Le visage du monde se métamorphose à une vitesse stupéfiante. Les menaces s’accumulent. L’usage désinhibé de la force et le mépris du droit international deviennent la règle. Imprégnée de sa logique impériale, la Russie est un facteur clef de déstabilisation du continent depuis la violation du mémorandum de Budapest de 1994 dans lequel elle garantissait les frontières de l’Ukraine.
Aujourd’hui, Kiev est sous les bombes. Demain ce pourra être la Géorgie, la Moldavie, les pays baltes. Les tensions croissent en mer de Chine. L’Iran et ses affidés, les Houthis, menacent la liberté maritime en mer Rouge. Les puissances révisionnistes donnent le la… Le dernier épisode est le changement de pied des États-Unis abandonnant l’Ukraine en rase campagne. Le plus vieil allié de l’Europe vacille au point que l’Allemagne, l’un des pays les plus atlantistes, s’interroge par la voix du futur chancelier Friedrich Merz sur les garanties de sécurité collective de l’Otan.
Les illusions de la mondialisation heureuse sont derrière nous
Le temps des dividendes de la paix et des illusions de la « mondialisation heureuse » est derrière nous. Désormais l’Europe sait qu’elle peut être seule. À elle de relever le gant de l’autonomie stratégique pour assurer sa sécurité collective et devenir une puissance géopolitique. C’est aux vieilles nations de le faire en étroite coopération, mais en gardant à l’esprit qu’à la fin des fins, c’est toujours pour son drapeau qu’on se bat.
Agir, cela veut d’abord dire garder son calme. Si la Russie a commencé à mener contre nous une guerre hybride, informationnelle et cyber, nul n’imagine les chars russes demain sur la Vistule ou sur le Rhin. Les États-Unis n’ont pas fait part de leur intention de quitter l’Otan. En revanche, la réduction du volume de leurs troupes en Europe est probable (100 000 hommes). Il faut sauver ce qui peut l’être de la relation transatlantique et renforcer notre effort de défense, en mettant en œuvre une souveraineté des nations européennes, affranchies de la tutelle des États-Unis. Le général de Gaulle avait tenté, en vain, de la mettre en œuvre lors du traité de l’Élysée de 1963. Sans qu’on en soit forcément conscient, ce sont ses idées que le présent légitime.
Concrètement, durant la guerre froide, les dépenses de défense étaient entre 3,5 et 4 % du PIB. C’est vers ce chiffre qu’il faut tendre, aux niveaux national et européen. Mais dépenser ne suffit pas : la souveraineté exige de concevoir, produire, acheter européen alors que près de 70 % des achats d’armements viennent encore des États-Unis. Sait-on qu’un F-35 américain acheté par un pays européen ne peut accomplir de mission sans la validation de Washington ? C’est cette dépendance qu’il faut briser. La bataille de la sécurité et de l’autonomie stratégique est d’abord industrielle et technologique.
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Forte de 450 millions d’habitants, riches de son excellence technique, l’Europe est capable de relever le défi à condition d’avoir la volonté de le faire et d’investir en commun dans certains secteurs comme le spatial ou la défense sol-air.
Pour la France, il s’agit d’accélérer sa remontée en puissance, déjà engagée dans ses lois de programmations militaires depuis 2017. Pour notre dissuasion nucléaire et les forces conventionnelles qui l’épaulent, nous dépensons aujourd’hui annuellement un peu plus de 50 milliards. L’estimation du « poids de forme » fixé par le ministre des Armées à une centaine de milliards à atteindre graduellement est raisonnable. Il nous permettrait de renforcer notre flotte, de muscler notre armée de terre et d’augmenter notre parc d’avions Rafale, sans négliger les technologies d’avenir. À terme, cela signifiera réformer notre modèle avec moins de transferts sociaux et plus de production, d’industrie et de croissance.
Pour des raisons militaires mais aussi symboliques vis-à-vis de Washington et de Moscou, il ne serait pas absurde de voter une loi de finances rectificative dès 2025 qui acte ce nouveau cours. Pour demeurer acteur de l’histoire, entre l’impuissance, le chaos et nous, il n’y a que la force de nos volontés. Plus que jamais, le vieil adage latin, « si vis pacem, para bellum » doit redevenir notre maxime d’action.
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