Sur les places de village, en bord de route, à la sortie des gares… En France, dans l’imaginaire collectif, les bars et les cafés sont partout. Les clients viennent y chercher convivialité, rencontres et partage. Les pratiques sociales et culturelles de ces établissements ont même été inscrites au patrimoine culturel immatériel du pays en septembre dernier. Mais c’est là que le bât blesse : de 200 000 bars et cafés en 1960, on en dénombre moins de 40 000 aujourd’hui. Pis, en province, ils ont pratiquement disparu.
Pour sauver les comptoirs, une proposition de loi sera examinée en commission des Affaires sociales à l’Assemblée nationale ce mercredi. Elle est présentée par le député de l’Eure-et-Loir et ancien ministre de la Fonction publique Guillaume Kasbarian. Objectif : permettre l’ouverture de bars sous licence IV – permettant la vente d’alcools forts – par simple déclaration dans les communes de moins de 35 000 habitants ne disposant pas de tels établissements.
Ouvrir un bar est très compliqué administrativement et très onéreux financièrement
Guillaume Kasbarian, député et ancien ministre
« Pour ouvrir un bar ou un café aujourd’hui, il faut suivre une vieille réglementation un peu poussiéreuse qui date de 1941. C’est très compliqué administrativement et très onéreux financièrement », déplore au JDD Guillaume Kasbarian. En outre, le commerçant doit forcément acquérir une licence IV. Mais celle-ci est maintenant interdite à la création. La seule façon de la recevoir est donc via un transfert d’un établissement qui a perdu la sienne dans la région avoisinante. Coût de l’opération : plusieurs dizaines de milliers d’euros.
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« L’autre raison de ce texte est la désertification des milieux ruraux. De nombreux villages sont maintenant dépourvus de bars et de cafés », enchaîne l’ancien ministre du Logement du gouvernement de Gabriel Attal. « Ces établissements sont des lieux de convivialité et d’échanges. On y passe du temps avec sa famille, ses voisins, ses amis. Il faut lever les contraintes pour qu’ils puissent retrouver leur intérêt social », poursuit-il.
« Les troquets restent les derniers lieux de vie dans la ruralité quand tout a disparu »
Le député macroniste compte sur ses collègues de la commission des Affaires sociales pour voter ce texte. Il devrait ensuite arriver en séance publique au Palais-Bourbon ce lundi 10 mars dans l’après-midi. Le Rassemblement national y est largement favorable : « C’est une excellente idée. Les troquets restent les derniers lieux de vie dans la ruralité quand tout a disparu », affirme René Lioret, orateur du RN sur cette proposition de loi. Cependant, le groupe ne va pas se contenter de la voter : « On va l’enrichir sur plusieurs points. On souhaite compléter la formation que doivent suivre les repreneurs en ajoutant les facteurs clés de la réussite. On aimerait aussi créer un label pour valoriser ces points de distribution ».
En revanche, La France insoumise est radicalement opposée texte. Le parti a même déposé plusieurs amendements pour le supprimer au nom de la lutte contre l’alcoolisme. « Ils ont une méconnaissance totale de la ruralité. Certains d’entre-deux sont sûrement trop urbains pour savoir ce que vivent nos concitoyens en province », contre-attaque Guillaume Kasbarian. « Aujourd’hui, l’écrasante majorité de la vente d’alcool dans les villages se fait par le biais de la grande distribution, sans aucune supervision ni contrôle des doses », ajoute-t-il. « Pour LFI, l’alcool c’est mal, mais le cannabis c’est bien », abonde le député RN de la Côte-d’Or, René Lioret.
Alors que deux villages sur trois n’ont plus de commerces, le gouvernement d’Édouard Philippe avait déjà tenté d’enrayer la disparition des cafés début 2020, dans le sillage de la crise des Gilets jaunes. Le programme 1 000 cafés avait alors été lancé dans les communes de moins de 3 500 habitants pour « redynamiser les territoires ruraux en recréant des lieux de convivialité ». Mais cinq ans après, le bilan est décrié. À ce jour, 130 communes ont été accompagnées dans un projet d’ouverture et 92 cafés en difficulté ont été temporairement soutenus. 80 villages du Grand-Est et des Hauts-de-France voient également passer un « café ambulant ».
Le 18 février, la sénatrice LR Else Joseph a publiquement attaqué l’association 1 000 cafés – chargée de la mise en œuvre du programme – lors des questions au gouvernement au Palais du Luxembourg. « J’ai peut-être surréagi en faisant part de ma déception à la ministre de la Ruralité (François Gatel, NDLR) de retraites soudaines de la part de cet opérateur, comme c’est le cas dans trois communes de mon département », résume l’élue des Ardennes. En substance, elle demande une « surveillance vigilante » de l’association quant à « l’argent public » qu’elle reçoit. De son côté, l’organisme assure que les aides de l’État ne représentent que 10 % de son budget.
« Il y a moins d’ouvertures que prévu, mais ce dispositif est une réussite sur le plan de l’imaginaire et du point de vue médiatique », en conclut pour sa part Jean-Laurent Cassely, auteur d’une note sur La France des bars-tabacs. Interrogé par L’Union, l’essayiste assure que le diagnostic posé sur la disparition de ces établissements n’a pas été le bon : « On pense que les gens ne vont plus dans les cafés parce qu’il n’y en a plus. Mais c’est un peu l’inverse : il n’y en a plus parce que les gens ont arrêté d’y aller ! Il y a eu un effet de vases communicants avec les zones commerciales ». Et d’ajouter : « Tout le monde est pour le retour du commerce de proximité. Mais ensuite, il ne faut pas oublier que les usages ont beaucoup évolué. La boulangerie de rond-point et les distributeurs de pizzas correspondent aux usages d’aujourd’hui. »
Pour sauver les bars et les cafés, l’association des Maîtres restaurateurs a une autre idée : inscrire ces troquets au patrimoine immatériel de l’humanité de l’Unesco. La demande a été formulée mi-novembre par Alain Fontaine, bistrotier et président de l’association. Il a déjà œuvré à faire inscrire ces établissements au patrimoine immatériel français il y a plusieurs mois. Toutefois, cela ne devrait pas être suffisant pour leur donner une seconde vie.
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