Il y a des histoires qui valent d’être connues, comme celle de Roland Perez tant elle est inspirante, incroyable même : un magnifique pied de nez à la fatalité, oserait-on dire. Né en 1963 avec un pied bot, le futur avocat très médiatique semblait condamné à ne jamais mener une vie normale. C’était compter sans la détermination et l’optimisme sans faille de sa mère Esther. Et, indirectement, sa passion pour Sylvie Vartan, oui, l’icône de la chanson, grâce à laquelle il a appris à lire lors de son alitement pendant dix-huit mois. Le destin a voulu qu’il devienne son avocat des années plus tard. On les rencontre à l’occasion de la sortie en salles de l’adaptation par Ken Scott du livre Ma mère, Dieu et Sylvie Vartan.
Le JDD. Roland, comment cette transposition pour le grand écran est-elle née ?
Roland Perez. La productrice Sophie Tepper a lu l’ouvrage avant même qu’il ne sorte. Quand elle m’a proposé de s’occuper de son adaptation au cinéma, je n’arrivais pas à y croire. Je n’en ai parlé à personne, je me disais que ça n’intéresserait pas grand monde, cette histoire de mère courage et de son enfant incapable de marcher. Il se trouve que le livre a été un succès. Je ne parle pas des ventes, mais de sa portée universelle. Ma mère était une femme exubérante, drôle, une femme qui a fait de ma vie quelque chose d’inattendu. Elle n’était pas dans la réalité et c’est ce qui m’a aidé, parce qu’il faut une dose d’irréalité pour amener un enfant à refuser un diagnostic médical et le pousser à croire que non seulement il marchera, mais qu’il aura aussi une existence fabuleuse. C’était extrêmement risqué. Il y a eu une composante dans ce joli carton en librairie : le nom de Sylvie Vartan. Au départ, les gens pensaient que c’était un livre sur elle, l’hommage d’un fan à une Sylvie Vartan et Roland Perez Ils ont découvert une histoire insensée et le rôle surnaturel qu’a joué celle-ci.
Sylvie Vartan. C’est ce qui a fait le buzz. Les gens se sont demandé ce que j’avais à voir avec Dieu. Moi aussi, d’ailleurs ! Je suis quelqu’un d’assez pudique, réservé. J’ai suffisamment été jetée à la « une » des journaux pour ne pas avoir besoin de cette publicité.
R. P. Sylvie m’a dit : « Tu ne peux pas mettre mon nom à côté de Dieu, ce n’est pas possible. » Mais son mari, Tony Scotti, qui a le sens des affaires et surtout de l’artistique, l’a convaincue d’accepter. Aujourd’hui, dans tout Paris, il y a son nom sur les colonnes Morris. Sylvie, j’ai l’impression d’être ta maman tellement je suis fier de voir ton nom accolé à Dieu. Tu as eu une telle importance dans ma vie.
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S. V. Non mais ça vraiment, c’est beaucoup trop !
Sylvie, quelle relation entreteniez-vous avec votre mère ?
S. V. Elle était organique. J’ai dormi avec elle jusqu’à l’âge de 11 ans parce qu’à notre arrivée de Bulgarie, nous avons habité pendant quatre ans dans une chambre d’hôtel. Mon frère, lui, était au lit avec mon père. On n’avait pas le choix, mais c’était un bonheur total. Ma mère était très croyante. Je le suis aussi, et de plus en plus à mesure que les années passent. Elle a été mon pilier, mon premier amour. Je me souviens de son odeur, de sa chaleur. Mes parents m’ont transmis leurs valeurs : le courage, le sens du sacrifice, la persévérance.
R. P. Avec ses premiers cachets, elle leur a offert une maison. Et quand son papa est parti, elle s’est énormément occupée de sa maman. Toute l’attention que celle-ci lui avait porté, elle la lui a rendue. Sylvie avait pour elle un attachement et une reconnaissance viscérale. Je connais très bien son histoire. J’aurais pu faire une thèse sur elle, devenir un docteur ès Sylvie Vartan.
Comment avez-vous appris à lire grâce à elle, Roland ?
R.P. Nous avions installé un grand tableau avec d’un côté l’alphabet des consonnes, de l’autre celui des voyelles. Mes frères et sœurs avaient pour mission de recopier les paroles de l’une de ses chansons chaque soir. Je devais l’apprendre puis reconnaître les lettres sur le tableau pour enfin les assembler. J’ai appris à lire avec La Plus Belle pour aller danser ou Si je chante. Il le fallait, nous n’avions pas les moyens de prendre un professeur et l’assistante sociale nous collait. Ça a été la méthode Vartan !
S. V. Comme quoi, la nécessité est mère de l’invention…
Quelle a été votre réaction quand vous avez appris l’importance que vous aviez eue dans la vie de Roland, Sylvie ?
S. V. Il ne me l’a pas dit brutalement. Il m’avait d’abord confié qu’il était fan de moi plus jeune, puis c’est devenu de plus en plus précis. J’ai vraiment découvert sa méthode d’apprentissage en lisant son livre. Roland, tu ne me l’avais jamais totalement expliquée. Ce qui est incroyable, c’est que ta mère ne s’est jamais découragée. Elle t’a donné tellement de force que tu es devenu aujourd’hui : un homme merveilleux qui voit toujours le bien chez les autres. Un homme très persuasif aussi, c’est pour cette raison que tu es un grand avocat ! Même moi qui suis sceptique, un peu comme saint Thomas, tu parviens à me convaincre !
Croyez-vous au destin ?
R. P. Je crois en Dieu, donc forcément au destin. Ma mère me l’a communiqué : elle allumait des bougies à tout-va, discutait avec les saints, les engueulait même, parce qu’elle savait qu’ils étaient les avocats de Dieu. Elle négociait, attendait. J’ai vu ses montées dans les aigus, ses plaidoiries auprès de Dieu. Quand Sylvie a eu son accident de voiture en 1970, toute ma famille était terrassée. Ma mère priait pour sa santé.
S. V. C’est pour ça que je m’en suis sortie ! Moi aussi, je crois au destin, en la belle étoile. Quand on a des sentiments profonds, honorables, sincères, de jolies choses vous arrivent. Avec Roland, on s’est rencontrés tardivement, mais il fait partie de ma vie. Il m’a happée dans la sienne. Il est devenu mon ami, mon avocat, mon frère.
R. P. Et toute sa famille appartient à la mienne.
S.V. Je crois en la similitude des êtres. Il faut aimer les mêmes choses, les mêmes gens, se reconnaître dans les valeurs. Nous étions faits pour nous rencontrer.
Sylvie, votre dernier rôle au cinéma remonte à 2013 et Tu veux ou tu veux pas, de Tonie Marshall. Vous n’avez jamais voulu être actrice ?
S.V. Je ne rêvais que de ça, mais tous les grands films qu’on m’a proposés ont été refusés par mes différents imprésarios.
Comme Les Parapluies de Cherbourg…
S. V. Ce ne sont pas des racontars, Jacques Demy me l’a dit personnellement, mais je ne l’ai su que des années plus tard alors que je rentrais à mon hôtel à New York. À l’époque, mon imprésario ne m’avait pas transmis l’information. Il avait répondu à Jacques que j’étais en tournée, ce qui devait être la vérité parce que j’en faisais en permanence. J’étais désespérée quand je l’ai appris. Mais je n’ai pas de regrets : j’ai transposé cette passion initiale, enfantine, sur scène, lors de grands shows avec des danseurs. En France comme aux États-Unis, j’ai rencontré des personnes extraordinaires qui m’ont inspirée, m’ont accompagnée, permis de faire ce que j’aimais comme je le voulais.
J’ai toujours interprété les chansons qui me touchaient et c’est grâce à cette sincérité, à cette passion, que j’ai rassemblé autant de gens autour de moi, parce qu’on ne peut pas tromper le public. Je n’ai pas choisi d’exercer un métier artistique dans le but de gagner de l’argent ou de devenir célèbre. À 17 ans, je ne savais même pas qu’on pouvait le devenir. Je savais seulement qu’il existait des acteurs. Reste qu’au cinéma, il faut attendre de plaire à quelqu’un. Quand on est un homme, c’est plus simple, mais quand on est une femme, vous êtes cataloguée : si vous êtes chanteuse, on vous cantonne à la chanson. C’est peut-être parce que je n’étais pas très connue en tant que telle à mes débuts que j’ai eu toutes ces propositions de réalisateurs.
Vous avez quand même incarné un beau premier rôle dans L’Ange noir de Jean-Claude Brisseau…
S.V. Il me voulait envers et contre tout. Brisseau avait une grande gueule, il était connu pour ça, ce qui a malheureusement joué contre lui. Mais c’était un réalisateur extraordinaire. S’il avait certainement des faiblesses, il avait aussi cette incroyable sensibilité. Je l’aimais beaucoup parce que, malgré son physique à la Olivier de Kersauson, il y avait chez lui quelque chose d’enfantin.
Enfant, vous aussi avez été acteur et avez participé à des émissions de télé, Roland. Pourquoi avoir bifurqué vers des études de droit ?
R. P. Très jeune, j’ai eu cette chance d’être choisi, et j’ai pu percevoir la précarité de ceux qui ne l’étaient pas. Plus tard, je me suis demandé : « Est-ce que maintenant que je suis grand, je vais me fragiliser comme ces artistes qui attendent avec leurs books dans les mains ? » L’assurance et la fierté que m’avait transmises ma mère m’en ont dissuadé. Et comme dans le métier d’avocat on s’exprime aussi devant un auditoire…
Cette enfance artistique a dû être un plus…
R.P. Elle m’a permis de ne jamais être impressionné au moment de prendre la parole. Gamin, je passais mon temps à tout observer, donc quand j’arrive dans une salle d’audience, j’examine le ou la présidente, je perçois sa psychologie. C’est aussi le cas pour le magistrat ou le confrère : je devine qui il est, notamment selon le ton qu’il emploie, et je m’en imprègne pour ma plaidoirie.
Sylvie, vous avez fait vos adieux à la scène le 26 janvier au Palais des Congrès. Comment était-ce ?
S. V. Je range cet événement dans le passé, même s’il est très proche. J’ai eu tellement de soucis techniques que je me sens un peu frustrée. Mais le public a été extraordinaire, il m’a émue au plus profond de moi-même. Je l’ai fait parce qu’il me l’a demandé, mais j’ai le sentiment que ça ne devait pas se terminer ainsi.
R. P. Quand vous faites un spectacle qui dure quasiment deux heures quarante pendant lesquelles vous balayez toute votre carrière, que vous avez un orchestre et des danseurs, c’est grandiose. D’autant que Sylvie n’avait pas dansé depuis plusieurs années. Mais qui dit grandiose dit barnum, et qui dit barnum dit technique. Il fallait tout maîtriser. Si elle n’en a pas profité, le public si. Il a vu des adieux triomphaux.
Quels sont les projets que nourrit la jeune dame que vous êtes ?
S. V. Faire du rangement dans mes archives, mes photos, parce que j’en ai pris tellement de mes enfants.
R.P. Tout ça, tu vas le faire, mais il y a aussi un projet qui nous anime, bien qu’il n’y ait encore rien de concret : un biopic en format série. En attendant, un documentaire centré sur sa vie vertigineuse est en route. Ce sera pour France Télévisions. Augustin Trapenard va l’interviewer pendant des heures.
Quant à vous Roland, vous venez de publier votre troisième livre : Bonne Fête des mères, papa !
R P. C’est la suite de mon histoire. J’ai hélas perdu, comme vous l’avez appris dans le film, ma femme Litzie quand j’avais 45 ans. Je suis resté avec mes trois enfants qui sont grands aujourd’hui. J’ai voulu raconter ce quotidien très drôle, avec une Esther extrêmement présente qui revient dans leur vie.
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