
Il y avait du suspense à Bercy vendredi soir, et on imagine les soupirs de soulagement après le verdict de Fitch. Comme sa consœur Standard and Poor’s il y a deux semaines, l’agence de notation américaine a choisi d’accorder un sursis à la France en maintenant sa note de crédit à AA- assorti d’une perspective négative. Le ministre de l’Économie, Éric Lombard, s’est sobrement contenté de « prendre note » de ce répit. Il s’agit de faire profil bas : déchoir de la catégorie « double A » signifierait sortir du scope des grands fonds internationaux, qui n’achètent que de la dette premium. Un tel déclassement aurait une incidence immédiate sur nos taux d’emprunts souverains déjà élevés (3,6 % vendredi pour l’OAT à dix ans). Cette fois, la France échappe à la rétrogradation, mais pour encore combien de temps ? Car la situation est alarmante. Les finances publiques françaises se dégradent inexorablement depuis la perte symbolique du AAA en janvier 2012, et malgré les promesses répétées de rétablissement.
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Au dernier relevé de compteur fin décembre 2024, la dette publique française atteignait 3 303 milliards d’euros (113,7 % du PIB, +26 points en sept ans). Cette énorme hypothèque sur l’avenir devrait s’alourdir d’environ 150 milliards d’euros supplémentaires d’ici la fin de l’année. Hypertrophiée (58 % du PIB), la dépense publique française croît à un rythme deux fois plus élevé que la richesse nationale, hors de tout contrôle. La trajectoire est insoutenable. Perte de maîtrise du carnet de chèques, accident de recettes de l’impôt sur les sociétés fin 2023, dérapage inattendu du déficit… Plus qu’une dérive, c’est un renoncement. Et les promesses de sérieux budgétaire ne convainquent plus grand monde.
L’État-providence des uns, l’enfer fiscal des autres
Le tableau serait déjà sombre si l’alerte n’était que financière et budgétaire. Mais les fondements même de l’économie française sont inquiétants. Nous croissons moins vite (+10 % depuis 2017) que la moyenne européenne (+15 %). Nous avons toujours autant de mal à faire travailler tous les Français (68 % de taux d’emploi). Notre productivité recule (recul du PIB par heure travaillée), et la pauvreté augmente plus vite en France que n’importe où ailleurs en Europe. Notre enrichissement collectif tourne à faible régime depuis près d’un demi-siècle. La France possède encore le 7e PIB mondial, mais nous sommes désormais 25e en PIB par habitant, et 30e en tenant compte du coût de la vie. Pour atténuer ce relatif déclassement, nous avons pris l’habitude que l’État soutienne les niveaux de vie par l’emploi public et les béquilles sociales. C’est un autre record mondial pour la France : la part de nos dépenses de protection sociale rapportée à la richesse nationale (voir graphique n° XX). Notre société vieillissante ne parvient plus à financer cette générosité par le seul travail et les cotisations sociales. La dette finance de plus en plus ouvertement les caisses de la sécu. Et pour financer l’État-providence des uns, on augmente la pression fiscale des uns, avec des effets délétères sur la valeur travail et le consentement à l’impôt.
Le « réarmement » serait-il l’occasion de mettre en branle un pays sclérosé ?
Obsolète débat sur les retraites
Et puis Donald Trump revint à la Maison Blanche. Son retour tonitruant bouleverse comme jamais le statu quo dans lequel l’économie française vivote depuis des années. Stupeur et tremblements, fascination et envie aussi, parmi les grands patrons français qui se disent que lui, crée pour de vrai un comité de la hache dans la dépense publique. Lui, ose entrer dans le maquis des normes et des règlements paralysants. Trump secoue l’Amérique, sa diplomatie confirme les doutes sur la garantie de sécurité américaine en Europe. Branle-bas de combat dans le Vieux Monde, il faut se réarmer, des perspectives nouvelles s’ouvrent ! Le « réarmement » serait-il l’occasion de mettre en mouvement un pays sclérosé ? C’est peut-être bien l’arrière-pensée d’Emmanuel Macron lorsqu’il en appelle à la « force d’âme » des Français le 5 mars. Plus de travail dans la semaine ou la vie, moins de normes et de dépense sociale, une vraie lutte contre les fraudes (20 milliards détectés en 2024), l’extinction du débat sur les retraites : ce que la volonté politique n’a pas réussi à réaliser ou imposer aux Français, l’effort de défense nous y contraindra-t-il ? C’est l’espoir exprimé par Édouard Philippe dans Le Figaro et l’économiste et président du COR Gilbert Cette (le débat « dérisoire » sur les retraites). Ou encore par Nicolas Dufourcq, le directeur général de Bpifrance qui appelait, au lendemain d’Emmanuel Macron, à réserver la dette à la défense plutôt qu’au « doliprane de [sa] mère » et au « grand loisir » des « faux vieux » retraités…
Les Français mordront-ils à l’hameçon d’un réarmement conçu comme l’opportunité d’une cure libérale pour l’économie française ? La peur de la guerre est un moteur puissant. Changera-t-elle l’ordre des priorités, du social vers le régalien ? La perspective d’une telle bascule explique en partie la clémence temporaire de Fitch, qui regarde les événements présents comme un accélérateur d’Europe. Avant même de publier la nouvelle note de la France, l’agence relevait que « le plan ReArm Europe [de la Commission européenne] permettrait de réaffirmer l’importance politique de l’UE, ce qui constitue un facteur-clé de notation ». Autrement dit, la France et ses finances publiques en lambeaux gagneraient en crédibilité dans une Europe augmentée par la menace russe, dans un nouveau moment hamiltonien cinq ans après la crise du Covid. Une Europe où le parapluie nucléaire français aurait comme pendant le parapluie financier de la signature de Bruxelles…
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