Blindés lourds, avions de combat dernier cri, missiles antiaériens… Le réarmement polonais est massif, avec un insolent budget militaire qui s’apprête à atteindre les 5 % du PIB. Élève modèle du Vieux Continent face à l’instituteur américain, l’État polonais a dépensé, depuis 2015, environ 160 milliards d’euros dans sa défense. Des commandes spectaculaires, qui ont majoritairement profité aux complexes militaro-industriels américains et sud-coréens.
À la tête de la présidence tournante de l’Union européenne depuis le début du mois de janvier, l’administration polonaise compte bien user de sa nouvelle puissance militaire pour imposer son hégémonie aux 26 autres États membres. Elle pourra aussi s’appuyer sur ses liens privilégiés avec Washington, qui a multiplié les investissements dans le pays depuis les années 2010. Selon les chiffres du cabinet KPMG, les investissements directs étrangers (IDE) américains en Pologne s’élèvent à 62 milliards de dollars. Intel, Procter & Gamble, Apple et Microsoft, les géants d’outre-Atlantique sont nombreux à avoir foulé le sol polonais ; Varsovie a même confié à un consortium d’entreprises américaines la construction de plusieurs centrales nucléaires sur l’ensemble de son territoire.
Si vis pacem para bellum
Un partenariat fort donc, bien que fragilisé par l’accession au pouvoir de Donald Trump. La semaine dernière, des médias polonais rapportaient que le président Andrzej Duda, venu rencontrer le nouveau chef d’État américain lors de la Conservative Political Action Conference (CPAC), s’est vu contraint d’attendre une heure et demie devant la porte du Bureau ovale, avant de finalement obtenir un entretien… de dix minutes. À ce peu de considération s’ajoutent les sorties de Donald Trump sur un éventuel retrait des troupes américaines d’Europe de l’Est – une dizaine de milliers de Marines stationnent actuellement en Pologne – et les propos agressifs de Trump à l’égard du président ukrainien Volodymyr Zelensky.
« Le réarmement a commencé en 2008, au lendemain de l’agression de la Géorgie par la Russie. L’annexion de la Crimée, en 2014, a fini de nous convaincre qu’il fallait équiper la Pologne avec les meilleures armes possibles », explique Jacek Raubo, expert polonais sur les questions de sécurité et de défense. Pour lui, l’anticipation d’une guerre défensive avec la Russie relève d’une géopolitique « réaliste ». « Nous sommes la première puissance militaire du flanc est de l’Otan, qui est le plus exposé au risque de guerre. Nous avons entièrement confiance dans les États-Unis pour nous aider à nous défendre, nos deux pays jouissent d’un partenariat stratégique unique. »
Varsovie a confié à un consortium américain la construction de plusieurs centrales nucléaires
Des Américains, toujours des Américains. La Pologne n’est pas près de se passer du soutien de l’Oncle Sam. En réaction aux propos du nouveau chancelier allemand, Friedrich Merz, se disant prêt à construire une défense européenne sans les États-Unis, le président polonais s’est empressé de mettre à disposition son pays pour héberger les troupes américaines stationnées en Allemagne. « Toute la stratégie militaire polonaise s’appuie sur le fait que, si demain, la Pologne doit défendre son territoire face à une invasion russe, elle le fera aux côtés des États-Unis dans le cadre de l’Otan, poursuit Jacek Raubo. Nous avons donc besoin d’une stricte interopérabilité entre nos systèmes d’armement et ceux des Américains. » Une façon de balayer la possibilité, pour l’armée polonaise, d’acheter des armes françaises ou allemandes ? « Les entreprises de défense européennes ne sont pas capables de délivrer rapidement, et en grandes quantités, le matériel dont nous avons besoin. Contrairement aux États-Unis ou à la Corée du Sud », conclut l’expert.
La suite après cette publicité
L’heure du revirement ?
Mais la Pologne pourrait-elle infléchir sa position ? Récemment, le pays a fait une demande officielle pour entrer au capital d’Airbus, un virage à 360 degrés qui a surpris les observateurs. En 2016, le PDG d’Airbus, Guillaume Faury, avait eu des mots particulièrement durs envers Varsovie, qui venait de dénoncer un contrat portant sur l’achat de plusieurs dizaines d’hélicoptères Caracal, leur préférant des aéronefs américains. Le même Guillaume Faury devrait se rendre en Pologne prochainement pour discuter d’une éventuelle entrée du pays au capital d’Airbus. Les prémices d’un revirement spectaculaire ?
La Pologne pourrait réserver des surprises à la défense européenne, d’autant que sa propre industrie se renforce considérablement depuis le début de la guerre en Ukraine. L’obusier automoteur Krab, produit en Pologne via une licence sud-coréenne et largement adopté par l’armée ukrainienne, a d’ores et déjà suscité l’intérêt de pays comme la Roumanie ou la Slovaquie. Un système d’artillerie qui pourrait concurrencer le prestigieux Caesar français. Alors, la Pologne, futur moteur ou fossoyeur de la défense européenne ? Les résultats des négociations entre Américains et Russes sur le sort de la guerre en Ukraine devraient dégager de premières pistes.
Source : Lire Plus