Curitiba, métropole du sud du Brésil. Une famille d’expatriés français vit au sein d’un condominium sécurisé, dans une superbe maison : Laurence, son mari Dominique et leurs trois enfants, Corentin (7 ans), Julie (4 ans) et le petit dernier, Théodore, 11 mois. La journée est belle et chaude, même si nous sommes en hiver. Les perruches jabotent dans le palmier, le jasmin embaume, le grand bougainvillier tapisse de fuchsia le fond du jardin, un colibri zinzinule puis butine les fleurs orange de l’hibiscus près de la piscine. Dominique est en déplacement en France. Laurence est donc seule avec les enfants.
Ce soir, son amie Sylvaine vient dîner. Pour l’heure, la bonne humeur règne, Corentin et Julie jouent dans la piscine, Théodore s’approche à quatre pattes, se penche pour mettre ses petites mains dans l’eau, « juste le temps de l’attraper pour lui éviter un malencontreux plongeon ». Il est presque cinq heures et la nuit arrive bientôt. Laurence est angoissée dès que le soleil se couche. À Curitiba, les taux de criminalité et d’enlèvements sont élevés, les journaux alertent.
Pas le dernier câlin
Elle ferme scrupuleusement toutes les portes à clef, même le temps du bain des enfants à l’étage. Elle a peur. Sylvaine arrive dans une heure, il faut préparer le dîner. Corentin et Julie traversent la cuisine, Théodore est dans les bras de son grand frère. Le téléphone sonne, c’est Christian, un ami. Il a besoin de parler. Laurence interrompt la conversation pour s’enquérir de Théodore, qu’elle n’entend plus gazouiller. Elle interroge ses grands, ils ne répondent pas. Elle insiste, ils ne savent pas où il est. Laurence raccroche le combiné, inspecte le salon, appelle son bébé en sachant qu’il ne peut pas répondre, aucun bruit, pas un rire, rien, le silence.
Elle scrute toutes les chambres, en vain. Une douleur lui « broie les poumons ». Une seule porte donnant sur l’extérieur est ouverte : celle de la cuisine, mais elle n’a pas vu Théodore passer. Qu’importe, elle sort, scrute le jardin, s’égosille. « Théodore, Théodore ! » Toujours rien. L’idée d’un kidnapping surgit. Elle revient dans la maison, elle pleure, tremble, se prend la tête dans les mains. Elle aperçoit la porte-fenêtre du salon entrouverte, laquelle donne sur la piscine. Elle bondit.
Le bassin est entouré d’un filet de protection, mais les poteaux ont rouillé, certains sont cassés et il y a un passage. La piscine est couverte d’une bâche thermique. Par désespoir, elle la soulève. « Oh non, oh non, il est là ! » Théodore flotte la tête dans l’eau. « Qu’ai-je fait ! Mon bébé est mort ! » Il est au milieu du bassin. Elle plonge, le sort : son visage est violet, gonflé, son corps est inanimé. Elle rentre dans la maison en criant : « Théodore est mort ! Théodore est mort ! » Elle répète cette phrase sans cesse. Elle pose l’enfant au sol, lui fait du bouche-à-bouche et crie : « Tu n’as pas le droit de me laisser. » Elle appelle les secours, pratique un massage cardiaque sous les ordres d’un urgentiste au téléphone. Elle dit à Théodore : « Ce ne sera pas le dernier câlin, ne m’abandonne pas, tu n’as pas le droit de me laisser. »
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Le Samu arrive. L’équipe de secours prend le relais. Le bébé est encore en vie, mais c’est fragile. On lui place un masque à oxygène. Son cœur s’arrête. Le médecin ordonne un défibrillateur. Le cœur reprend. Direction l’hôpital. Sur le trajet, nouvel arrêt cardiaque. Puis le cœur reprend à nouveau. Laurence a passé un contrat avec son fils : « Ce ne sera pas le dernier câlin. »
« Sois fort, mon bébé »
Le verdict du médecin va tomber. Théodore va-t-il s’en sortir ? « Sur une échelle de un à dix, son espérance de vie est de 0,1. » Laurence s’effondre, culpabilise. Sylvaine est à ses côtés.Théodore tient bon. « C’est une force de la nature », disent les médecins. Il se réveille de son coma mais reste inerte dans un premier temps. Il faut investiguer pour savoir quelles parties de son corps sont touchées, quelles lésions affectent son cerveau. Surtout, il se met à convulser tellement qu’il doit être plongé dans un coma artificiel. Laurence, à son chevet, ne cesse de lui parler, de l’entourer : « Sois fort, mon bébé, tu n’as pas le droit de me quitter, accroche-toi Théodore, j’ai besoin de toi. » Dominique revient de Paris en urgence au chevet de son petit garçon. Il s’adresse à sa femme : « Tu as été remarquable et courageuse. Comme ça a dû être difficile. »
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Les convulsions cessent mais les neurologues demeurent prudents. Dans la chapelle de l’hôpital qui fait face au service de réanimation, Laurence « s’adresse au Tout-Puissant », demande de l’aide, se confie, c’est libératoire. Devant une statue de la Vierge à l’Enfant, elle interroge : « Pourquoi, pourquoi ça m’arrive ? »
Une fois l’état cérébral de Théodore stabilisé, sa mère peut le prendre dans ses bras : « Ce moment est si jouissif […] Il est vivant, oui il est vivant. » Elle lui chuchote des mots d’amour, mais le bébé ne tient plus sa tête, ne peut plus lever les bras, soulever ses jambes, son regard est fixe et vide. Les neurologues sont péremptoires : « Votre petit garçon est aveugle et tétraplégique, il a très peu de chances de s’en sortir. » Voilà l’épreuve dans l’épreuve. Ce que les médecins ignorent, c’est que Laurence va se battre avec Théodore. Oui, ses lésions sont importantes, mais l’amour guérit ! Rien n’est fatal. C’est écrit : Théodore marchera et recouvrera la vue. Sa mère, avec les kinésithérapeutes, les orthophonistes, va tout lui réapprendre. Magie de l’amour. Un nouveau premier rire viendra.
À force de ténacité, Laurence va redonner un corps mobile à son fils. Il va recouvrer la parole. Rien ne décourage cette mère. Elle sait le prix à payer. Envers et contre tout. On pense ici à la phrase de Lacan : « Il n’y a rien à espérer du désespoir. » Impossible de se plonger dans ce témoignage sans verser quelques larmes. Grâce à sa mère, Théodore a une deuxième vie. « Comme j’ai eu raison de te promettre que ce ne serait pas notre dernier câlin. »
La deuxième vie de mon fils, Laurence Le Jalu, Éditions City, 301 pages, 18,90 euros.
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