
C’est un ouvrage qui pourrait éclairer, si on le relisait, les temps présents. Je parle du livre Les deux patries de Jean de Viguerie, paru en 1998. Jean de Viguerie y racontait à travers l’histoire de France l’idée de patrie et son basculement, à l’âge révolutionnaire. La patrie, disait-il, fut d’abord chose charnelle. Elle relevait des mœurs, de la culture et de l’identité. La vocation d’un homme était de recevoir sa patrie sous le signe de la gratitude, et de la transmettre, tout en l’améliorant, sous des traits reconnaissables à ses héritiers.
Publicité
La suite après cette publicité
Mais la modernité, et plus exactement, la modernité révolutionnaire, est passée par là. Si elle a conservé la référence à la patrie, tellement sa charge existentielle était forte, elle en a changé le sens, profondément, en la désincarnant, pour la fixer plutôt sur une définition abstraite, désincarnée, tenant essentiellement dans le culte de la République, passée, en deux siècles, de régime à religion politique. La patrie ne désignait plus alors un peuple concret, historique, mais un idéal à partir duquel forger, rééduquer, ou réformer une population, un groupe humain, pour accoucher d’un homme nouveau, nu, universel, sans médiations. Il fallait broyer le peuple ensuite, pour mieux construire une patrie nouvelle, la population d’un pays étant ici transformée en pâte à modeler idéologique.
Emmanuel Macron redécouvre le patriotisme
Ceux qui refuseront cette conversion à une définition strictement républicaine de la patrie seront assimilés à l’anti-France. Aujourd’hui, ils sont refoulés derrière le cordon sanitaire. Cette histoire n’est pas exclusivement française. La Russie, au XXe siècle, est devenue l’URSS. Les États-Unis ont cessé de se définir par leur matrice culturelle fondamentale, issue des treize colonies, pour devenir un pays messianique, censé devenir le laboratoire d’une humanité nouvelle. Ils se veulent pourtant très patriotes. Et pourtant, ce livre, on le connaît bien peu. Non pas parce que son auteur n’était pas reconnu par la confrérie des historiens. De l’avis de tous, c’en était un grand. Mais parce qu’il était d’une autre orientation métaphysique que ses chers collègues, comme il l’a raconté dans un autre très beau livre, Itinéraire d’un historien. Jean de Viguerie était un catholique de tradition. Cela ne se pardonne pas socialement.
Emmanuel Macron ne nous avait-il pas dit que la culture française n’existait pas ?
Cet ouvrage, aujourd’hui, trouve une singulière pertinence, au moment où le président de la République découvre un patriotisme qu’il semblait dédaigner récemment encore. Des deux patries, nous passons aux deux patriotismes. Emmanuel Macron ne nous avait-il pas dit que la culture française n’existait pas ? Ne voyait-il pas chez les siens des Gaulois réfractaires ? N’est-il pas partisan d’une unification toujours plus grande de l’Europe, et ne rêve-t-il pas d’un grand saut fédéral, qu’il croit rendu possible par les circonstances ?
La France au service d’une Europe impériale
Pourtant, je l’ai dit, au moment de plaider pour un réarmement français et européen, il l’a fait au nom du patriotisme. Mais il ne s’agit pas chez lui, à moins que je ne l’aie mal compris, de défendre l’identité française, de lutter contre la submersion migratoire, de reconquérir les territoires conquis par l’islamisme, de démanteler les forteresses des narco-baronnies qui se multiplient, ou de récupérer la souveraineté confisquée par la technostructure européenne. Ceux qui plaident pour cela, normalement, on les assimile à l’extrême droite.
La suite après cette publicité
Il s’agit de défendre la frontière ukrainienne, ce qui est assurément une noble cause, d’autant que les Ukrainiens, quoi qu’on en dise, se battent moins pour une idée lointaine de l’Europe que pour l’indépendance de leur pays. Il s’agit aussi, on l’aura compris, de mettre le patriotisme français au service de l’Europe impériale à venir, comme si la vocation historique de la France consistait à mobiliser ses dernières forces identitaires pour se projeter dans une Europe où certains l’imaginent se grandir, et où elle risque plutôt de se dissoudre, une fois pour toutes.
Source : Lire Plus