Lorsque le pape, chaque année, se rend au début du Carême à l’église Sainte-Sabine, sur l’Aventin, il reproduit une antique tradition. Dans cette paroisse de Rome du Ve siècle, le souverain pontife allait pieds nus pour bénir les pénitents publics, ceux qui avaient été excommuniés pour des fautes graves. Ces derniers gardaient leurs vêtements pénitentiels – des cilices – jusqu’au Jeudi saint avant Pâques, où ils pouvaient enfin recevoir l’absolution et se réconcilier avec l’Église.
Au fil des siècles, la signification du Carême s’est intériorisée, pour devenir un temps de pénitence dont l’imposition des Cendres sur le front des fidèles, ce mercredi 5 mars, constitue le signe le plus visible. Au point que les catholiques eux-mêmes se souviennent à peine des prescriptions obligatoires de l’Église : deux petits jours de jeûne (sauter un repas) et d’abstinence de viande, le mercredi des Cendres et le Vendredi saint, qui commémore la mort du Christ.
Car pour le reste, les démarches recommandées aux fidèles sont quasiment transparentes aux yeux de nos contemporains. S’il s’agit bien de redécouvrir le sens de l’effort pour collaborer à notre salut, et non comme des marionnettes, l’action, elle, est tout intérieure : « Quand vous jeûnez, ne prenez pas un air abattu, comme les hypocrites : ils prennent une mine défaite pour bien montrer aux hommes qu’ils jeûnent. (…) Mais toi, quand tu jeûnes, parfume-toi la tête et lave-toi le visage ; ainsi, ton jeûne ne sera pas connu des hommes, mais seulement de ton Père qui est présent au plus secret ; ton Père qui voit au plus secret te le rendra. » À chaque baptisé ensuite d’intensifier sa vie de prière et son aumône, et de choisir une privation. Là encore, l’Église, avec sagesse, préconise de ne pas vouloir trop en faire, pour que cela ne devienne pas une performance sportive, outrepassant les limites des forces humaines.
De fait, en imposant les cendres sur la tête des fidèles, le prêtre prononce cette sentence biblique tirée du livre de la Genèse : « Souviens-toi que tu es poussière et que tu retourneras à la poussière » (Genèse 3 : 19). Comme un rappel de la vérité de l’existence humaine, commentait Benoît XVI, selon laquelle « nous sommes des créatures limitées, des pécheurs qui ont toujours besoin de pénitence et de conversion. » Ce que l’apôtre saint Paul appelle le « vieil homme », qui ne fait pas le bien qu’il voudrait, mais commet le mal qu’il ne voudrait pas.
Le but de ces quarante jours de Carême, exception faite des dimanches, est ainsi de se dépouiller de soi-même pour laisser plus de place au Christ, médecin de nos âmes, et se rapprocher de Dieu. Et cela prend du temps, de la même manière que les Hébreux ont mis 40 ans avant d’atteindre la Terre promise… Le Carême est donc un temps de désert, « une grande retraite spirituelle », disait encore Benoît XVI. Pour redécouvrir que la victoire du Christ sur le mal et sur la mort, par sa Résurrection à Pâques, se reproduit en réalité dans la vie de chaque baptisé. Le Carême, en somme, est un temps pour redevenir vraiment chrétien, et ne plus être des chrétiens « habitués », comme disait Péguy.
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