Les réalisateurs ont parfois du mal à dire au revoir à leurs films. Mathias Mlekuz en sait quelque chose : après un tournage pas comme les autres puis un marathon d’avant-premières chargé d’émotions dans toute la France, il appréhende de se retrouver assis sur son canapé, lui qui, dans À bicyclette ! a gagné Istanbul à vélo depuis La Rochelle. Une parenthèse de cinq semaines pour prendre les roues de Youri jusqu’à la mer Noire et rejoindre la petite amie iranienne de celui-ci, et peut-être apercevoir sur ses traces ce fils ayant mis fin à ses jours à 28 ans.
Le jeune homme avait entrepris le même périple seul, il y a six ans. Flanqué de leur chien Lucky, le père endeuillé a proposé à son pote comédien Philippe Rebbot (L’Amour flou), coauteur de son premier long métrage Mine de rien (2020), de l’accompagner dans ce voyage au bout de l’intime où tous deux présenteraient quelques spectacles de clown, comme le disparu dont c’était l’art. L’idée d’en tirer un film est venue de l’ex-compagnon de Romane Bohringer. Elle peut en déconcerter beaucoup, nous aussi doutions avant la projection. « On l’a fait pour nous, très égoïstement, poursuit Mathias Mlekuz. La question de l’impudeur s’est posée quand il a été montré pour la première fois au Festival d’Angoulême. Là-bas, personne ne m’en a parlé. Quelqu’un m’a dit plus tard que c’était un film pudique dans l’impudeur. »
Des spectateurs bouleversés
Le documentaire (ou presque) doit beaucoup à l’événement cofondé par Dominique Besnehard et Marie-France Brière où il a remporté trois Valois et bouleversé les spectateurs angoumoisins, bon nombre d’entre eux allant jusqu’à faire la queue à l’issue des séances pour partager avec son metteur en scène leurs émotions, leurs expériences personnelles ou l’enlacer. « J’avais l’impression d’être Amma », sourit-il, faisant référence à cette figure spirituelle indienne câlinant à tour de bras pendant ses assemblées.
Plus que le récit d’un deuil, c’est celui d’une belle amitié
L’engouement a convaincu le distributeur Ad Vitam du potentiel commercial de ce projet fauché ayant essuyé refus sur refus du fait de son délicat sujet. On mettrait notre main à couper que la belle aventure se poursuivra lors de sa sortie en salle. « Vous ne devriez pas, on n’en a que deux », plaisante Mathias Mlekuz. Les standing ovations à répétition n’en sont pas moins prometteuses. Et son road trip, dans son alternance tragicomique, a autant déridé nos zygomatiques qu’il a embué nos yeux, avec ses séquences improvisées dont la spontanéité et la sincérité, sans doute grâce au montage aussi, lèvent les craintes de l’indécence et du pathos, si bien que jamais le spectateur ne se sent vraiment de trop quand les gorges se nouent. Il est suffisamment rare de voir des comédiens boomers montrer leur fragilité à l’écran sans le fard de leur profession.
Aucun échange écrit au préalable ici. Pas de situations programmées non plus, si ce n’est le discours du départ, la rencontre finale avec la copine iranienne et, à mi-chemin, une scène très drôle dans le Airbnb d’une actrice autrichienne à Vienne sans qu’elle soit pour autant dialoguée. Le réalisateur a fait confiance aux promesses que recèle la vie. Elle lui a donné raison. Il a également pu compter sur les talents d’improvisation et la drôlerie de son acolyte en costume-casquette. Il faut voir ce binôme de comédiens contrasté qui vit les choses au lieu de les jouer : Mathias, son physique de nounours et son regard empli de tendresse ; Philippe, son visage émacié et son élégance bien à lui. Des Hardy et Laurel donnant au film des allures de buddy movie.
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Un nouveau film prévu
Ces deux-là se connaissent depuis deux décennies et le tournage du Triporteur de Belleville (2005). Le premier y jouait aux côtés de Lorànt Deutsch et Romane Bohringer ; le second préparait les sandwichs à la régie. Philippe Rebbot est tombé amoureux de la rejetonne de Richard Bohringer ; tel un coach, Mathieu Mlekuz lui a donné des conseils qui ont porté leurs fruits. Peut-être que plus que le récit d’un deuil à quatre roues, À bicyclette !, dont le titre évoque la célèbre chanson de Francis Lai et Pierre Barouh interprétée par Yves Montand (il a d’ailleurs été trouvé par le producteur Jean-Louis Livi, neveu de la star), est celui d’une belle amitié.
Lors de son tournage, ils ont pris goût à la liberté favorisée par son dispositif. « Entre le plan de travail, le budget, le maquillage, les coiffures, le cinéma est rempli de contraintes, développe Mathias Mlekuz. Là, il n’y en avait aucune. On pouvait commencer à neuf heures comme à onze. Garder cette liberté-là, c’est le challenge de mon prochain film. » Toujours accompagné de Philippe Rebbot, il y suivra son cadet Manolo, 18 ans, étudiant en histoire désireux de se présenter aux élections présidentielles de 2027, dans sa quête des 500 signatures. Tout un programme ! Une belle manière de dire au revoir à À bicyclette ! aussi.
À bicyclette ! ★★★, de et avec Mathias Mlekuz, Philippe Rebbot. 1h29. Sortie mercredi 26 février.
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