Le JDD. Le climat de guerre commerciale d’une part, et de réduction des déficits d’autre part, semble reléguer les enjeux écologiques au second rang. Cela vous inquiète-t-il ?
Agnès Pannier-Runacher. La raison d’être de l’écologie est de protéger les Français. Les protéger contre les catastrophes naturelles liées au dérèglement climatique. Les protéger du manque d’eau, contre la flambée des prix de l’alimentation, de l’énergie. Les protéger contre les pollutions qui affectent leur santé. L’écologie est aussi devenue une arme de souveraineté face à la raréfaction des ressources naturelles. Qu’il s’agisse de l’eau, des matières premières ou de l’énergie.
De ce point de vue, l’enjeu de l’alimentation est aujourd’hui prégnant…
On assiste en effet à une raréfaction des ressources halieutiques et à la baisse des rendements agricoles. Ce n’est pas propre à la France. Et, ailleurs dans le monde, difficile de dire que c’est la faute de l’écologie ! L’écologie est même la meilleure solution pour y répondre. La question de la souveraineté est plus frappante encore en matière énergétique. Nous importons 99 % de nos énergies fossiles. A-t-on envie d’être dépendant pour notre gaz de la Russie, des États-Unis, de l’Algérie ? La seule façon d’en sortir, c’est d’en finir avec les énergies fossiles.
Pour autant, l’écologie au quotidien est souvent synonyme d’entrave à l’activité, à l’image de la décision de la justice de stopper le chantier de l’autoroute A69 ?
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Je vais être très claire : je soutiens la décision du gouvernement de faire appel de cette décision. Ce projet est considéré d’intérêt majeur pour la population et je m’en remets sur ce point aux élus locaux. Qu’ils soient de gauche, comme Carole Delga, présidente de région, du centre ou de droite, une majorité soutient ce projet de désenclavement. J’ajoute que nous avons en France l’un des droits les plus exigeants au monde en matière d’environnement. Tout nouveau projet s’accompagne d’un travail très rigoureux – que l’on nous reproche parfois – d’évitement, de réduction et de compensation de l’impact environnemental.
« Ne pas s’opposer à la qualité de vies des gens », cela revient à « moins les emmerder ». Trente-cinq députés veulent suspendre l’application des zones à faibles émissions (ZFE) qui prévoient l’interdiction des véhicules anciens, jugés trop polluants, au préjudice des Français les moins riches. Les suivrez-vous ?
De quoi parle-t-on ? De 48 000 décès précoces chaque année du fait de la pollution de l’air, de 30 000 enfants qui, chaque année, deviennent asthmatiques. Et ce ne sont pas les populations aisées des centres-villes arborés qui sont touchées, mais celles qui vivent le long des grands axes routiers. Là aussi, je fais confiance aux élus locaux, de droite comme de gauche, qui déploient les ZFE. Ils ne demandent pas de retour en arrière. Sur les 42 zones concernées, seules deux – Paris et Lyon – sont tenues de prévoir des restrictions de circulation pour des voitures de plus de quinze ou vingt ans, du fait de leur mauvaise qualité de l’air. Et les élus peuvent évidemment prendre des dérogations pour les personnes qui ne peuvent pas se passer de leur voiture. Pour moi, l’écologie doit être populaire, elle doit bénéficier aux personnes les plus vulnérables et les protéger.
Le ZAN (zéro artificialisation nette) doit être atteint en 2050. Des sénateurs veulent l’assouplir pour concilier les besoins en construction de logements sociaux ou de développement économique. Y êtes-vous favorable ?
Il ne s’agit pas d’interdire les projets, mais de diminuer l’artificialisation des sols. Nous artificialisons beaucoup plus que nos voisins européens, ce qui est très risqué quand il y a des inondations : nous avons tous en mémoire le drame de Valence, en Espagne, qui a ainsi fait 224 morts. Quant à la mise en œuvre du ZAN, les présidents de région des Hauts-de-France, de Bretagne et du Grand-Est nous demandent d’arrêter de changer les textes. Ils se sont emparés du sujet, ils ont adapté leurs territoires et se sont déjà organisés avec les maires pour ne pas geler des projets de développement économique ou de logements. Faisons-leur confiance.
« Nous luttons contre le fléau de la précarité énergétique »
Donc, pour résumer, vous n’autoriserez pas le moindre assouplissement ?
Ce n’est pas du tout ce que je dis. Au contraire, j’écoute ce que me disent les élus de terrain, j’avance et je suis prête à aménager les réglementations en fonction de leurs retours d’expériences. Ils sont bien mieux placés pour cela que nos opposants politiques qui caricaturent l’écologie et prennent ce sujet en otage pour fracturer la société. Le climatoscepticisme est une arme de destruction massive.
Le DPE (diagnostic de performance énergétique) restreint l’accès à la location alors que l’on manque cruellement d’offres…
D’abord, je veux préciser que ce que prévoit la loi, ce n’est pas une interdiction de la location mais la possibilité pour le locataire d’exiger une baisse de loyer si des travaux de rénovation ne sont pas engagés pour faire baisser la facture. L’injustice criante contre laquelle, avec Valérie Létard, ministre du Logement, nous nous battons, c’est le fléau de la précarité énergétique. Cela touche un Français sur trois. Des locataires qui subissent la triple peine : vous payez le loyer de marché, votre facture d’énergie est trois fois supérieure à celle de vos voisins et, de surcroît, vous avez froid l’hiver. Vous trouvez ça acceptable ? Moi non. Mais oui, il faut aider les propriétaires. Nous avons mandaté la sénatrice Amel Gacquerre pour trouver des solutions de financement pour les propriétaires modestes. Et le budget de l’État pour la rénovation thermique est au plus haut malgré nos efforts de réduction des dépenses publiques : nous y consacrons 2,3 milliards d’euros.
L’UFC-Que choisir prédit une hausse des prix de l’électricité en 2026 de l’ordre de 19 %. Confirmez-vous cette tendance ?
Non, ce ne sera pas le cas. Le prix de l’électricité sur les marchés de gros est aujourd’hui stable pour 2026, et les experts n’anticipent pas de hausse du prix, sauf événement exceptionnel, comme on l’avait vécu avec la guerre en Ukraine.
Et quid du prix du gaz qui, lui, explose en ce moment. Faut-il s’y résoudre ?
Cela montre l’absolue nécessité de sortir des énergies fossiles. Nous en avons les moyens, car nous sommes parmi les meilleurs producteurs au monde d’électricité, qu’il s’agisse de renouvelable ou de nucléaire. Je le porte d’autant plus fortement que je suis la ministre qui a obtenu la reconnaissance du nucléaire, contre les Allemands ! Aujourd’hui, la présidente de la Commission européenne reconnaît le nucléaire comme un élément de notre souveraineté européenne dans lequel nous devons investir. C’est une de mes grandes fiertés !
Ou en est-on de l’avancée des EPR promise par le président de la République ?
Les travaux avancent à Penly. L’objectif est que la première paire de réacteurs nucléaires soit livrée par EDF entre 2035 et 2037. Plus globalement, notre production d’électricité renouvelable et nucléaire a augmenté de plus de 30 % en deux ans avec un record historique d’exportation l’année dernière. Et le prix réglementé a baissé de 15 % en février dernier, comme je m’y étais engagée.
Vous présentez cette semaine le plan national d’adaptation au changement climatique, que recouvrira-t-il précisément ?
Il s’agit de nous adapter au dérèglement climatique et de protéger les Français face à une météo détraquée. Je dévoilerai une liste de 51 mesures. Je réunirai dès mardi prochain les élus du littoral pour agir concrètement contre la submersion marine et le recul du trait de côte. Des crédits sont déjà budgétés. Je ferai de même avec les élus de montagne dont les territoires sont exposés aux risques d’éboulements et de ruptures de lacs sous-glaciers. Et un pan entier de ce plan concerne les agriculteurs pour leur garantir l’accès à l’eau et adapter les cultures aux conséquences de l’évolution du climat.
« Je n’ai pas l’intention d’interdire la chasse à courre »
L’Office français de la biodiversité (OFB) est critiqué par une partie du monde agricole qui lui reproche des contrôles répétitifs et parfois arbitraires. Que leur répondez-vous ?
L’OFB est la police la plus vieille de France. Elle trouve son origine au Moyen Âge. Nous ne la supprimerons pas. Nous avons besoin d’une police de l’eau, de l’environnement et de la chasse, comme le défendent une majorité d’agriculteurs et de chasseurs. Je regrette cette instrumentalisation de l’écologie pour des raisons politiciennes. Cela ne signifie pas qu’il ne faut pas agir. Avec ma collègue Annie Genevard à l’Agriculture, nous travaillons avec les agents de l’OFB pour que les contrôles se passent bien. Cela passe par le port d’arme discret, la formation des agents aux problématiques des agriculteurs et la formation des agriculteurs au droit de l’environnement.
À ceux qui évoquent une forme de harcèlement, je rappelle que seuls 6 % des contrôles de l’OFB concernent les agriculteurs, et seuls 0,05 % sont problématiques. Une exploitation agricole est contrôlée administrativement en moyenne tous les 120 ans. Par contre, il y a parfois des signalements. Et effectivement, dans ce cas, en tant qu’officiers de police, les agents de l’OFB interviennent. Ils instruisent et transmettent soit au préfet, soit au procureur. Sur cet aspect, je veux privilégier les sanctions administratives pour les atteintes à la loi les moins problématiques. Quand vous vous garez mal, vous avez un PV, vous ne vous retrouvez pas devant le juge.
Le réalisateur Luc Besson a posté la vidéo d’un cerf achevé par des chasseurs dans une de ses propriétés. Que vous inspire-t-elle ?
Les images ne me laissent pas indifférente, mais ne tombons pas dans la caricature. En tant que ministre de la Biodiversité, j’ai besoin des chasseurs pour réguler les populations de cervidés et de sangliers qui sont trop nombreux en l’absence de prédateurs et occasionnent des dégâts importants en forêt et dans les exploitations agricoles.
La Fondation Brigitte Bardot, néanmoins, réclame l’interdiction de la chasse à courre. Y donnerez-vous suite ?
À cette heure, je n’ai pas l’intention d’interdire la chasse à courre.
Vous représentez l’aile gauche de la macronie, comment se passe votre cohabitation avec vos nouveaux partenaires LR ?
Ce gouvernement est une preuve de maturité politique de notre pays. Enfin ! Nous sommes une coalition, pas une alliance. J’assume mes désaccords avec mes collègues LR sur des sujets précis, ce qui ne veut pas dire que je suis en désaccord sur tout. Ces derniers mois, nous avons fait la démonstration que nous étions capables de travailler ensemble au service des Français. De faire preuve de dépassement, comme le président de la République en avait eu l’intuition.
Gérald Darmanin propose qu’un candidat unique des partis du socle commun soit départagé dans le cadre d’une primaire pour 2027. Y êtes-vous favorable ?
Non, personne n’imaginerait en Allemagne une primaire qui irait de la CDU au SPD. Chacun a son identité politique.
Le parti Renaissance devra-t-il avoir un candidat à la présidentielle de 2027 ?
Renaissance soutiendra un candidat et on définira la manière dont on le fera.
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