Produire français tient du sacerdoce, même quand il s’agit d’un produit de luxe. Il en a fallu de la patience pour les certifications administratives, les allers-retours de documents, les visites et l’accompagnement des comités d’experts… Au bout de douze longues années, le graal : la publication au Journal officiel de l’Union européenne, le 18 février dernier, du règlement d’exécution de la première indication géographique caviar dans le monde. Cette bataille de longue haleine n’avait pas dissuadé les producteurs : sept à quatorze ans sont nécessaires pour atteindre la maturité d’un esturgeon !
Mais ces derniers ne sont pas nouveaux dans la région ! Loin de la Caspienne, les précieux grains noirs sont une véritable tradition locale. Les premières traces de pêche d’esturgeon sauvage dans l’estuaire de la Gironde, le plus vaste d’Europe, remontent à 1850. Mais le poisson est alors pêché pour sa chair, et les œufs de la femelle souvent donnés aux canards… C’est ce que découvrent, stupéfaits, après la révolution de 1917, des réfugiés russes de passage à Royan.
Ils vont alors confier l’art de la préparation du caviar aux pêcheurs locaux. L’activité prend son essor dans les années 1920, dans le sillage d’Émile Prunier qui alimente sa table parisienne de la délicate production aquitaine. Mais la surpêche et la pollution vont épuiser les ressources. L’esturgeon local disparaît progressivement, jusqu’à l’interdiction de sa pêche en 1982. Puis dans les années 1990, plusieurs producteurs reconvertissent des piscicultures de truites pour se lancer dans l’élevage de l’esturgeon de Sibérie sur les bassins de l’Isle et d’Arcachon. La première commercialisation de caviar sous la dénomination « Caviar d’Aquitaine » voit le jour en 1996, et l’interdiction en Europe des importations du caviar sauvage russe, devenu trop rare, va lui donner un nouvel élan.
« On a joué une carte totalement inédite quand on s’est sentis menacés par la vague de caviar chinois »
C’était sans compter sur la Chine, qui profite de la nouvelle donne pour s’imposer : elle pèse aujourd’hui la moitié du marché mondial, avec 300 tonnes de production. Voilà pourquoi quatre grands producteurs de Nouvelle-Aquitaine (Sturgeon, Prunier Manufacture, L’Esturgeonnière et Caviar de France) se sont alliés en 2013 pour élaborer le cahier des charges d’une IGP et changer de paradigme. « Dans ce monde du caviar où il n’y a pas forcément beaucoup de transparence dans les affaires, on a joué une carte totalement inédite quand on s’est sentis menacés par la vague de caviar chinois », explique Laurent Dulau, directeur général de Sturgeon et président du nouvel organisme de défense et de gestion (ODG).
Avec un total de 50 tonnes d’œufs d’esturgeon produites par an, la France ne peut rivaliser en volume. La riposte ne pouvait se faire que sur la qualité, comme le fait la filière Caviar d’Aquitaine qui en a produit 16 tonnes en 2024. Triés par couleur et par taille, les grains de caviar sont conditionnés manuellement dans des boîtes rondes en métal, dans lesquelles il est affiné quelques mois avant d’être vendu 2 000 à 4 000 euros le kilo.
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L’IGP garantit que l’intégralité des étapes de production soient effectuées sans OGM ni antibiotiques, dans l’aire géographique concernée : en l’occurrence, en Gironde, dans les Landes, le Lot-et-Garonne, ainsi qu’une partie de la Charente, de la Charente-Maritime, de la Dordogne, du Gers et des Pyrénées-Atlantiques. Atout supplémentaire : sa richesse aromatique. Le caviar d’Aquitaine doit présenter un goût de « notes beurrées, de crème fraîche ou de fruit à coque ». Unique indication géographique caviar dans le monde, l’IGP prend bien le contrepied du caviar chinois qui n’a aucune traçabilité. Avec pour ambition d’en faire la nouvelle référence mondiale de la qualité.
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