Les hostilités avaient commencé dès l’accueil sur le perron de la Maison-Blanche. « Mesdames et Messieurs, il s’est mis sur son 31 », s’exclame Donald Trump en voyant Volodymyr Zelensky sortir d’une berline noire. En lieu et place d’un costume, le président ukrainien a juste remplacé, saison oblige, son habituel tee-shirt kaki par un pull noir avec un blason ukrainien sur la poitrine. Son teint est livide, sa démarche hésitante. Il faut dire que, aux yeux du président américain, en début de semaine il était un « dictateur ». L’entretien qu’il avait eu avec le négociateur de Trump pour l’Ukraine, le général Kellogg, au sujet de l’accord sur les terres rares, s’était très mal passé. « Mon pays n’est pas à vendre », aurait dit Zelensky. Trump en a eu vent. À la première occasion, celui qui fait de toute négociation une affaire personnelle tire à boulets rouges sur le président ukrainien. Deux jours plus tard, le ton a changé et Donald Trump déclare ne plus se souvenir d’avoir utilisé le mot de dictateur. Entre-temps, l’accord a progressé. Volodymyr Zelensky se voit qualifié de « meilleur président que l’Ukraine ait jamais eu » et gratifié d’une visite à la Maison-Blanche pour signer le fameux accord. Mais comme souvent avec Trump, il peut y avoir de l’imprévu.
Quelques minutes plus tard, Volodymyr Zelensky est assis dans un fauteuil jaune. Le même occupé quelques jours plus tôt respectivement par Emmanuel Macron et Keir Starmer. À sa gauche, Donald Trump l’observe du coin de l’œil. Il est accompagné par son vice-président, J. D. Vance. Cette présence n’aura pas échappé à Zelensky, qui connaît l’hostilité maintes fois manifestée de Vance à l’encontre du financement de la guerre en Ukraine. « Pour être tout à fait honnête, je me fiche de qui l’emporte en Ukraine », disait-il en février 2022 alors que le monde entier et les autres élus américains volaient au secours d’une Ukraine envahie.
Face à Vance, Zelensky montre des signes de nervosité. À la question d’un journaliste sur le fait de négocier avec Vladimir Poutine, Donald Trump et J. D. Vance expliquent en chœur qu’ils entendent résoudre le conflit par la diplomatie, parce que leur prédécesseur n’avait pas choisi cette voie. Sentant le piège se refermer, Zelensky décide alors de jouer son va-tout et d’exprimer le point de vue ukrainien. « Il [Poutine] a envahi et personne ne s’est opposé à lui… À quel genre de diplomatie avez-vous l’intention de recourir pour l’arrêter ? » demande Zelensky à J. D. Vance. Ce qui restait jusque-là un échange courtois tourne brutalement au jeu de massacre. « Il n’est pas acceptable de manquer de respect dans le Bureau ovale et d’attaquer une administration qui cherche à éviter la destruction de votre pays », le sermonne Vance.
Comme février 2022 a dû soudain sembler loin à Zelensky, l’époque où Biden, inquiet, le suppliait de quitter Kiev ; il répondait : « Non merci, Monsieur le Président. Le combat est ici. J’ai besoin de munitions, pas d’un moyen de transport. » Zelensky ne se laisse pas faire pour autant. Il sent que c’est peut-être là que se jouent son avenir et celui de son pays. Il évoque alors les conséquences de la guerre pour l’Ukraine. « Tout le monde a des problèmes, même vous. Mais vous avez un bel océan, et pour l’instant, vous ne ressentez pas cette menace – mais un jour, vous la ressentirez. »
Donald Trump l’interrompt. « Vous n’êtes pas en position pour nous dire ce que nous allons ressentir. Vous n’avez pas les cartes en main en ce moment. Vous jouez avec la vie de millions de gens. Vous jouez avec la Troisième Guerre mondiale. » « Est-ce que vous nous avez déjà dit merci ? » coupe Vance. « Oui, et pas qu’une fois », répond Zelensky qui sent que les choses sont allées trop loin. Trump enfonce le clou : « Votre pays est dans une situation épouvantable. Vous ne gagnez pas cette guerre. Si vous avez une chance de vous en sortir, c’est grâce à nous. » Et Trump de lui rappeler que sans l’aide américaine et sans l’équipement militaire fourni, la guerre aurait été perdue en « deux semaines ». Et le président américain de conclure : « Ça va être très difficile de faire du business [avec vous] dans ces conditions. »
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L’Ukraine devient l’objet d’un marchandage commercial
La suite : pas de signature d’accord sur les minerais, pas de conférence de presse, exit Zelensky. Et Trump qui exige une enquête sur la gestion de l’argent américain fourni à l’Ukraine…
Cette scène surréaliste tranche avec le ton presque cordial de la rencontre, cinq jours plus tôt en ce même lieu, entre Emmanuel Macron et Donald Trump, même si le fond reste le même : Donald Trump veut arrêter la guerre et il entend bien broyer quiconque se dressera sur sa route. Lundi donc, le président français, s’exprimant en anglais avec sa gestuelle tactile, réussit d’entrée de jeu à établir avec son homologue une ambiance de franche camaraderie. Rappelons que l’objectif principal de cette visite est de maintenir Zelensky dans la boucle et l’Ukraine dans la négociation.
On échange des souvenirs, des petites piques, pour la plus grande joie d’un fan-club de journalistes triés sur le volet. Ainsi Ulysse Gosset, l’envoyé spécial de BFM TV, croit déceler lors de l’entretien un moment où Emmanuel Macron aurait retourné Donald Trump sur l’Ukraine. « Il s’est passé quelque chose dans cette pièce qui n’est pas habituel », trépigne Mathieu Coache, son acolyte. Sur LCI, Ruth Elkrief va encore plus loin, affirmant que le monde « nous envie notre président »… Quelques heures plus tard, c’est la douche froide. Pour la première fois à l’Onu, les États-Unis et la Russie votent ensemble une résolution prônant une fin rapide du conflit, sans mentionner l’intégrité territoriale de l’Ukraine. À peine Emmanuel Macron parti, chacun se rend compte qu’il ne s’est rien passé dans cette pièce… C’est comme si Donald Trump s’était montré chaleureux avec son homologue pour mieux crucifier ses alliés plus tard. Dans les jours qui suivent, il se déchaîne contre l’Europe. Comme un signe avant-coureur, lors de la conférence de presse avec Emmanuel Macron à la Maison-Blanche, Donald Trump avait fait retirer le drapeau européen. « L’Union européenne a été conçue pour “entuber” les États-Unis », assène-t-il, défiant la vérité historique.
Sur l’Ukraine, Trump a deux idées fixes. Faire aboutir les négociations bilatérales entre Russes et Américains et, surtout, obtenir des Ukrainiens un accord sur les terres rares
À l’origine, l’Union européenne est une idée encouragée par les États-Unis. Ses pères fondateurs, Jean Monnet et Robert Schumann, avaient des liens étroits avec les Américains, en particulier avec le président Roosevelt. Après ce premier uppercut, il prend tout le monde de vitesse en annonçant une hausse des droits de douane de 25 % envers les produits des pays de l’UE. La vitesse est la force de Trump, mais aussi parfois sa faiblesse. Il déroute ses adversaires, mais il peut aussi désorienter ses proches. « Il va vite, même très vite… Il va vite, trop vite », écrit Peer de Jong, spécialiste des questions militaires et géostratégiques. Avant de conclure : « On va en baver… »
Le président français n’est pas naïf cependant. Dès son retour en France, lors d’une visioconférence avec ses homologues, il confirme que Trump n’a « aucune volonté de travailler ensemble dans le cadre de l’Otan ». Il les avertit que le président américain n’est pas en phase avec les garanties de sécurité que l’Europe pourrait offrir à l’Ukraine et auxquelles l’Amérique serait priée d’apporter un « filet de sécurité ». Sur l’Ukraine, Trump a deux idées fixes. Faire aboutir les négociations bilatérales entre Russes et Américains qui, ces jours-ci, avaient lieu en Turquie et, surtout, obtenir des Ukrainiens un accord sur les terres rares. Cette Ukraine que l’Occident entendait sauver, après qu’elle a usé son armée et vu son peuple souffrir comme personne, devient l’objet d’un marchandage commercial.
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