personnes porteuses de trisomie 21.
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Dans quelle mesure le suivi psychologique est-il important ? Est-il entièrement dépendant de l’aspect cognitif ou biologique ou nécessite-t-il une attention propre ?
Le psychologique est quand même souvent lié au cognitif. C’est difficile de généraliser, mais par exemple, certains patients ont une appétence sociale et un très bon contact interpersonnel, là où d’autres peuvent présenter des fragilités psychologiques ou des troubles du comportement.
Le suivi psychologique permet de les accompagner, mais aussi d’épauler leurs parents. Rappelons aussi l’importance du regard que l’on porte sur eux : quand le regard de la société est bienveillant, qu’ils se sentent accueillis, les difficultés peuvent être mieux surmontées !
Percevez-vous une amélioration de ce regard, notamment grâce au succès du film « Un p’tit truc en plus » ?
Oui, on sent une amélioration. Il y a évidemment le succès du film qui a permis de parler du handicap, mais pas seulement. Les efforts d’inclusion, aux niveaux scolaire et professionnel, portent des fruits et aident à mieux accueillir ces personnes.
Faites-vous aussi de la recherche ? Comment s’articule-t-elle avec le soin ?
À l’Institut Jérôme Lejeune, nous sommes une trentaine de soignants, médecins et paramédicaux, avec diverses spécialités : pédiatres, généralistes, gériatres, généticiens, orthophonistes, neuropsychologues, diététicienne, psychologues, infirmières, assistante sociale… Cette pluridisciplinarité est un atout pour la prise en charge globale de nos patients.
80 % des patients que nous suivons sont porteurs de trisomie 21, mais nous recevons aussi des patients ayant d’autres déficiences intellectuelles d’origine génétique, tels que le syndrome de l’X fragile, la délétion 5p… En tant que généticien, je suis amené à suivre des patients porteurs de maladies génétiques plus rares.
Nous sommes également impliqués dans la recherche. Nous menons, en collaboration avec d’autres centres de recherche européens, une quinzaine de projets de recherche clinique, c’est-à-dire menée avec les patients. À travers ces projets, nous cherchons à comprendre les anomalies causées par la trisomie 21 et les pathologies qui y sont associées, pour essayer de les corriger au mieux.
L’espoir de guérir ou, à défaut, d’atténuer le handicap lié à la trisomie 21 est-il toujours un horizon ?
Il y a un véritable espoir et de beaux progrès sont engagés. Des traitements sont testés, ciblant des gènes impliqués dans la déficience intellectuelle pour inhiber leur action. Cependant, il ne s’agit à chaque fois que d’un gène parmi les 300 que compte le chromosome 21 ! Il est donc important d’essayer des approches différentes et multiples… Nous avons des pistes prometteuses, nourries par un réel dynamisme de la recherche. Les États-Unis ont, ces dernières années, énormément investi pour développer la recherche dans la trisomie 21, et de belles collaborations nous permettent de travailler avec ces chercheurs.
« La recherche sur la trisomie 21 peut bénéficier à d’autres, par exemple pour la maladie d’Alzheimer »
Un autre axe de la recherche est celui des pathologies associées à la trisomie 21. En 2024, nous avons publié les résultats d’une étude que nous menions depuis plusieurs années avec l’Hôpital Necker-Enfants-Malades, sur le syndrome d’apnée du sommeil dans la trisomie 21. Ces résultats montrent que le dépistage et la prise en charge précoce (dès l’âge de 6 mois) des apnées du sommeil permettent une amélioration du développement comportemental et neurocognitif des nourrissons porteurs de trisomie 21. C’est une grande fierté, car il s’agit de la première étude montrant une amélioration de la cognition !
En pointe, l’Institut est-il seul en France ?
Le modèle de consultation de l’Institut est unique en France, bien qu’il existe d’autres consultations spécialisées pour les personnes porteuses de trisomie 21. Concernant la recherche, nous travaillons en collaboration avec de nombreux partenaires internationaux : la tâche est si vaste que nous ne pourrions rien faire seuls ! Par ailleurs, la Fondation Jérôme Lejeune est le premier financeur privé de la recherche sur la trisomie 21 en Europe : au-delà des projets de l’Institut, elle finance de nombreux projets chaque année.
Faut-il un soutien public plus affirmé ?
L’accès aux soins des personnes porteuses de trisomie 21 est un droit fondamental, mais reste pourtant encore souvent difficile. Il est essentiel de soutenir le soin et la recherche pour ces personnes, en investissant des moyens financiers. Cela a d’autant plus de sens que la recherche sur la trisomie 21 peut profiter à d’autres : l’exemple de la maladie d’Alzheimer l’illustre bien. Les personnes porteuses d’une trisomie 21 ont une prédisposition importante à développer cette maladie.
La compréhension des mécanismes en cause chez les patients porteurs de trisomie 21, permet de mieux comprendre la maladie d’Alzheimer qui concerne un très grand nombre de personnes en France. Je voudrais terminer par une citation du professeur Lejeune qu’il est bon d’entendre aujourd’hui : « La qualité d’une civilisation se mesure au respect qu’elle porte aux plus faibles de ses membres ».
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