
Mercredi soir, 20h15, la France a peur. « J’étais devant ma télé, j’ai cru que les chars russes étaient en Rhénanie-Westphalie ! » commente un ancien conseiller en communication de l’exécutif. Dans son salon, en banlieue parisienne, un père de famille console son fils de 9 ans, effrayé par l’allocution présidentielle. Dans une ambiance austère, table blanche, fond blanc, le chef de l’État, en costume et cravate noirs, vient en quinze minutes de faire basculer le pays dans un contexte de guerre. « Alors même qu’il avait déjà déclaré la guerre il y a quatre ans lors du Covid », s’étrangle l’ancien conseiller. « Conflit mondial », « sécurité menacée », « agressivité sans frontière », le chef de l’État, flanqué des drapeaux français et européen, prend la posture d’un chef de guerre devant la carte illustrant la progression des Russes en territoire ukrainien. De même pour montrer les sombres desseins de l’envahisseur, un schéma des forces russes à l’horizon 2030 figure une armée de 1 500 000 soldats, de 7 000 chars et de 1 500 avions de chasse. La guerre aussi concrète qu’un plateau du jeu de stratégie Risk, compréhensible par un enfant de 6 ans.
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« Faire peur. » L’Élysée revendique la surenchère du président. « Cela fait sept ans qu’il alerte sur le fait que l’Europe ne peut plus compter sur les USA pour assurer sa défense. Il y a un an, lorsqu’il évoquait la possibilité d’un déploiement de forces européennes en Ukraine, aucun pays n’était prêt à le suivre, décrypte un conseiller de Macron. Cette fois, les vingt-six chefs d’État européens sont alignés et ils ne sont pas frappés d’hallucination collective. » L’unanimisme invoqué par l’Élysée mérite néanmoins d’être relativisé, le Hongrois Orban s’étant opposé aux conclusions sur l’Ukraine, et l’Italienne Meloni ayant dit son désaccord sur l’éventuel déploiement de troupes européennes pour sécuriser la frontière avec la Russie.
Au-delà de la bascule des opinions dans « une nouvelle ère » réorganisant les économies et les industries vers l’imminence d’un conflit armé, Emmanuel Macron joue la surenchère avec Vladimir Poutine auquel il répond directement. Lorsque Vladimir Poutine le compare à Napoléon, le Français le renvoie à un « impérialisme révisionniste ». Provocateur ? Belliqueux ? Là encore, l’Élysée assume. « Si Vladimir Poutine a ciblé Emmanuel Macron au lendemain de son allocution, c’est bien parce qu’on a tapé juste, analyse l’entourage du chef de l’État. Or il ne comprend que la force. Si on laisse le moindre espace à Vladimir Poutine, il le prend et continue d’avancer. Il faut sans attendre systématiquement lui montrer notre force. » La présidence, en dernier ressort, pour achever de convaincre les sceptiques sur sa stratégie, renvoie vers les Armées : « Pas un agent de la DGSE ni aucun gradé ne conteste que la Russie est une menace directe. »
Un narratif écrasant qui laisse peu d’espace à la nuance. Le sujet Ukraine redevenu prégnant, tant par l’épuisement des forces ukrainiennes qui résistent au-delà de ce que prédisaient les stratèges géopolitiques qui les voyaient s’effondrer en trois jours que par le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, élu sur la promesse de mettre fin au conflit « en une journée », replace Macron dans la puissance de la geste présidentielle. Le président a beau être structurellement impopulaire, l’effet drapeau lui redonne crédit et autorité au titre de son rôle de bouclier protecteur face à la menace extérieure. Avec un effet d’autant plus puissant que la guerre « serait » proche de nous.
+13 % dans l’opinion lors de la « guerre » contre le Covid
Lors de l’intervention française au Mali, François Hollande avait connu un rebond de popularité, tout comme Mitterrand lors de la guerre du Golfe en 1991. Dans la dernière étude Ifop pour Ouest-France, publiée vendredi, 31 % des Français approuvent l’action d’Emmanuel Macron comme président de la République (+7). Près d’un sur deux estime qu’il défend bien les intérêts des Français à l’étranger, 37 % (+3) qu’il incarne bien la fonction présidentielle. Quant à la lecture des événements, l’écrasante majorité des Français souscrit au narratif élyséen : 77 % jugent que « la politique menée en Europe par Poutine représente une menace pour la paix » et 66 % estiment que le président a raison quand il dit : « Face à ce monde de dangers, rester spectateur serait une folie. » De là à dire que les citoyens sont prêts à se battre… 65 % d’entre eux (sondage CSA) disent ne pas vouloir envoyer de soldats français en Ukraine.
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Dans ce contexte, le critère de distinction lié à la fonction présidentielle joue à plein, explique Frédéric Dabi de l’Ifop : « Il est le seul incarnant politique à répondre à Poutine ou à dialoguer avec Trump. » C’est dans ce rôle qu’Emmanuel Macron s’épanouit le mieux en tant que chef de l’État, la « guerre » contre le Covid lui avait valu un bond de 13 % dans l’opinion. En 2022, il avait mené une campagne présidentielle « en surplomb » alors que le conflit ukrainien venait d’éclater, s’épargnant ainsi de débattre au même niveau que les autres candidats.
Cette fois plus que les précédentes, l’effet drapeau est amplifié par la dimension mondiale de la crise. Il semble porter le président et le protéger des critiques des oppositions qui ne jouent pas – tant s’en faut – l’unité nationale. À condition que l’effet d’entraînement en Europe dont Emmanuel Macron se prévaut ne se démente pas. D’où un activisme constant qui permet de se projeter sur un agenda alimenté par les sommets internationaux : mardi prochain, les chefs d’état-major et ministres européens de la Défense, Royaume-Uni compris, se réuniront à Paris dans une sorte de conseil de guerre dont l’Élysée soignera la mise en scène. Avec le risque que l’activisme apparaisse comme de l’agitation et finisse par réduire l’aura d’Emmanuel Macron, si la puissance diplomatique déployée par Trump produit des résultats plus tangibles. Non seulement le président américain, à contre-pied d’Emmanuel Macron, estime qu’il est « plus facile » de traiter avec la Russie qu’avec l’Ukraine, mais il a l’intention de reprendre la main à l’occasion de la rencontre prévue lundi en Arabie saoudite entre Zelensky et des responsables américains. Une course contre la montre dont l’enjeu est de s’imposer comme le faiseur de paix.
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