Quand Donald Trump parle de fake news, c’est que quelque chose le dérange au plus haut point. « Pourquoi ne peuvent-ils dire les choses avec honnêteté ? » tambourine le président américain sur le clavier de son portable (c’est lui-même qui écrit tous ses tweets et en l’occurrence ce message provient de son réseau Truth Social). La raison de sa colère ? Les Britanniques de Sky News et d’autres médias américains ont annoncé que Vladimir Poutine aurait fait attendre pendant huit heures l’envoyé spécial de Trump, Steve Witkoff, arrivé jeudi dernier tout droit de Djeddah à Moscou pour présenter aux Russes l’accord pour un cessez-le-feu de trente jours.
Le président termine son message en taxant ses détracteurs dans les médias de « malades dégénérés » dont les actions (contre lui) auraient provoqué l’effondrement de leur audience… Une des multiples obsessions de Trump, cette guerre contre les médias mainstream. Vladimir Poutine est pourtant connu pour faire attendre ses hôtes. En 2020, lors d’une visite à Moscou, le président russe avait fait patienter son homologue turc Recep Tayyip Erdogan pendant de longues minutes dans le vestibule attenant à son bureau au Kremlin. Immédiatement, les images avaient été diffusées par les médias russes sur le mode « le sultan demande audience au tsar »… On ne compte pas non plus les convocations de ses ministres en pleine nuit pour les faire attendre eux aussi. Peu importe ce qui est arrivé à Steve Witkoff, le jeu en valait certainement la chandelle. Car au bout d’une journée où Poutine est apparu en treillis, le verbe mauvais, où Lavrov a averti les Européens de ne pas envoyer de troupes et où surtout, le front de Koursk s’est effondré à l’avantage des Russes, personne ne s’attendait à entendre, alors que Poutine recevait son homologue biélorusse Alexandre Loukachenko, ce dernier dire : « Nous sommes pour [le cessez-le-feu], mais il y a des nuances. »
La Russie retarde le processus
Et quelles nuances… Car dans sa réponse, Vladimir Poutine fait part de toute sa méfiance vis-à-vis des conséquences d’un cessez-le-feu, rappelant l’immensité de la ligne de front, près de 2 000 km, la difficulté qu’il y aura à surveiller son application, etc. On l’aura compris : Poutine exige des garanties. Mais il ne dit pas non. Son armée avance. Il sait qu’il doit gagner du temps. Il ne veut pas antagoniser Trump dont l’arrivée au pouvoir est, pour lui, une opportunité tombée du ciel. Déjà Trump lui a permis de regagner le concert des nations. Avec ce dialogue direct établi avec les Américains et le vote commun au Conseil de sécurité de l’ONU sur la fin de la guerre en Ukraine, la Russie s’est, pour partie, débarrassée du statut de paria auquel elle avait droit depuis l’invasion de l’Ukraine.
Le choix de s’exprimer lors d’une rencontre avec le Biélorusse Loukachenko ne doit non plus rien au hasard. Poutine est obsédé par les accords de Minsk, qui est la capitale de la Biélorussie, ou plutôt par leur non-application. Il l’est encore plus pour renseignement, surveillance et reconnaissance interarmées, essentiel à toutes les opérations militaires car il fournit une meilleure connaissance de la situation au sol, dans les airs, en mer, dans l’espace et dans le cyberespace. Du jour au lendemain, leurs combattants se sont retrouvés aveugles, incapables de repérer l’artillerie russe et, même s’ils avaient des drones performants, cela n’a pas suffi à sauver leurs positions. Ils ont dû in fine quitter le territoire russe conquis de haute lutte en août dernier. Poutine se retrouve donc au milieu d’un processus de négociations avec une carte dans la main de l’Ukraine qui disparaît, et son armée est en passe de pénétrer dans l’oblast de Soumy, une zone dans laquelle elle avait dû se retirer en catastrophe en avril 2022 au début de la guerre. Il existe donc de nombreuses raisons pour le dirigeant russe de retarder le processus. Si l’on en croit les dernières informations, l’armée russe serait également à l’offensive au sud, dans la zone de Zaporijjia où elle aurait conquis plusieurs villages sur un front plutôt stable jusqu’ici. Partout ailleurs, les Russes continuent le grignotage habituel, une avancée lente qui vise principalement à détruire l’ennemi plutôt que d’engranger rapidement du kilomètre carré d’Ukraine.
Donald Trump a rebattu les cartes
L’évolution du champ de bataille en ce mois de mars n’est donc pas une bonne nouvelle pour la paix. Pourquoi Poutine s’arrêterait-il alors que son armée vient de reconquérir Koursk et que partout elle avance ? Ce raisonnement tiendrait si le rapprochement avec les Américains n’avait pas eu lieu et si, par exemple, nous étions toujours à l’ère Biden. La volte-face de Donald Trump vis-à-vis de la Russie fait partie de ces séismes qu’on n’observe, comme une étoile filante, qu’une seule fois par siècle et même par millénaire. depuis qu’Angela Merkel qui, avec François Hollande, en était la garante, a reconnu en décembre 2022 dans une interview au quotidien Die Zeit que « les accords de Minsk ont été une tentative de donner du temps à l’Ukraine. L’Ukraine a aussi utilisé ce temps pour devenir plus forte, comme on le voit aujourd’hui ». Lorsqu’il parle de « nuances », Poutine entend faire comprendre aux Américains qu’on ne lui vendra pas un troisième accord de Minsk sans garanties de sécurité qui, à ses yeux, serait un moyen encore une fois pour l’Ukraine de se réarmer. Il ne peut pas pour autant, on l’a dit, se mettre Trump à dos.
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Depuis son arrivée au pouvoir, Poutine exige un pacte de sécurité avec l’Ouest
Il adresse alors ses remerciements au « président américain pour les efforts que celui-ci déploie pour faire aboutir la paix et cesser le conflit en Ukraine ». Mais la chute du saillant de Soudja à Koursk, en partie provoquée par l’interruption du partage du renseignement américain avec les Ukrainiens, est venue à elle seule ruiner une partie des raisons pour lesquelles Poutine serait intéressé par le plan de paix. À Koursk en effet, les Ukrainiens ont été privés par les Américains du fameux « JISR ». On le sait, depuis bien avant le conflit en Ukraine, depuis en fait son arrivée au pouvoir avec la promesse de laver l’humiliation faite aux Russes, Poutine exige un pacte de sécurité avec l’Ouest. Comme bon nombre de ses compatriotes, il n’a pas oublié l’époque Eltsine où les Russes découvraient leur président titubant à la tribune pendant que ses sbires vendaient leur pays aux Américains. Depuis ce temps-là, il recherche ce pacte.
L’adhésion de dix pays de l’Est à l’Otan, à la fin des années 1990, l’aura sans doute contrarié, mais tant qu’on ne touchait pas à l’Ukraine, ça allait. Il avait averti les Occidentaux à la conférence de Munich en 2007. « L’Otan met ses troupes à nos frontières, disait-il, et pourtant, jusqu’à présent, nous ne réagissons pas. » Une adhésion de l’Ukraine et de la Géorgie à l’Otan était pour lui inacceptable. Il le répétera de nombreuses fois, sans qu’on l’écoute réellement. De façon troublante, toujours à cette conférence de Munich sur la sécurité mais l’an dernier, il y avait un autre invité qu’on n’a pas écouté : J. D. Vance. Le journaliste américain Rod Dreher, ami de Vance, se souvient : « Il m’a retrouvé pour prendre une bière et dîner, car personne ne l’écoutait. » Un an plus tard, Vance prendra sa revanche en y fustigeant une Europe coupable, à ses yeux, d’abandonner ses valeurs. Munich, décidément, n’est pas un lieu où l’on écoute beaucoup les gens. Et ça a de sacrées conséquences.
La guerre avec l’Otan ?
Face à cette entame de dialogue entre Américains et Russes autour d’un cessez-le-feu, on a vu l’Europe réagir. Frustrée de n’être pas à la table des négociations pour tenter de régler un conflit qui, rappelons-le, se déroule quand même sur son sol, elle a voulu donner de la voix, sans parvenir, c’est une habitude, à dégager de position commune entre les 27. Les Français et les Britanniques sont en pointe avec un plan pour envoyer des troupes au sol dans le cadre d’une mission de maintien de la paix. Autour de Koursk, les combats se sont intensifiés, voyant les Ukrainiens reculer partout. Emmanuel Macron travaille pour cela directement avec Volodymyr Zelensky.
Le président français a par ailleurs précisé dans une interview à la presse quotidienne régionale que « Moscou n’a pas son mot à dire sur la présence de forces européennes sur le sol ukrainien ». Aussitôt, Dmitri Medvedev, l’ancien président russe et ex-Premier ministre de Poutine, lui a très vertement répliqué que les troupes du maintien de la paix devaient être originaires de « pays ne faisant pas partie de l’Otan », avant d’avertir que si les Français et les Britanniques s’avisaient d’aider Kiev en envoyant des soldats, cela signifierait la guerre avec l’Otan. Et Medvedev enjoignant les Européens à consulter Trump avant de faire le moindre geste. La paix en Ukraine, on le comprend, si elle se fait un jour, se fera vraiment sans les Européens.
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