« Ma volonté politique peut briser l’impossibilisme », confiait Bruno Retailleau au JDD, il y a un mois. Avant de prévenir aussitôt : « Notre capacité d’action est évidemment contrainte par une arithmétique désespérante à l’Assemblée nationale. » Cette précision prend tout son sens à la veille de l’examen par les députés de la proposition de loi contre le narcotrafic. Le ministre de l’Intérieur joue gros sur ce texte issu d’un rapport sénatorial transpartisan.
Dès son installation à Beauvau en septembre 2024, le Vendéen a fait de la lutte contre ce fléau une cause nationale. De Rennes à Marseille en passant par Le Havre, le premier flic de France multiplie les déplacements sur ce thème, distillant au passage les formules chocs : « narco-racailles », « mexicanisation », « point de bascule ».
Lors d’une conférence de presse dans la cité phocéenne, le 8 novembre, il promet que « la pieuvre » du narcotrafic va « périr ». Quand ? « Il faudra quinze, vingt ans, ce sera difficile », reconnaît-il avec lucidité. Comment ? En commençant par suivre les recommandations des sénateurs Étienne Blanc (LR) et Jérôme Durain (PS), à l’origine d’une proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic. Le texte est ambitieux. Il prévoit, entre autres, la création d’un Parquet national anticriminalité organisée (Pnaco), une procédure pénale simplifiée, des mesures antiblanchiment et de nouveaux outils pour les enquêteurs.
Une première haie est franchie le 4 février lorsque le Sénat vote à l’unanimité la proposition de loi. La seconde, au Palais-Bourbon, ne sera qu’une formalité, pense-t-on alors dans les couloirs de la Haute chambre. Un excès d’optimisme balayé par la commission des lois de l’Assemblée il y a une semaine. Il en est ressorti un texte vidé de sa substance. Exit la création d’un procès-verbal distinct, également appelé dossier coffre, visant à ne pas divulguer à la défense certaines techniques d’enquête sensibles. Exit également la procédure d’injonction pour richesse inexpliquée qui oblige les individus soupçonnés de tremper dans le trafic de stupéfiants de justifier l’écart manifeste entre leurs revenus et leur train de vie. De même, le texte a été expurgé des mesures permettant d’activer à distance des appareils électroniques.
À l’initiative de ce détricotage, la gauche, bien sûr, mais aussi un certain nombre de députés du socle commun. « Tout s’est joué de peu en commission des lois, faute de mobilisation, mais je suis sûr que nous réussirons à les faire adopter à l’Assemblée », assure un député LR. Quand bien même, rien ne dit que le texte initial trouve une majorité. Auquel cas ce serait un camouflet pour les ministres de la Justice et de l’Intérieur. Plus encore pour le second que les oppositions se plaisent à dépeindre en « ministre de la parole » : « Retailleau tend le bâton pour se faire battre. Il vend du rêve à une France en demande d’autorité sans avoir la certitude de ses moyens d’action », pointe un conseiller de l’exécutif.
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Dans l’entourage du ministre de l’Intérieur, on renvoie chacun à ses responsabilités : « Ceux qui voteront contre ces mesures devront en assumer les conséquences, car les premiers à se réjouir d’un vote contre seront les criminels et les narcotrafiquants. »
Certains murmurent qu’une sortie du gouvernement s’imposerait en cas de plantade du texte
Chez LR, certains murmurent qu’une sortie du gouvernement s’imposerait en cas de plantade du texte. Échaudés par le récent renvoi sur le sol français d’un influenceur algérien expulsé ou l’attentat commis à Mulhouse par un Algérien visé par une obligation de quitter le territoire (OQTF), les LR craignent ou espèrent – tout dépend de leur préférence pour la présidence du parti – que Bruno Retailleau s’abîme au ministère de l’Intérieur.
« C’est sérieux. Sur ce texte, il joue sa crédibilité sur le régalien », prévient l’un de ses soutiens. Et d’inviter son champion à tirer les conséquences d’un éventuel échec, mais pas n’importe comment : « Il faudra en faire des tonnes ! Retailleau doit prendre les Français à témoins, leur expliquer qu’il a tout fait pour renverser la table, mais qu’on ne lui en a pas donné les moyens. » Quel que soit l’avenir de ce texte, la question de la participation au gouvernement de Bruno Retailleau, et plus généralement des LR, continuera de se poser.
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