Deux salles, deux ambiances. À l’Assemblée nationale, où se tenait ce lundi 3 mars un débat sur l’Ukraine, les composantes du NFP ont donné à voir deux visions du monde radicalement différentes sur les questions internationales. Au cœur des dissensions : l’aide à l’Ukraine et le renforcement de la défense européenne après l’accrochage entre Volodymyr Zelensky et Donald Trump à la Maison-Blanche – qui a sonné le début du désengagement américain sur le sol européen.
« Les vrais pacifistes savent que la guerre, toujours détestable, est parfois inévitable », a argué à la tribune le président du groupe socialiste Boris Vallaud. Pour financer le soutien militaire à l’Ukraine, le PS propose notamment de saisir « les 210 milliards d’euros d’avoirs russes gelés dans nos banques ». Et pour le parti à la rose, la seule façon de « sauver la paix et la sécurité en Europe » est de lancer un « grand emprunt commun de 500 milliards d’euros ». Même son de cloche chez les Écologistes. La patronne du groupe, Cyrielle Chatelain, a prôné « un engagement militaire et financier renforcé » qui passerait par « la fourniture des équipements de défense avancés » et « le renforcement de la présence de troupes européennes dans les pays frontaliers de l’Ukraine ».
« Ces discussions de chiffres pris abstraitement sont absurdes »
De leur côté, les Insoumis et les communistes ne semblent pas disposés à mettre la main au portefeuille. « À quoi bon tout cet argent ? », s’est interrogé le député LFI Aurélien Saintoul, avant de tacler : « De toute façon, ces discussions de chiffres pris abstraitement sont absurdes ». En outre, le parlementaire voit dans cette crise la confirmation du logiciel anti-américain de son parti : « Qu’il est douloureux d’avoir eu raison vingt ans durant et de voir aujourd’hui son propre pays acculé ». « Où allez-vous trouver cet argent ? », a renchéri quelques minutes plus tard le député communiste Jean-Paul Lecoq, qui préférerait voir Emmanuel Macron négocier directement avec Vladimir Poutine.
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Une séquence que n’a pas loupée l’eurodéputé Place publique Raphaël Glucksmann, installé au premier balcon du Palais-Bourbon. « Il y a toujours eu dans la gauche française deux tentations. Face au fascisme, il y a eu la tendance de la résistance et celle de la soumission. Ceux qui, au nom d’un pacifisme dévoyé, prônent aujourd’hui la faiblesse face à un tyran qui veut nous déclencher la guerre, ce sont eux qui portent une responsabilité immense et qui plongent notre pays dans la crise », a lancé le coprésident du microparti Place publique, le lendemain, sur BFMTV.
« Enfin des nouvelles de la tête de liste PS aux européennes. Il prône la guerre à outrance contre la Russie. Ses électeurs se portent volontaires ? », a ensuite feint de s’interroger sur X Jean-Luc Mélenchon. La nouvelle donne internationale force pourtant le patron des Insoumis à revoir son analyse géopolitique, qui incluait la Russie dans le camp « anti-impérialiste ». Dans une récente note de blog, il a toutefois tenté de récupérer la situation à son profit : « Dans les premières secondes où Trump hausse le ton sur Zelensky, on croirait presque qu’il entre dans une escalade imprévue. […] Rien n’est davantage dans l’ordre des choses que ce moment de paroxysme ».
Selon l’ancien sénateur, l’Europe paie des dizaines d’années de « servilité atlantiste ». Mais il n’entend pas pour autant réarmer le continent pour le rendre indépendant des États-Unis : « Faire de l’économie de guerre et de l’Europe de la défense le nouveau socle européen est la catastrophe à portée de main. Nous avons besoin de la paix avec la Russie et de la fin de la guerre en Ukraine avec des garanties mutuelles sérieuses. Nous appelons cela le non-alignement et l’altermondialisme de l’entraide ».
La paix ne s’impose jamais d’elle-même mais seulement par le rapport de force
Un haut placé du Parti socialiste
Ce clivage à gauche n’est pas nouveau. La même dialectique avait déjà été employée en 2022 au moment où la guerre en Ukraine venait d’éclater. Le candidat écologiste à la présidentielle Yannick Jadot avait alors reproché à Jean-Luc Mélenchon son état d’esprit « munichois », en référence aux accords de Munich signés par Édouard Daladier en 1938 pour essayer de garantir la paix en France contre des concessions à Hitler. « Va-t’en guerre », ripostait déjà le candidat LFI.
« Depuis le début de l’invasion russe, Jean-Luc Mélenchon n’a pas changé. Personnellement, je suis davantage déçu par la position des communistes », pointe au JDD un haut placé du Parti socialiste. « Elle est liée au traditionnel discours pacifiste, mais ça n’a jamais impressionné les dictateurs. La paix ne s’impose jamais d’elle-même mais seulement par le rapport de force », ajoute-t-il. Ce mardi 4 mars, lors d’un débat sur l’Ukraine et la sécurité en Europe au Sénat, c’est la position qu’a tenue la présidente du groupe communiste Cécile Cukierman. « À chaque débat, c’est l’escalade militaire qui emporte la vision de la plupart des groupes », a-t-elle déploré, épinglant les « accents guerriers bien irresponsables » de certains de ses collègues.
En substance, pour la sénatrice de la Loire, s’il y a un « regret à avoir », c’est « d’avoir trop tardé à œuvrer pour la paix ». Son groupe a par ailleurs fermement fait part de son opposition au plan de 800 milliards d’euros de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen pour le réarmement du continent : « Mais que cherchent ces gens ? La confrontation générale ? ». En réponse, le ministre des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot l’a invité à ne « pas reproduire la rhétorique du Kremlin » : « Cécile Cukierman a dénoncé pendant toute son intervention la brutalité de Donald Trump et des États-Unis mais n’a eu aucun mot pour dénoncer la brutalité de Vladimir Poutine, qui s’est rendu coupable de crimes de guerre ».
Pour leur part, les socialistes sont largement favorables au plan de l’ancienne ministre allemande. Celui-ci permettrait aux États membres d’augmenter leurs dépenses de défense de 650 milliards sur quatre ans sans souci du respect des règles budgétaires de l’UE. Mais la mesure phare consiste à l’octroi de 150 milliards d’euros sous forme de prêts. « Ça va dans le bon sens. Mais la question que je me pose c’est : est-ce que ces 800 milliards vont être dépensés pour acheter en Europe ou à l’étranger ? », interroge un cadre du PS. Avant d’ajouter : « Si c’est pour acheter des F35 américains comme l’a fait la Pologne, ça n’a aucun intérêt ». La réponse devrait être donnée ce jeudi 6 mars lors d’un Conseil européen extraordinaire à Bruxelles en présence du président ukrainien Volodymyr Zelensky. En revanche, pas sûr qu’elle intéresse Jean-Luc Mélenchon, qui ne cesse de grincer contre « l’absurde impasse européenne ».
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