C’est d’ailleurs un autre drame, celui des Arméniens du Haut-Karabakh, victimes de la part de l’Azerbaïdjan d’une épuration ethnique à caractère génocidaire, qui convainquit l’auteur de l’urgence d’un texte d’ensemble sur ses frères chrétiens martyrisés. Litanie d’exactions et d’atrocités, tentative d’éradiquer jusqu’au souvenir d’une présence ancestrale, indifférence à peine polie de la France, toute ressemblance avec les événements survenus dans le nord-ouest de la Syrie serait loin d’être fortuite.
Un danger grandissant
D’autant que, pour reprendre le titre d’un chapitre de l’ouvrage, il fallait déjà bien avant cela parler de « l’abandon des chrétiens de Syrie ». Ceux-ci s’efforçaient de conserver une stricte neutralité entre le pouvoir du dictateur Bachar al-Assad et la rébellion islamiste, mais tel message délivré en 2013 par le ministre régional des franciscains de Syrie annonçait déjà ce qui advient aujourd’hui : « Je voudrais que tout le monde sache qu’en soutenant les révolutionnaires, l’Occident soutient les extrémistes religieux et aide à tuer les chrétiens. À ce rythme, il ne restera plus un seul chrétien dans ces zones. »
Il ne restera plus un seul chrétien dans ces zones
Le ministre régional des franciscains de Syrie
Et le cœur se serre au récit du calvaire de Frans van der Lugt, battu et assassiné en 2014 par al-Nosra, mouvement dont le fondateur n’est autre qu’Abou Mohammed al-Joulani, l’actuel maître du pays : « Pour les chrétiens, mais aussi pour de nombreuses familles musulmanes accueillies dans le monastère, le père Frans était une figure ancrée dans leur réalité. Pourtant très conscient des dangers encourus, le père jésuite tenait donc absolument à rester en Syrie, sa deuxième patrie depuis 1966. Dans le monastère, il occupait une petite chambre, encombrée de livres, et dormait sur un matelas posé à même le sol. »
À bout de souffle
Au long de cette saga des chrétiens d’Orient domine l’évidence d’un reflux. Reflux de l’influence française dans ces parages, quand la protection accordée aux seuls Maronites par saint Louis s’était étendue à toute la chrétienté avec François Ier. Reflux du christianisme oriental en tant que tel, dont Jean-François Colosimo se demande dans sa préface s’il ne serait pas « désespérément promis à l’engloutissement », touten rappelant que sa disparition « signifierait une catastrophe universelle ».
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Ces ombres s’étendent sur l’admirable travail de Carine Marret et créent un saisissant contraste dans ces pages avec le rayonnement d’une riche civilisation près de mourir et qui demande notre aide. À l’approche de Pâques, célébrée cette année à la même date par les catholiques et les orthodoxes, il faut plus que jamais croire aux signes et surtout savoir entendre cet appel au secours.
Les chrétiens d’Orient et la France. Milles ans d’une passion tourmentée, Carine Marret, Balland, 458 pages, 26 euros.
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