Les danseurs n’ont pas de lames de rasoir sous leurs chaussures, comme celles cachées dans les visières des casquettes dans la série originale. Mais la compagnie Rambert, à l’affiche de Peaky Blinders. The Redemption of Thomas Shelby, partage un point commun avec ce clan mafieux qui régnait en maître à Birmingham dans les années 1920 : la plus ancienne compagnie de danse d’Angleterre, créée en 1926, et les personnages de la célèbre fiction sont contemporains. « La troupe se produisait dans des usines, devant les ouvriers, confie son directeur artistique, Benoit Swan Pouffer. C’est ce que j’ai raconté à Steve Knight, le créateur de la série, le jour où je l’ai rencontré. Il a tout de suite vu une évidence. Il existe un lien véritable entre nous. »
Les deux hommes commencent par travailler ensemble sur un épisode (le cinquième de la saison 4), où le chorégraphe est invité pour orchestrer une scène. L’essai est largement concluant. « Steve Knight m’a dit : “Là où j’ai besoin d’écrire 20 pages de script pour transmettre des émotions, toi tu le fais en trente secondes.” » Benoît Swan Pouffer se voit alors confier l’adaptation du programme mythique qu’il transforme en un spectacle de danse fastueux et fiévreux, sans dialogue. Nul besoin d’avoir vu les 36 épisodes sur l’ascension puis la chute du sulfureux Thomas Shelby pour comprendre ce qui se passe sur le plateau. Le récit est raconté par une voix off, emportée par une bande originale qui reprend les morceaux emblématiques de la série. Après avoir tourné avec succès en Angleterre, le spectacle s’installe à la Seine Musicale.
Le show s’ouvre sur une scène de guerre, dans les tranchées, dont des jeunes hommes vont revenir traumatisés et fracassés, avant de faire régner la violence dans les bas-fonds de Birmingham. Mais il est aussi question d’amour, celui entre Thomas Shelby et une belle espionne irlandaise. « Il s’agit de raconter les tourments d’un homme. C’est à la fois 100 % Peaky et 100 % universel. La danse est un formidable outil pour raconter leur histoire, tout passe par leur corps. »
« Pas de corps de ballet chez nous, chaque danseur est unique »
Présenter Peaky Blinders à Paris n’est pas anodin pour Benoit Swan Pouffer. Le chorégraphe, ancien danseur, n’avait encore jamais présenté l’une de ses créations dans l’Hexagone. « Enfin ! La France reste mon pays même si je l’ai quittée il y a trente ans. Je suis très reconnaissant de toutes les chances qui m’y ont été offertes. » Né à Paris, ce fils unique élevé par une mère célibataire a grandi à Bobigny puis dans le 3e arrondissement de la capitale. Sa vocation est née à l’âge de six ans quand sa meilleure amie l’invite à son spectacle de fin d’année. « J’ai vu des ballons descendre du ciel et j’ai dit à ma mère : “Je veux être sur scène avec eux, je veux faire de la danse.” »
Il commence à prendre des cours à la Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis (MC93). Puis au Conservatoire de Bobigny où sa professeur, une petite Italienne avec un bâton en bois à la main, l’encourage à entrer au Conservatoire de Paris. À 18 ans, il part seul pour New York avec son anglais scolaire pour entrer chez Alvin Ailey. « Je serais allé jusqu’en Alaska s’il avait fallu ! J’ai su très jeune que je voulais rejoindre cette compagnie dans laquelle je me reconnaissais vraiment, avec une vraie diversité de danseurs et un chorégraphe noir. » Il va y rester sept ans.
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Au même moment, une milliardaire excentrique vient de racheter deux bâtiments qui appartenaient à la photographe Annie Leibovitz pour y créer une nouvelle compagnie, le Cedar Lake Contemporary Ballet. Benoit Swan Pouffer en devient rapidement le directeur artistique. Il invite les chorégraphes Crystal Pite, Alexander Ekman ou Hofesh Shechter, qui ne s’étaient encore jamais produits aux États-Unis. Le New York Times écrit à son sujet : « Probablement la troupe de ballet contemporain la plus innovante du pays ». Il part au bout d’une dizaine d’années, collabore avec Franco Dragone, travaille à Macao, à Dubaï et même à Moscou pour une « Madonna russe de 1,95 mètre avec de la barbe. »
Il a rejoint aujourd’hui la compagnie Rambert qui va fêter son centenaire en 2026. Située face à la Tamise et au National Theatre, à Londres, cette fringante institution multiplie les projets. « Il n’y a pas de corps de ballet chez nous. Chacun des dix-huit danseurs est unique, avec sa propre histoire à raconter. » Au sous-sol du bâtiment se cache leur caverne d’Ali Baba : une salle d’archives où sont stockés tous les trésors de la compagnie depuis sa création, dont les premiers costumes des années 1920. Heureusement sans lames de rasoir dissimulées dans les tutus.
Peaky Blinders. The Redemption of Thomas Shelby, à la Seine Musicale (92100 Boulogne-Billancourt). 2 heures. Du 12 au 30 mars. laseinemusicale.com
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