« Faire un service civique, c’est grave rentable, je me retrouve à travailler avec les enfants en animation et à voyager tout le week-end », vante Ilona, en service civique en Tunisie, à ses abonnés sur TikTok. Rentable pour qui ? Le service civique fête ses 15 ans. Créé le 10 mars 2010, ce programme permet à des jeunes de 16 à 25 ans de réaliser une mission d’intérêt général de 6 à 12 mois, en France ou à l’étranger. Sur les 620 euros de compensation que touche en moyenne chaque mois un volontaire, 505 euros sont pris en charge par l’État et 115 euros par l’organisme d’accueil. Un budget de 580 millions d’euros pour le pays en 2025.
Le service civique, « c’est bénef », assure Assamao, une autre volontaire partie en Tunisie pour l’organisme Cool’eurs du Monde. « Si t’as envie de profiter, de voyager, de t’acheter des trucs […] 500 euros en France c’est rien, mais ici c’est bien plus que le Smic ! », explique-t-elle. Une cinquantaine de volontaires effectuent cette année leur service civique au sein de cette association située à Lormont (Gironde). « La moitié d’entre eux sont des Français qui partent dans nos pays partenaires – beaucoup en Afrique de l’Ouest, au Sénégal, au Togo, au Guinée, aussi au Maghreb – et l’autre moitié sont des jeunes de ces pays qui viennent en mission en Nouvelle-Aquitaine », détaille Fanny, coordinatrice du volontariat chez Cool’eurs du monde.
Tous, y compris les volontaires étrangers, sont rémunérés par l’État à hauteur d’environ 500 euros par mois. L’association, de son côté, prend en charge les billets d’avion, l’hébergement et le visa. Comment ? « Grâce à des cofinancements, notamment des collectivités comme la région Nouvelle-Aquitaine, des villes de Lormont et Cenon, du département de la Gironde et de l’Agence française de développement (AFD) », poursuit la coordinatrice. Sous le feu des projecteurs depuis que la députée européenne Reconquête Sarah Knafo l’a accusée de dépenser de l’argent public à mauvais escient, l’AFD n’est peut-être qu’une pièce du puzzle…
Des organismes d’accueil étonnants
Si les missions à l’étranger ne concernent qu’une minorité des volontaires, elles ont déjà permis, aux frais de l’État, à 10 000 jeunes de vivre une « expérience interculturelle unique » dans 73 pays. En théorie, seuls les organismes à but non lucratif et les personnes morales de droit public peuvent accueillir des volontaires en service civique. En théorie toujours, ces organismes doivent œuvrer « à l’intérêt général ». De quel intérêt général est-il question, lors de missions à l’étranger ou d’aide aux migrants ? Ni l’Agence du Service civique (ASC), ni le ministère des Sports, de la Jeunesse et de la Vie associative qui en a la tutelle, n’ont souhaité répondre à cette question.
Parmi la longue liste d’organismes d’accueil qui viennent en aide aux étrangers, on retrouve notamment la Cimade, une association de solidarité et de soutien aux migrants, réfugiés et demandeurs d’asile disposant d’un agrément du service civique depuis 2014. Fin janvier, Bruno Retailleau, interrogé sur la Cimade, avait regretté que « l’État finance des associations qui luttent contre la politique que souhaite le peuple français ». « Certaines de ces associations conseillent même aux migrants de ne pas se rendre aux rendez-vous consulaires pour bloquer leur identification », avait fustigé auprès de L’Express le ministre de l’Intérieur. Les jeunes du service civique ont-ils déjà participé à de telles actions ? Impossible d’infirmer cette hypothèse. La Cimade se contente de nous assurer qu’elle n’a actuellement « aucun volontaire ».
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850 000 jeunes engagés
Si vous avez entre 16 et 25 ans, jusqu’à 30 ans en situation de handicap, vous pouvez faire votre service civique à La Plume Bleue, une école primaire pour laquelle « le Coran a une valeur inestimable et a le mérite d’être appris bien plus que n’importe quelle autre parole » (extrait du Journal n° 11 de l’école). Cet établissement privé hors contrat à Villefranche-sur-Saône, près de Lyon, a reçu son agrément pour trois ans en mai dernier. Le service civique ne peut pas être réalisé dans une association cultuelle ou politique, une congrégation, une fondation d’entreprise ou un comité d’entreprise, précise pourtant le site de l’ASC.
Si l’école assure au JDD ne pas être une association cultuelle, elle accueille toutefois ses élèves dans les locaux d’une mosquée de la Communauté Islamique du Milli Gorus (CIMG) – qualifiée « d’ennemie de la République » par Gérald Darmanin en 2021 après son refus de signer la charte des principes de l’islam de France et considérée par de nombreux experts comme la matrice de l’islam politique turc. L’école primaire, qui se dit indépendante de la mosquée, est pilotée par l’Union européenne pour l’enseignement privé musulman. Une entité créée en 2014 par Fatih Sarikir, qui n’est autre que… l’ancien président de la CIMG. « La Plume bleue »n’a pour l’instant pas de volontaires en service civique, mais « cela ne saurait tarder », nous confie l’établissement.
Pour ses 15 ans, l’opérateur se félicite d’avoir permis à 850 000 « volontaires » de s’être engagés « au service des autres », soit un jeune sur 10 chaque année. Parmi eux, 87 % se disent satisfaits après leur mission. Un joli score, certes. Mais à quel prix ? Créé pour « renforcer la cohésion nationale et la mixité sociale », le service civique propose aujourd’hui des missions dans 9 100 organismes d’accueil. Autant de structures qu’il faudrait, en théorie encore une fois, contrôler afin de s’assurer que les jeunes œuvrent bien en faveur de « l’intérêt général ». Difficile lorsque ce concept, évoqué par lors de la nomination de son dernier gouvernement, ne met plus personne d’accord. Un concept flou, qu’Emmanuel Macron a évoqué lors de la nomination du dernier gouvernement… en se gardant bien de le définir.
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