Nice, Lille, Strasbourg, Amiens… Depuis plusieurs jours, des policiers se rassemblent un peu partout en France pour exprimer leur indignation. En cause : les réquisitions du parquet de Nanterre contre Florian M., auteur du tir mortel ayant coûté la vie à Nahel, 17 ans, mort le 27 juin 2023 après un refus d’obtempérer. Le procureur de la République réclame son renvoi devant la cour d’assises des Hauts-de-Seine pour « meurtre ». Une première dans ce type d’affaires.
« Cette décision est insupportable. Florian M. n’est pas un meurtrier. Je ne suis pas un meurtrier. Les 140 000 forces de l’ordre ne sont pas des meurtriers », fulmine Rudy Manna, porte-parole d’Alliance police, à l’origine des rassemblements. Ce que le syndicaliste dénonce avant tout, c’est le choix du parquet de retenir la qualification d’« homicide volontaire ». « S’il avait été question d’un “homicide involontaire”, on n’aurait rien dit. Mais là, le procureur affirme noir sur blanc que notre collègue a délibérément voulu tuer Nahel. Rien du contexte du drame ni des expertises n’a été pris en compte. »
Si les réquisitions du parquet sont suivies, le policier encourt jusqu’à 30 ans de réclusion criminelle
Le parquet en flagrant délit de méconnaissance
Ces dernières sont pourtant formelles. Lors de la course-poursuite avec les policiers, la Mercedes conduite par Nahel, immatriculée en Pologne, a plusieurs fois dépassé les 90 km/h, atteignant même 116 km/h dans les rues de Nanterre, en pleine heure de pointe. L’adolescent a frôlé deux piétons, dont l’un propulsait une poussette, et manqué de heurter un cycliste de justesse.
Une fois le véhicule arrêté, Nahel refuse d’obtempérer et redémarre. Florian M., se sentant en danger et coincé par un muret, fait feu. La balle, probablement déviée par la voiture en mouvement, atteint le haut du corps de Nahel alors que le policier visait plus bas.
« Si l’objectif de Florian M. était exclusivement d’empêcher le conducteur de redémarrer, il lui était possible de tirer sur le capot ou les pneus du véhicule », avance le parquet de Nanterre dans sa réquisition. Un argument qui fait bondir les policiers. « C’est une méconnaissance totale des protocoles de tir », dénonce Axel Ronde, porte-parole du syndicat CFTC police. Et de préciser : « On ne tire jamais dans les pneus. Nos munitions ne sont pas prévues pour ça : elles peuvent ricocher ou blesser des innocents. Quant au bloc-moteur, c’est exclu aussi. Cela pourrait provoquer une explosion. »
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Autre reproche du parquet vivement contesté par les policiers : le supposé manque de sang-froid de Florian M. « Il fallait oser », ironise Rudy Manna, porte-parole d’Alliance. « Cet homme a des états de service exemplaires. Ancien militaire, il a combattu en Afghanistan et n’a jamais failli. C’est un collègue irréprochable, reconnu pour son sang-froid. » Même défense du côté de Jean-Christophe Couvy, secrétaire national d’UN1TE, le syndicat du policier mis en cause : « Son geste respecte parfaitement la doctrine. Le code de la sécurité intérieure (article L435-1) est très clair : dans ces circonstances, on ne peut pas lui reprocher d’avoir tiré. »
De son côté, Axel Ronde s’inquiète déjà des conséquences de cette réquisition : « Comment voulez-vous qu’on continue à travailler sereinement avec une telle épée de Damoclès au-dessus de nos têtes ? On a une fraction de seconde pour décider d’utiliser notre arme et on finit en cour d’assises comme de vulgaires criminels. » Pour les policiers, cette décision relègue la profession à « une citoyenneté de second rang ». Un constat amer : lorsque des agents trouvent la mort lors de refus d’obtempérer, « jamais des tentatives de meurtre ne sont retenues contre les auteurs », déplore encore Axel Ronde.

La présomption d’innocence piétinée par l’Élysée
Beaucoup redoutent de devenir la variable d’ajustement d’intérêts politiques qui les dépassent. « On a le sentiment qu’il faut charger Florian M. pour acheter la paix sociale », avance Jean-Christophe Couvy. Il faut dire que, dès les premières heures du drame, le ton avait été donné. Vingt-quatre heures après les faits, Emmanuel Macron dénonçait un acte « inexplicable et inexcusable ». « En une phrase, la présomption d’innocence a été piétinée », s’agace Rudy Manna, d’Alliance police.
Un coup de force verbal qui n’a pourtant pas suffi à éviter l’explosion de violences urbaines de l’été 2023, les plus graves de l’histoire récente, selon un rapport sénatorial, pour un coût estimé à un milliard d’euros. Le sort de Florian M., qui a déjà passé plus de quatre mois en détention provisoire, est désormais entre les mains des juges d’instruction. À eux de décider s’il doit être renvoyé devant la cour d’assises pour meurtre. S’ils suivent les réquisitions du parquet, le policier encourt jusqu’à 30 ans de réclusion criminelle. En attendant, la hiérarchie cherche à lui trouver un poste discret, loin de Paris.
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