Après le rapprochement en cours des États-Unis et de la Russie à la faveur d’un accord de cessez-le-feu encore hypothétique entre Moscou et Kiev, Donald Trump pourrait concentrer tous ses efforts sur la relation tendue entre Washington et Pékin. Depuis des années, on nous annonce ce basculement du monde vers l’est et l’Asie. Barack Obama avait déjà annoncé que les États-Unis se désengageraient de nombre de théâtres de guerre et de crises régionales pour se concentrer sur le Pacifique. Donald Trump a accéléré le mouvement en envoyant près de 30 000 soldats américains supplémentaires dans la région dès sa prise de fonction à la Maison Blanche. Aujourd’hui, les alliés japonais, sud-coréens et philippins observent la Chine et la Corée du Nord en chiens de faïence.
Il n’est pas coulé dans le marbre que le géant chinois représente l’ennemi numéro un éternel de l’Amérique lors des quatre prochaines années. Certes, le premier mandat du président américain avait été marqué par une tension accrue, notamment pour des raisons commerciales, mais un accord sur cette question lors du second mandat pourrait dans l’absolu générer une nouvelle dynamique entre les deux premières puissances mondiales, qui évacuerait petit à petit l’idée communément admise d’un risque de troisième guerre mondiale en mer Jaune.
On en est bien loin pour le moment, mais comme l’a exprimé discrètement Donald Trump lors de plusieurs réunions de haut niveau de son administration, il serait même prêt à lâcher Taïwan contre un bon accord avec Pékin. De quoi déclencher l’ire des démocrates qui soutiennent à juste titre la petite île au large de la Chine qui résiste aux griffes de son voisin et cherche à garder coûte que coûte son indépendance.
Trump en quête d’un bon deal ?
Au fond, Donald Trump ne déteste pas réellement la Chine en tant que nation ou civilisation, mais il considère le pays avant tout comme le principal rival économique et géopolitique des États-Unis. Son attitude envers la Chine est largement dictée par des considérations économiques, politiques et stratégiques. Les griefs du président américain sont clairs et connus de tous. Trump accuse la Chine de pratiques commerciales déloyales, comme la manipulation monétaire et le vol de propriété intellectuelle, qu’il juge responsables de la désindustrialisation des États-Unis.
Trump serait même prêt à lâcher Taïwan contre un bon accord avec Pékin
Il veut mener la guerre commerciale à Pékin. Entre 2018 et 2020, il a imposé des droits de douane massifs sur les importations chinoises pour tenter de réduire le déséquilibre commercial, ce qui a entraîné une escalade des tensions économiques. Au moment de la pandémie, Trump a blâmé la Chine pour la COVID-19, l’appelant le « virus chinois », et a reproché à Pékin son manque de transparence. Au point de vue technologique et sécuritaire, il a lancé une campagne contre Huawei et TikTok, accusant ces entreprises d’espionnage au profit du gouvernement chinois. Pour finir, Trump perçoit la Chine comme une menace stratégique en Asie et dans le monde, notamment en raison, selon lui, de ses ambitions militaires et économiques.
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La possibilité d’un rapprochement
Malgré toutes ces raisons et cette hostilité, Trump n’est pas totalement opposé à un accord avec la Chine, tant que celui-ci est avantageux pour les États-Unis. Il avait d’ailleurs négocié la première phase d’un accord commercial en 2020 et était parvenu à entretenir des relations, certes à géométries variables, avec Xi Jinping. Aujourd’hui, malgré les tensions actuelles (bien plus accrues lors du mandat de Joe Biden, autour de Taïwan essentiellement), un rapprochement pourrait avoir lieu si les deux puissances mondiales aboutissent à une trêve commerciale, que la Chine fait des concessions économiques, par exemple en ouvrant davantage ses marchés aux entreprises américaines, et que Washington et Pékin trouvent un terrain d’entente sur la sécurité internationale, comme la Corée du Nord ou Taïwan.
Après l’accord de paix entre l’Ukraine et la Russie, Moscou pourrait jouer un rôle de médiateur dans d’autres espaces géopolitiques. Mais à l’image du rôle qu’avait joué Pékin dans la « réconciliation » entre l’Arabie saoudite et l’Iran, elle pourrait être un acteur clé de médiation dans d’autres crises en Asie. Un bémol demeurerait : si la Chine considère aujourd’hui l’opportunité économique qui peut se présenter de faire davantage de business « win-win » avec les États-Unis, c’est qu’elle voit en Trump l’homme des possibles.
Les États-Unis chercheront toujours à essayer de faire plier Pékin
Au vu de la personnalité et du tempérament du 47e président des États-Unis, il y a au moins pour elle une chance de parvenir à un accord, contrairement à avant avec l’administration démocrate. Le sort de Taïwan pourrait être scellé dans les mois à venir et servir de monnaie d’échange. Sur le long terme, difficile de pronostiquer le bon état des relations sino-américaines dans le cadre d’un tel accord, tant les deux pays ont des visions diamétralement opposées de ce qu’est un partenaire : pour la Chine, il n’y a pas de volonté de dominer en soi dans le cadre d’une relation de business, alors que les États-Unis chercheront toujours à essayer de faire plier Pékin pour continuer à dominer la Chine économiquement, militairement et stratégiquement.
*Sébastien Boussois est docteur en sciences politiques, chercheur monde arabe et géopolitique et enseignant en relations internationales à l’IHECS (Bruxelles), collaborateur au CNAM Paris (Équipe Sécurité Défense), à l’Institut d’Études de Géopolitique Appliquée (IEGA Paris), au Nordic Center For Conflict Transformation (NCCT Stockholm) et à l’Observatoire Géostratégique de Genève (Suisse).
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