La nouvelle est tombée très tard, le JDD a dû rhabiller sa une et Michèle Stouvenot remplumer son stylo. Il n’existait pas encore les réseaux sociaux et la plupart des lecteurs, en achetant le journal, ont été frappés en plein cœur. Serge Gainsbourg est mort. Il a été retrouvé hier, samedi, gisant, sans vie et nu, sur le sol de sa chambre, foudroyé par une crise cardiaque, en son antre mythique du 5 bis, rue de Verneuil, Paris 7e, où il aura vécu pendant vingt-deux ans.
Il se disait en sursis depuis sa naissance, en 1928. Son état de santé s’était détérioré au fil des années, en raison notamment de son addiction au tabac et à l’alcool, et de son mode de vie excessif. Il reste que, sans doute, ses échecs sentimentaux, et parfois professionnels, auront contribué à augmenter son stress et son anxiété.
Gainsbourg vivait reclus dans son domicile, entre déchéance et solitude
Ses proches semblaient avoir remarqué que son allure et sa posture avaient décliné depuis plusieurs jours. Il était devenu maigre comme le doigt. Colette, vestiaire depuis toujours au cabaret Don Camilo, tout proche de la maison de Gainsbourg, l’affirme : « On s’est dit : c’est pas possible, il ne passera pas l’année. »
Gainsbourg vivait reclus dans son domicile entre déchéance et solitude. Stouvenot se souvient : « La dernière fois, il frimait encore et répétait : “Je ne suis pas encore crevé, hein ? Je compose des nuits entières à m’en faire saigner les doigts, et je pense à lui, à mon père à qui je dois tout : la vie, ma culture musicale, Scarlatti, Bach, Chopin, Brahms, puis Gershwin, puis le tango, la java, le paso doble.” Mais c’est derrière, tout ça. Devant, il y a Charlotte et Lulu, heureusement, il y a le père attendri, Gainsbarre, qui se marre et qui ironise. »
Poète, musicien, provocateur cynique, délicat, pudique, fou généreux, Gainsbourg, porteur d’une « étoile de shérif » durant l’Occupation, car juif, le fut tout à la fois.
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Inspiré par Boris Vian, il aimait que ses textes fussent agrémentés de figures de style, de phrases à double sens, de jeux de mots, ces mots, ces mélodies qu’il offrit à toutes ses éternelles muses que furent Greco, Hardy, France Gall, Bardot, Birkin, Adjani, Deneuve, Vanessa Paradis.
Dans la fumée bleue des cigarettes, il aura travaillé jusqu’au bout sur des chansons sulfureuses, provocantes et tendres surtout. Parfois, le jour, il regardait par la fenêtre de la rue de Verneuil et il croyait voir Fernandel lui faire de grands gestes, « parce qu’il ne pouvait garer sa Cadillac ». Et il disait en tirant sur sa clope : « Le plus dur, c’est de perdre ses amis, Brassens, Bourvil, Michel Simon… »
Aujourd’hui enterré au cimetière Montparnasse, « l’homme à la tête de chou » reçoit toujours les hommages de très nombreux fans qui, sur sa tombe, viennent déposer des fleurs, des dessins, des mégots de cigarettes ou des tickets de métro. Gainsbourg aura vendu six millions d’albums.
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