La chapelle de l’université d’Oxford, l’église Saint-Louis-en-l’Île en plein cœur de Paris, l’auditorium de l’université de Tokyo, au Japon… Tous ces prestigieux monuments sont sublimés par un même instrument, l’orgue, qui leur vient d’un même artiste : Bernard Aubertin. Pendant plus de quarante ans, cet Alsacien a pratiqué l’exigeant métier de facteur d’orgues. Au point de devenir une référence dans le milieu artisanal et artistique.
En 1978, alors qu’ils sont jeunes mariés, Bernard et Sonja Aubertin s’installent dans le village de Courtefontaine, à mi-chemin entre Dole et Besançon, en Franche-Comté. Jeunes et déterminés, ils décident d’investir une bâtisse du XIIe siècle, assez grande pour devenir la future manufacture d’orgues. Mais pour en arriver là, ils laissent défiler des années de travaux, avant même de pouvoir se loger convenablement : « Au départ, nous logions dans le hangar, se souvient Sonja. Et nous n’avons eu accès à l’eau courante qu’un an après. » Les journées étaient dédiées à l’installation des ateliers ; les premières nuits et les week-ends à la reconstruction de l’habitation. Le résultat laisse sans voix. D’une ruine, le « prieuré » est devenu le lieu de travail d’une dizaine de salariés pendant plus de quarante ans. Mais la restauration reste un chantier constant et la chapelle, désormais désacralisée, attend toujours son tour… faute de moyens.
C’est donc dans cet ancien prieuré que Bernard Aubertin devient propriétaire de sa propre entreprise. Fils d’organiste, il décide de devenir créateur de cet instrument qu’il connaît si bien. Mais la facture d’orgue artisanal mobilise un ensemble de savoirs : la menuiserie, la mécanique, le travail du métal, des peaux, des matières plastiques… ainsi que l’électronique et l’informatique ! Sans compter les connaissances musicales et acoustiques, essentielles à l’harmonisation de l’instrument.
À la manufacture de Courtefontaine, seules les matières premières étaient achetées, le reste était fabriqué sur place : les tuyaux en étain ou en plomb martelé, les buffets d’orgues en bois massif avec leurs sculptures. Le tout pensé par Bernard Aubertin et mis en forme grâce à son coup de crayon : « C’est un métier d’art, rappelle son fils Alexandre. Mon père est avant tout un artiste ! » C’est d’ailleurs ce qui lui a valu de nombreux prix, à commencer par le titre, à vie, de Maître d’art en facture d’orgues, reçu en 1995 du ministre de la Culture. Mais également celui de chevalier de la Légion d’honneur, en 2007. Au-delà de la France, il a reçu le titre de doctor honoris causa de l’université d’Aberdeen, au Royaume-Uni… devenant ainsi le premier facteur d’orgues à recevoir cette distinction.
Allier l’art et l’artisanat, le beau et l’utile, a été sa pratique du métier depuis toujours, mais cela ne semble pourtant pas évident pour tous : « Ça lui a valu de nombreuses querelles avec les architectes notamment, se souvient Alexandre qui a souvent participé aux chantiers avec son père. Il voulait être sur le projet de A à Z pour garantir cela, et à raison, mais tous n’avaient pas cette même vision. » C’est ce travail d’artiste qui lui aura valu d’exporter de nombreux instruments en Asie : « Le Japon a toujours eu une élite très musicienne et désireuse de jouer sur de beaux instruments, explique Alexandre. Ce qui est assez surprenant pour un pays où les chrétiens sont minoritaires… Mais leurs communautés sont très actives ! »
La suite après cette publicité
La demande est aussi forte en Corée du Sud, où de nombreux organistes français se rendent pour donner des concerts. En France, le dernier orgue de la maison Aubertin se situe en plein cœur de Paris, à l’église Saint-Louis-en-l’Île, à quelques encâblures de Notre-Dame. Plus de 20 000 heures de travail ont été nécessaires pour réaliser cet instrument, en harmonie avec la tribune du XVIIIe siècle. Alexandre se souvient du 22 juin 2005, date de l’inauguration dans l’église : « Elle était pleine pour le réveil de l’orgue ! » Alexandre n’en revient toujours pas. « La disparition progressive de ce métier est inévitablement liée à la baisse de la pratique religieuse, mais là, nous avions la preuve que l’orgue intéressait toujours le grand public. »
Depuis, Bernard Aubertin a cessé son activité, à l’âge de 72 ans. On remarque néanmoins qu’un dernier orgue demeure dans son atelier : « C’était un prototype d’orgue de taille moyenne. Après avoir fabriqué pour les autres pendant des années, cette dernière création appartient au prieuré. Elle restera donc ici ! »La retraite de Bernard Aubertin accompagne la baisse progressive du nombre de ces artisans. Pourtant, l’inventaire national des orgues en recense, en France, plus de 8 000, dont 1 600 sont inscrites au titre de monuments historiques. Des instruments dont la conservation nécessite une main-d’œuvre ! En Alsace, une école forme encore à cet art : le Centre de formation de la facture d’orgues, à Eschau, près de Strasbourg.
La transmission relève de l’urgence, car le trésor de savoir-faire pourrait disparaître… C’est justement ce que compte faire Alexandre via l’association des Archives Aubertin : « Sous un format d’expositions dans des lieux emblématiques, de concerts dans des églises, de rencontres entre artisans et musiciens, nous voulons permettre aux plus curieux de découvrir le processus de fabrication d’un orgue et tous les métiers qui se cachent derrière. » Les futures vocations pourront bénéficier de l’expérience d’un Maître d’art qui a appris ce métier en autodidacte, seul avec un livre. « Le projet est de numériser tous les croquis, les plans, les maquettes… autant de matière rassemblée dans une même base de données en ligne, qui pourra être utile aux générations futures », poursuit Alexandre. Ce fils espère bien qu’un jour, l’œuvre de son père pourra participer au renouveau de cet art.
Source : Lire Plus