Le JDNews. Quels sont les ressorts de la nouvelle politique étrangère américaine ?
Philippe de Villiers. Il y en a trois, ce sont trois mythes, revisités par Donald Trump. Le premier, c’est la frontière. Donald Trump est ce qu’on appelle, aux États-Unis, un frontiersman. Il revisite l’imaginaire national du territoire à conquérir entre les deux océans. Son idée de récupérer le Groenland et de retrouver le canal de Panama s’inscrit dans ces retrouvailles avec l’idée fondatrice de la frontière. Le deuxième ressort est le mythe jacksonien : America First. On s’occupe du ranch, pas d’autre chose. Donald Trump a été très marqué par une confidence qu’il a reçue de l’ancien président Jimmy Carter, qui lui a dit : « Savez-vous pourquoi la Chine nous devance ? J’ai normalisé la relation diplomatique avec Pékin en 1979. Depuis, la Chine n’est pas entrée en guerre une seule fois, alors que nous sommes constamment en guerre. Nous avons gaspillé 300 milliards de dollars en dépenses militaires pour soumettre des pays qui cherchaient à sortir de notre hégémonie. La Chine, elle, n’a pas gaspillé un sou pour la guerre. »
Depuis, Trump veut faire des deals, et faire la paix. Le troisième mythe est celui de la « destinée manifeste ». Le God Bless America au nom de la mission divine de l’Amérique. Trump et son vice-président, J. D. Vance, méprisent aujourd’hui l’Europe décadente, le Vieux Continent. C’est le fameux discours de Vance à Munich, qui rejoint celui de Soljenitsyne à Harvard. Le système occidental va vers son état ultime d’épuisement spirituel : un juridisme sans âme, un humanisme rationaliste et l’abolition de la vie intérieure. L’Amérique d’aujourd’hui ne souhaite plus aider et protéger un continent aux prises avec le Wokistan et l’Islamistan.
Diriez-vous que, depuis trois ans, on nous a dit la vérité sur ce qui se passait en Ukraine ?
Depuis trois ans, nos porte-parole sont dans la propagande, ils égrainent un chapelet de mensonges. Trois contrevérités ont été assénées par les pouvoirs publics, tout à fait contraires à ce qui se passait sur le terrain. On nous a d’abord expliqué que les sanctions avaient une efficacité redoutable, que, selon le mot de Bruno Le Maire, « la Russie était à genoux », mais les Français ont été amenés à constater que les sanctions avaient un terrible effet sur la France. Nous achetons aujourd’hui notre gaz liquéfié aux États-Unis, quatre fois le prix du gaz russe. On nous a menti : les sanctions ont sanctionné ceux qui sanctionnaient. On nous a dit ensuite que la Russie était isolée, qu’elle ne savait plus vers qui se tourner, qu’elle était seule. Mais isolée avec la Chine, l’Inde, les Brics, le Sud global, qui compte 4 milliards d’habitants. En fait, c’est nous qui sommes isolés. Ce nouveau mensonge est encore plus gros que le premier. Enfin, on nous a dit que les contre-offensives ukrainiennes seraient des réussites, que les Russes seraient surpris, que la victoire était pour l’automne, que l’Ukraine allait triompher. Alors que sur le terrain, n’importe quel observateur pouvait constater un déséquilibre croissant des forces.
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Que vous évoque le discours d’Emmanuel Macron sur la guerre ?
Vous connaissez l’histoire du gars qui prend l’autoroute à contre-sens ? Il entend les klaxons et continue à foncer comme un fou. Le discours d’Emmanuel Macron lui ressemble. Il déclare la guerre au moment où le monde entier veut faire la paix. Son discours sur la menace russe était surréaliste : il a feint d’ignorer les négociations en cours entre Américains et Russes. Il n’a jamais cherché à imposer la France comme force de médiation pour l’après-guerre qui se profile. Il ne nous a pas dit que Trump et Poutine vont se réconcilier sur notre dos, nous laissant seuls avec l’Ukraine pour payer la facture. Ce qui se passe sous nos yeux est proprement hallucinant. Les Américains nous ont entraînés dans cette guerre à l’anglo-saxonne. Et aujourd’hui, Trump veut la paix. Poutine veut arrêter la guerre. Les négociations se poursuivent à Riyad. Pendant ce temps-là, Macron réunit les chefs d’état-major. Nous sommes devenus des va-t-en-guerre, les derniers va-t-en-guerre de la planète. Macron rêve de Clemenceau. Il pourrait finir comme Deschanel.
« Macron pense que le chaos fédérateur d’une nouvelle guerre permettra de fédéraliser l’Europe »
La Russie est-elle, selon vous, pour la France, une menace existentielle ?
C’est un fantasme. Le fantasme de quelqu’un qui n’a plus tout à fait sa raison. Non, la Russie n’est pas une menace. Elle occupe moins de 20 % du territoire ukrainien. Cette guerre l’a beaucoup affaiblie. Nous sommes d’ailleurs devant une curiosité : l’Amérique, d’habitude, n’écoute personne. Or on a un président américain qui a fait l’effort de comprendre ce que veut aujourd’hui la Russie. La Russie a expliqué à la réunion de Riyad qu’elle a, avec l’Ukraine, une relation historique ancienne. C’est à Chersonèse qu’a eu lieu le baptême de Vladimir ; c’est à Kiev qu’a eu lieu le baptême du peuple russe. Il y a entre ces deux peuples slaves une relation affective, ancienne, et même fondatrice. C’est la raison pour laquelle la Russie, depuis quarante ans, s’oppose, et on peut le comprendre, à ce que l’Otan, qui ne cesse de s’élargir, finisse par avaler l’Ukraine. La Russie veut pour son voisin un statut de neutralité. Les présidents français, notamment Chirac et Sarkozy, avaient parfaitement compris ce que Kissinger avait lui-même très bien expliqué. L’Ukraine doit être un pont entre la Russie et l’Europe. Il ne faut pas mettre physiquement à touche-touche deux puissances nucléaires.
Existe-t-il une menace existentielle ? Si oui, quelle est-elle ?
Macron connaît la vraie menace existentielle. Il n’a fait que l’accroître, la rendre plus existentielle encore au long de ces huit années. La France a perdu le contrôle de son destin. Son pronostic vital est engagé. Sur le plan démographique d’abord, puisque le taux de natalité est en chute libre, bientôt irréversible. Ensuite sur le plan financier, puisque la spirale de nos finances publiques nous coule aux yeux du monde. Enfin, le pronostic vital est engagé parce que nous assistons à un changement de peuple sans précédent. Bientôt, la France ne sera plus la France. La terre de France porte sur son sol deux peuples, aujourd’hui côte à côte, demain face à face. Un peuple jeune, celui des arrivants, qui s’installe chez nous avec ses fiertés, ses croyances, ses mœurs, sa religion. Et face à lui, un peuple exténué, qui ne sait plus où il habite, qui a perdu la tête, la mémoire, et qui a perdu jusqu’à l’envie de survivre. La voilà, la menace existentielle.
Quelle est, selon vous, la motivation d’Emmanuel Macron ?
Emmanuel Macron est en panique depuis la dissolution. Il boit la tasse. Il est comme un noyé du Titanic qui cherche une poutre dans l’eau, à laquelle il pourrait s’accrocher pour dériver. La poutre, c’est la guerre. Il a eu le Covid – l’enfermisme –, il a eu la guerre en Ukraine – la réélection –, et maintenant, il veut faire la guerre à la Russie pour reprendre des joues. Il est pris entre deux tentations : la tentation maréchaliste, pour relancer son quinquennat crépusculaire. Il fait don de sa personne à l’Ukraine. Et la tentation bismarckienne, qui consiste à utiliser la guerre pour faire une Europe supra-étatique. Macron pense que le chaos fédérateur d’une nouvelle guerre permettra de fédéraliser l’Europe. C’est le fameux spill-over effect, l’engrenage fédéraliste, préconisé par Jean Monnet. Ouvrir une crise, s’y engouffrer pour « fédéraliser ».
Qu’entendez-vous par « fédéraliser » ?
Ce verbe correspond à quelque chose que le grand public ne voit pas. Nous sommes à la veille du troisième plan de fédéralisation. Le premier, c’est le plan Covid qui s’est traduit par un emprunt communautaire effectué par la Commission de 800 milliards d’euros. La Cour des comptes européenne a d’ailleurs violemment critiqué ce plan, puisque la moitié de l’argent est restée dans les caisses des États, que les fraudes ont été massives et que l’Union européenne cherche toujours les ressources fiscales pour le remboursement. Le second emprunt effectué par la Commission, resté à l’état de projet pour l’instant, est le rapport Draghi. C’est un plan de relance contre le décrochage de l’Europe : décrochage de la croissance, du commerce des biens manufacturés et de l’investissement productif. Ces plans sont des détours tactiques, des sauts hamiltoniens, des sauts fédéralistes cachés.
L’expression renvoie à l’année 1790, quand le secrétaire américain au Trésor, Alexander Hamilton, a présidé à la reprise par le jeune gouvernement fédéral des dettes contractées par les États américains. La potentielle future mise en place d’une dette commune européenne sera ainsi une occasion de donner le pouvoir, tout le pouvoir, aux commissaires de Bruxelles.
Quelle définition donneriez-vous de l’arme nucléaire, à l’heure où elle s’invite à nouveau dans le débat ?
L’arme nucléaire est une arme rustique. On peut exprimer ainsi sa doctrine : « Si tu fais un pas de plus dans mon jardin, je rase ta maison. » C’est la dissuasion du faible au fort, par le pouvoir égalisateur de l’atome. C’est l’assurance d’une frappe seconde en cas de première frappe. La dissuasion repose donc sur la doctrine de la vulnérabilité mutuelle et des représailles massives.
La possible mutualisation de l’arme nucléaire vous semble être une erreur ?
Elle est dangereuse parce que la dissuasion est ontologiquement liée à la souveraineté. C’est la définition même du général de Gaulle, je le cite : « La défense est la première raison d’être de l’État, il n’y peut manquer sans se détruire lui-même. » Le partage de l’arme nucléaire serait d’ailleurs une violation du traité sur la non-prolifération, signé le 1er juillet 1968 par les cinq États qui en sont dotés. La dissuasion repose sur la crédibilité d’un homme. Je me souviens avoir entendu Hubert Védrine citer François Mitterrand : « La dissuasion, c’est moi. » C’est assez juste. Je repense souvent à cette phrase d’Oscar Wilde : « La beauté, c’est dans le regard de l’autre. »
« La mutualisation de l’arme nucléaire est contraire à la souveraineté »
La dissuasion, c’est aussi dans le regard de l’autre. Si l’adversaire a peur, la dissuasion fonctionne, car c’est une arme de non-emploi. C’est la responsabilité du chef de l’État d’apprécier en permanence la limite des intérêts vitaux. On dit aujourd’hui n’importe quoi sur les intérêts vitaux. Ils ont été définis par le général Gallois, l’inventeur de la bombe atomique. C’est premièrement l’intégrité de notre territoire ; deuxièmement, la protection de notre population ; troisièmement, le libre exercice de notre souveraineté.
Est-ce une erreur de la part d’Emmanuel Macron de l’évoquer ?
Nous sommes à la limite de la forfaiture. La mutualisation de l’arme nucléaire est contraire à la souveraineté. Elle est contraire à la doctrine d’emploi de l’arme, au silence qu’elle impose – le silence comme facteur d’incertitude. Le partage de l’arme nucléaire, c’est le partage de la souveraineté. En réalité, derrière cette lubie macronienne, il y a l’intention sourde d’abandonner la souveraineté nationale au profit d’une souveraineté européenne fantasmatique. Et aussi l’intention sourde de répondre à la commande allemande qui conduira à la perte du siège de membre permanent du Conseil de sécurité. Emmanuel Macron ne comprend pas la France. Sa nation secrète, c’est une patrie cosmique où ses voisins seraient les global shapers, les façonneurs mondiaux du capitalisme de surveillance.
Quel est votre jugement sur le plan d’Ursula von der Leyen sur l’Europe de la Défense ?
Dans ce plan courent deux filigranes, invisibles au premier coup d’œil. Le premier consiste à transférer la compétence de la défense nationale à la Commission de Bruxelles. En d’autres termes, de fédéraliser ce qui est l’essence même de la souveraineté, la sécurité extérieure des États et des peuples. Le second met fin à la singularité française.
En quoi la singularité française est-elle menacée aujourd’hui ?
Il faut d’abord la définir. De tous les États européens, la France est le seul à disposer de trois atouts : l’arme nucléaire, un siège de membre permanent au Conseil de sécurité des Nations unies, et une industrie de défense indépendante des États-Unis. Cette singularité qui nous dote d’une puissance autonome pourrait bientôt disparaître, car Berlin et Bruxelles ont décidé de recréer une sorte de CED, comme en 1954. C’est ce projet qui est repris par Madame Von der Leyen, renommé « Programme européen pour l’industrie de défense ». Sur les 800 milliards prévus, 150 seraient alloués à cet emprunt de la Commission. Et ce programme autorise que 35 % de la valeur des équipements proviennent de technologies extra-européennes. Avec, en prime, un commissaire à la Défense en titre, ce qui consiste à créer un poste nouveau alors que les questions de défense sont encore du ressort des États.
Ce plan aurait pour effet d’en finir avec la singularité française, avec l’industrie de défense indépendante de la France, et permettrait à la Commission de prendre à son compte la défense européenne en créant une armée européenne. Quand on prend de la hauteur, que voit-on ? L’Europe a tué notre agriculture au nom de la préférence communautaire ; elle a délégué notre alimentation au marché mondial ; elle a recommencé avec le Pacte vert qui a fini par tuer notre industrie automobile. La Commission européenne veut le pouvoir, tout le pouvoir, au nom de la fameuse souveraineté européenne.
Le modèle européen d’aujourd’hui vous paraît-il adapté aux temps qui viennent ?
Nous sommes en décalage complet avec la marche du monde. Le « modèle européen », comme vous dites, a été conçu à partir de deux principes : une architecture post-politique sous parapluie américain, visant à la déconstruction des nations. Et l’illusion de la mondialisation heureuse, c’est-à-dire l’avènement du marché comme seul régulateur des pulsions humaines et des tensions du monde. Or, nous sommes entrés dans un post-monde qui succède au nouveau monde devenu l’ancien monde. Ce qui caractérise ce post-monde, c’est d’abord le retour de la frontière : la frontière économique avec le protectionnisme succédant au mondialisme, et la frontière physique pour faire face à l’immigration invasive. Or, l’Europe a été conçue, je cite, comme « un espace sans frontières », comme un corpus juridique et non pas comme un corps politique. Elle est en porte-à-faux.
« L’Europe doit redevenir un concert des nations. Je suis pour le Bruxellit »
Ensuite, c’est le retour de la nation. Or, la « souveraineté européenne » n’est rien d’autre que le faux-nez d’une gouvernance sans peuple. Elle porte l’idée d’une suzeraineté transnationale au service d’une cascade d’allégeances et d’intérêts privés. Nous vivons ensuite le retour du politique. La pointe diamantée du politique, c’est le diplomatique et le militaire. Or, l’Union européenne ne sait pas ce qu’est la vraie diplomatie et jusqu’à présent, elle ignore le militaire. Mais surtout, elle est dirigée par des fonctionnaires non élus : la démocratie a été remplacée par la technocratie de marché. Cette Europe-là est même une tentative inouïe de s’absenter du politique. Enfin, nous assistons au retour de la puissance. La puissance, c’est l’unité au sens culturel, l’identité au sens civilisationnel, la fierté au sens affectif et la fidélité créatrice. Or, l’Union européenne est aujourd’hui un espace diversitaire, celui de l’individu global, de la société liquide et de l’homme de sable.
Comment faudrait-il réformer l’Europe ?
Il faut changer de modèle. Il faut une Europe post-bruxelloise, post-maastrichtienne. Retrouver les racines, la frontière, la nation, le politique, la puissance. Cela passe par la Grande Europe. Les Américains parlent aux Russes, pourquoi pas nous ? Ils sont nos voisins, il faudra bien un jour ou l’autre les retrouver. Comme disait Napoléon, on a la diplomatie de sa géographie. L’Europe doit redevenir un concert des nations, fondé sur la coopération stratégique plutôt que sur l’intégration, sur la liberté des peuples en respectant leur volonté et leur pied-mère. Cette Europe-là, ce sera une Europe française. Je suis pour le Bruxellit…
Emmanuel Macron vient de désavouer Bayrou et Retailleau au sujet des accords de 1968 avec l’Algérie. Que cela vous inspire-t-il ?
Ce gouvernement est un grand bazar, on n’y comprend plus rien. De quoi Emmanuel Macron a-t-il peur ? De la sécession qui guette. Il garde des émeutes de 2023 un souvenir cuisant. Il se souvient que le président Tebboune lui avait écrit pour le mettre en garde « au nom des ressortissants algériens sur le sol français ». Il se souvient des empiètements de souveraineté étrangère qui induisent que la France n’est plus tout à fait souveraine sur son territoire. Il se souvient de la revendication de souveraineté des émeutiers qui traitaient les forces de l’ordre comme des « bandes rivales », « des forces d’occupation ». Il se souvient que l’État souverain n’avait plus les manettes, qu’il n’a rien vu venir, qu’il n’a rien pu arrêter ni suspendre et que ce sont les caïds, les narcotrafiquants, les grands frères qui ont fait cesser les troubles et qui ont exercé l’autorité souveraine. Il sait, Emmanuel Macron, que la France ne se gouverne plus toute seule, qu’elle n’est plus tout à fait chez elle. Il sait que le régalien n’est plus tout à fait le régalien.
Personne, dans ce gouvernement, n’ose trancher dans le vif. Personne n’a analysé ce que signifiait l’attentat de Mulhouse. Personne, parmi les élites, ne semble avoir compris que c’est une guerre qui nous est faite. Nos élites composent aujourd’hui une branchitude avachie qui ne se sent plus de taille à porter le dépôt millénaire, qui rêve de sortir d’elle-même, de s’abolir dans une histoire nouvelle, de se donner à une autre histoire, extérieure, virile. Sourdement, les âmes veules cherchent un nouveau maître. Le nihilisme occidental, prenant congé d’une chrétienté flageolante, s’exerce à cette fascination étrange pour une religion forte qui permettrait de renouer avec la différenciation sexuelle, le combattant au feu et la femme au foyer. L’hédonisme consumériste finit ainsi sa trajectoire, en venant, par une sorte de ruse hypnotique, se fondre dans son exact contraire. Voilà ce qu’est la caste élitaire. Voilà comment va finir la macronie.

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