« Notre seule source d’énergie… la découverte ultime… Bleu électrique pour moi… Il n’en faut pas plus pour être libre […] Éleeeeeeectricité ! » Les lecteurs de la génération de l’auteur de ces lignes auront peut-être reconnu la traduction – par un logiciel d’intelligence artificielle (IA) – assez approximative du magnifique tube d’Orchestral Manoeuvres in the Dark : « Electricity » (1979… eh oui).
Choc pétrolier oblige, l’époque était à la « chasse au gaspi ». Aujourd’hui, nous vivons un choc bien plus important que les chocs pétroliers de 1979 et 1980, une pénurie d’offre où les prix ont triplé. Le choc énergétique de 2025, c’est celui d’une demande d’électricité mondiale qui va exploser dans les pays les plus avancés industriellement et technologiquement, du fait de la ruée vers l’IA. Comme la ruée vers l’or au XIXe siècle, elle va engloutir des capitaux monstrueux, et créer des fortunes considérables pour ceux qui auront eu la chance de miser sur les bonnes technologies. C’est une gageure considérable : dans cette course, les leaders ne cessent de se faire doubler : ChatGPT (OpenAI), DeepMind (Google), aujourd’hui le Chinois DeepSeek… et demain ? Un Indien ? Un Français ? Un Russe ?
Deux choses sont certaines dans cette course : d’abord, « celui qui maîtrisera l’intelligence artificielle sera le leader du monde » (Vladimir Poutine, 1er septembre 2017). Ne pas être dans la course, c’est accepter d’être dominé dans à peu près tous les domaines. L’enjeu est vital.
Un monstre énergivore
Ensuite, à l’instar de la ruée vers l’or, feront immanquablement fortune non pas tous les chercheurs, mais ceux qui leur permettront d’avancer. Les fabricants de pelles et de pioches. Aujourd’hui, ce qui rend possible le déploiement de l’intelligence artificielle, c’est marginalement l’intelligence humaine, ou l’avance acquise, si rapidement réversible (le logiciel DeepSeek est en open source).
C’est essentiellement l’énergie. L’IA est un monstre énergivore qui peut se résumer par les chiffres suivants : une recherche ChatGPT représente plus de trente fois la consommation d’électricité d’une recherche sur Google ; la création d’une image en haute définition par une IA consomme autant d’énergie que la recharge complète d’un téléphone portable (source DRANE Académie de Versailles). En 2016, l’IA DeepMind (AlphaGo) a certes battu au jeu de go le champion du monde Lee Sedol (4-1). Mais elle a dû consommer 150 000 wattheures pour cela, quand le cerveau humain de Lee Sedol n’a consommé que 20 wattheures (moins qu’une requête Google).
La suite après cette publicité
Organisons la filière électrique française pour que, a minima, elle quadruple sa production en vingt-cinq ans
Résultat des courses, ou plutôt de la course future : en 2023, les data centers du monde entier ont consommé 460 térawattheures pour tourner. Soit 460 000 000 000 000 wattheures, l’équivalent de la consommation d’électricité annuelle de la France. En 2030, on devrait avoir plus que doublé cette consommation, à 1 000 térawattheures, et arriver à 2 000 térawattheures en 2050 (source Deloitte). Cette explosion ne prend pas en compte les autres facteurs qui catapultent la demande d’électricité dans le monde, à savoir les perturbations du climat (fortes amplitudes de température) et la hausse du niveau de vie et donc de la consommation mondiale.
Le nucléaire, une force française
Deux millions de milliards de térawatts, et nous, et nous, et nous, pour paraphraser Jacques Dutronc ? Cette explosion de la demande mondiale d’énergie représente pour la France une opportunité majeure. À part l’urgence impérieuse de décupler à très court terme notre production d’armement (l’objet d’une prochaine chronique), nous n’avons pas d’autre priorité industrielle. Malgré les fautes des précédents quinquennats (la fermeture de Fessenheim décidée par François Hollande, entérinée par Emmanuel Macron en 2018, fermant au total quatorze réacteurs nucléaires), la France, grâce à ses ingénieurs d’État et du privé, et grâce à l’impulsion décisive du général de Gaulle en 1945, conserve un leadership dans l’ingénierie nucléaire.
Notre force de dissuasion nucléaire, assurée par le porte-avions nucléaire Charles de Gaulle et son futur successeur, dont on attend toujours la confirmation de l’existence, et le fait que 85 % de notre électricité soit produite grâce au nucléaire, continuent de nous donner un avantage compétitif dans cette filière et cette technologie. Même si les politiques suicidaires mises en place en 2012 et confirmées en 2017 ont émoussé cet avantage, le moment est venu de nous y réinvestir pleinement.

Comment ? D’abord, en nous donnant un objectif simple de marché : la demande d’énergie mondiale liée à l’IA et aux data centers mondiaux va quadrupler d’ici 2050 ? Eh bien, organisons la filière électrique française pour que, a minima, elle quadruple sa production en vingt-cinq ans. Cela suppose d’abord de se débarrasser des discours et des comportements malthusiens, uniquement soucieux de coller à la mode du temps présent : celle de l’écologie chic, bien-pensante et urbaine de centre-ville.
Ce n’est pas le nucléaire français qui pollue aujourd’hui massivement le continent européen, mais les centrales à charbon allemandes. Ce n’est pas l’Europe qui pollue le monde, mais les 2,8 milliards d’habitants de la Chine et de l’Inde, ou les 340 millions d’Américains super-pollueurs. Autant il est intéressant de construire et vendre des technologies de pointe environnementales autour de l’eau et du nucléaire, autant il est suicidaire de vouloir donner l’exemple – à qui ? au monde qui ne nous regarde plus depuis longtemps ? – en réduisant la part du nucléaire dans notre mix énergétique (argumentaire utilisé par Emmanuel Macron en 2018 pour justifier les fermetures de centrales).
Assurer notre indépendance
Débarrassés de ce discours idéologique toxique et suicidaire, nous pourrons ensuite mettre les incitations financières au bon endroit : franchise d’impôts et de charges sociales (sur les salaires, notamment d’ingénieurs) pendant cinq ans pour tout investissement privé venant renforcer la production d’énergie nucléaire française (on pourra marginalement ouvrir l’incitation à la filière solaire, cette rare énergie renouvelable à l’intermittence prévisible, donc compétitive, à condition que les panneaux solaires soient fabriqués en France plutôt qu’en Chine).
L’objectif étant bien de flécher les talents d’ingénieurs et les capitaux vers cette filière française, plutôt que les tables de trading de la City de Londres, ou les groupes d’ingénierie et de software américains, obligés de livrer toutes leurs datas et leurs savoir-faire au gouvernement fédéral de MM. Trump et Musk, du fait du Patriot Act américain.
Quadrupler la production d’énergie nucléaire française d’ici 2050 pour rester dans la course à l’IA, inciter nos meilleurs ingénieurs à se déployer en France, catapulter nos revenus à l’export (car cette énergie est exportable) et assurer notre indépendance énergétique et géopolitique, notamment vis-à-vis d’une Amérique de plus en plus instable et hostile à l’Europe : voilà une bonne feuille de route pour un exécutif ayant les intérêts de la France et des Français au cœur.
Source : Lire Plus