
Quatre-vingts ans après la libération d’Auschwitz-Birkenau, êtes-vous prêts à replonger au cœur de l’horreur pour découvrir le mode de fonctionnement du camp de concentration responsable de plus de 1,1 million de morts ? Tel est le pari lancé par le Mémorial de la Shoah qui organise une rétrospective aussi édifiante que glaçante sur le travail photographique des SS au moment où le centre d’extermination connaît son apogée : à l’été 1944 avec l’élimination des juifs de Hongrie. Accompagnés de cartels extrêmement précis, les 200 tirages en noir et blanc et en couleurs sont décryptés dans une scénographie épurée mais jalonnée de dispositifs visuels et sonores pour immerger le public dans l’atmosphère anxiogène de l’époque.
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D’emblée, on est stupéfait de constater que, de mi-mai à début août 1944, deux photographes SS du service anthropométrique ont été engagés pour prendre des centaines de clichés et détailler le processus de la solution finale. Avec un échantillon de 197 photos, ils avaient même constitué un album, retrouvé dans le camp de Dora au printemps 1945 par une rescapée, Lili Jacob, et devenu une des sources d’information majeures pour raconter le génocide des juifs. Puisqu’il en retrace toutes les étapes macabres, du débarquement des trains à l’entrée dans les chambres à gaz. Les individus en question se nomment Bernhard Walter et Ernst Hofmann, respectivement artisan et instituteur avant de rejoindre le parti nazi.
Avec la particularité qu’ils ne se sont pas contentés d’immortaliser sur la pellicule le martyre des prisonniers : ils étaient animés d’une démarche artistique en pratiquant la mise en scène, au point parfois de leur demander de poser pour eux ! Ainsi, on observe toute l’étendue du cynisme et du sadisme des deux sous-officiers SS devant une série où un groupe de femmes et d’enfants s’immobilise devant l’objectif avec, à l’arrière-plan, le bâtiment des fours crématoires reconnaissable à ses cheminées.
L’abjection de l’esthétisation de la scène, sous un soleil rayonnant, est sidérante. Il arrive aussi que, pour obtenir un meilleur angle ou une perspective inattendue, Bernhard Walter et Ernst Hofmann montent sur un camion ou un chariot. Certaines victimes se cachent le nez avec un mouchoir pour atténuer l’odeur pestilentielle des corps qui brûlent, d’autres les défient en restant dignes et fiers, résistent en leur tirant la langue alors que les images officielles doivent montrer une foule soumise, ridiculisée et déshumanisée.
Il faut avoir le cœur bien accroché dans le parcours chronologique éprouvant mais exceptionnel par la rareté des documents d’archives présentés (journaux, livres, cartes, plans, correspondances, prises de vues aériennes, notes de service), égrenant la construction du camp, les visites officielles, l’enregistrement des détenus…
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Face à Rudolf Höss, commandant d’Auschwitz-Birkenau, batifolant dans le jardin de sa maison avec ses enfants en juin 1944, on s’aperçoit à quel point le cinéaste Jonathan Glazer a reconstitué au millimètre près les décors d’origine dans La Zone d’intérêt (2023), lauréat du César du meilleur film étranger. Jusqu’au final effarant : les photographies prises clandestinement et au péril de sa vie par Alberto Errera, juif grec membre du Sonderkommando, l’unité contrainte de débarrasser les cadavres des personnes gazées pour les entasser dans les fosses communes ou les emmener à la crémation. On sort de là le souffle coupé.
« Comment les nazis ont photographié leurs crimes » au Mémorial de la Shoah. Jusqu’au 13 novembre.
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