
Dans ses Métamorphoses, Ovide raconte que Chioné, déesse de la neige, fut l’amante d’Apollon, dieu de la musique et de la beauté, mais aussi d’Hermès, dieu des voleurs et beaux parleurs. Face au silence des monts, un « monde où la grâce est la règle et la disgrâce l’exception », même les plus hâbleurs se taisent, fascinés. Luis Seabra se reconnaît dans cette histoire antique : lui aussi reste obnubilé par l’infime de la poudreuse et lui aussi, pianiste et compositeur, fait taire les marteaux de son instrument lorsqu’il voit tomber les flocons. À lire son Éloge de la neige, on partage sa passion, parce que « chaque apparition de la neige éveille en nous la nostalgie de l’enfance », ce miroir magique qui se brise lorsque la neige de l’enfance laisse place à la « pluie moite de l’adolescence ».
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Mais « à quoi tient le pouvoir d’enchantement de la neige ? » Sans doute à ce que « la fantasmagorie du spectacle de la neige nous renvoie à l’empire du rêve ». Sans doute aussi à ce qu’elle offre la contemplation la plus évidente, de la poésie du poudroiement à la nappe blanche de terres hostiles et sans banquet. Du Chihuahua aux Inuits, d’Aristote à Rimbaud, de Brueghel à Sisley, l’essayiste n’oublie pas de faire une confession pudique : comme dans les Propos d’Alain, il se raconte avec douceur pour que nous constations tout ce que nous partageons. Et c’est de ces deux pans entrecroisés, le su et le vécu, qu’il dégage l’essence de la neige : « L’uniforme paysage qu’offre au regard [la neige] est en lui-même un appel à la pensée », et « [elle] tombe d’autant plus abondamment qu’on s’élève loin des hommes dans les hauteurs. Elle est ce signe d’altitude et d’élection ».
La philosophie de la neige tient à ses paradoxes, fragile et éternelle, petite et grandiose, frêle et terrifiante, « érotisme aux pudeurs ambiguës ». Dans « une civilisation du factice et du clinquant », « la neige vient par effraction abolir pour quelque temps le royaume, grâce à sa présence aussi discrète, naïve et muette qu’une simple buée ». La bonté de la beauté comme réponse à la violence du monde, c’est une voie qui nous plaît.
Éloge de la neige, de Luis Seabra. Rivages, 192 pages, 18 euros.
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