C’est ça, une personne de scène : on la retrouve dans les coulisses du théâtre où elle se produira, se maquillant devant un de ces mythiques miroirs de loge. Personne n’a encore envoyé de fleurs, mais c’est bien normal : le spectacle ne commence que dans une semaine. Qu’à cela ne tienne, Liane Foly parle avec émotion mais sans se laisser submerger : si la vie lui a envoyé des épreuves « comme à tout le monde », elle reste lucide et drôle.
À l’entendre revenir sur sa vie, on sent s’élaborer une trame, tissée de trois fils rouges : l’envie, l’humour et la liberté. Est-ce en 1987, à sa signature chez Virgin Records, qu’elle prend conscience de sa vocation ? Ou à 7, 8 ans, quand elle suit des cours très complets de comédie musicale – chant, danse, claquettes… ? À moins que ce ne soit juste avant, quand ses parents, libres, curieux et amoureux, lui faisaient écouter les artistes de la Motown ?
« Je suis locataire sur cette Terre »
Car c’est bien auprès de ce couple, transi d’amour soixante ans durant, que tout a commencé : à Lyon, à La Droguerie du sourire, le commerce de ces parents solaires, elle se « produit » déjà, elle y imite les clients, ses professeurs, ses camarades de classe. Pendant ce temps, père et mère la laissent croître en talent, persuadés qu’il faut la laisser faire ses choix – une singularité, quand la plupart des parents refusent à leur progéniture de « jouer les saltimbanques ».
Elle leur en sera éternellement reconnaissante ; la gratitude effleure à chacune de ses phrases quand elle parle d’eux et, dès le début de sa carrière, Liane décide de leur faire partager ses succès et toutes ces occasions : « C’étaient mon roi et ma reine, je me devais de les gâter et je crois que je leur ai apporté un bonheur visible à l’œil nu », dit-elle sans fausse modestie.
Et ainsi, de joies en tournées, ces deux pieds-noirs – qui avaient préféré la valise au cercueil en 1962 – s’émerveillent de voir grandir leur fille, elle qui était leur « bonne raison d’aller mieux et d’oublier ce qu’ils avaient vécu en Algérie ». Elle se souvient, un rire au coin de la bouche, de son père, scotché sous l’affiche qui annonçait son concert avec Michel Legrand à Las Vegas en 1999 : « Il était ébahi, il fallait le tirer par la manche pour le décrocher. »
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Le spectacle, une vocation cousue de fil blanc ? Plus précisément la scène : « Je rêvais d’être prof ou avocate, parce que je me disais qu’il me fallait choisir une profession où j’étais sur une estrade. J’aimais bien aussi le métier de traductrice, un truc où on s’exprime, où on parle à une foule, quelque chose qui fasse qu’on est en démonstration. » Une vraie show-woman dès son plus jeune âge, donc, qui réfute les étiquettes tout en les additionnant : auteur, compositrice, interprète mais aussi doubleuse, voix off… et imitatrice.
La voix des autres
C’est en 2007 qu’elle tisse cette nouvelle corde à son arc atypique, un premier spectacle monté sur les conseils de Jean-Jacques Goldman et Jean-Claude Brialy, qui sentent le potentiel d’une artiste au-delà des genres. Une touche-à-tout à qui le chanteur de Je te donne donne ce conseil : « Fais une parenthèse dans ta carrière de chanteuse. » Le nom de son spectacle était tout trouvé, le théâtre Marigny pouvait accueillir La Folle parenthèse et faire découvrir au public ce qu’elle offrait si bien à ses proches en coulisses : le rire.
« Faire rire une salle, il n’y a rien de mieux »
Un triomphe que Jean-Claude Brialy, décédé une semaine avant la première, ne verra pas, une absence qui la marquera, une plaie qui, comme une parenthèse, restera ouverte. Comme un hommage et forte de cet essai transformé, elle lance un deuxième spectacle en 2011, La Folle part en cure, puis elle achève ces derniers mois la trilogie avec son dernier-né, La Folle repart en thèse.
Tout à trac, nous lui demandons : très franchement, n’est-ce pas plus facile de procurer des émotions par le chant que par le rire ? « Quand on chante, oui, on est applaudi, c’est bien, mais alors faire rire une salle, il n’y a rien de mieux. Et, dans le registre de la comédie, l’imitation, c’est encore autre chose : j’incarne quelqu’un d’autre et dès que j’ai sa voix, je la garde, elle ne part pas. C’est magique, la voix des autres est gravée en moi, comme si je me faisais tatouer leurs cordes vocales. »
La folie extralucide
Libre, drôle, elle glisse ses personnages fétiches et reprend d’un air détaché : « La scène, c’est ma maison : c’est là que je suis heureuse, c’est une addiction et un besoin. Mais ce n’est pas une raison de vivre. Quand je me suis arrêtée pendant le confinement, j’ai continué ma vie et j’étais très contente ainsi. » Pas d’idéalisation, donc, mais une grande lucidité : quand elle a débuté, bien sûr la peur était une compagne régulière, bientôt suivie du plaisir de faire, mais finalement chassée par la maîtrise.
Une maîtrise qui vient avec les deux moteurs de l’existence, pour Liane Foly : l’envie et le choix. Le reste importe peu : « Réussir sa vie, c’est aussi se pencher sur ses propres besoins, arrêter de perdre de l’énergie à vouloir faire plaisir à tout le monde et poser ses choix. On finit par comprendre qu’en prenant de l’âge, on prend du plaisir et on en profite. »
De cette maturité de « sexygénaire », elle tire une sérénité réaliste : « Le voyage est très court, alors il faut le vivre le mieux possible. J’ai fait le métier que je voulais et je reste consciente que je suis locataire sur cette Terre : je suis très reconnaissante de mon chemin et ce n’est pas terminé. J’ai encore beaucoup de projets : un livre, une pièce de théâtre, une comédie musicale… » Devant notre surprise s’étale pourtant une évidence : la jeune fille espiègle qui rêvait de Broadway devait bien finir meneuse de revue : une artiste complète, on vous dit !
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