
Les cinéastes sont plus que jamais hantés par les fantômes de la Seconde Guerre mondiale. Après l’électrochoc de La Zone d’intérêt, de Jonathan Glazer, L’Ombre du commandant, de Daniela Völker, et La plus précieuse des marchandises, de Michel Hazanavicius, l’année dernière, au tour de Jesse Eisenberg de contribuer au devoir de mémoire avec A Real Pain, alors qu’on vient de célébrer les 80 ans de la libération du camp de concentration d’Auschwitz-Birkenau.
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Une fiction construite à partir d’éléments autobiographiques, écrite, dirigée et interprétée par l’électron libre américain qui a touché le cœur des votants au gré des nombreuses cérémonies de remise de prix, s’imposant presque à chaque fois dans les catégories meilleur scénario et meilleur acteur dans un second rôle pour Kieran Culkin (comme la semaine dernière aux Bafta Awards). L’histoire de deux cousins que tout oppose, David, expert en publicité digitale à New York et introverti, et Benji, sans emploi et aux sautes d’humeur imprévisibles. Ils entreprennent un voyage qui va les bouleverser : partir en Pologne sur les traces de leur grand-mère, survivante de l’Holocauste. Ils réservent des visites en groupe, mais rien ne se passe comme prévu à cause de Benji, dont la frénésie finit par épuiser les participants, et surtout David…
Produit par Emma Stone, A Real Pain repose sur la dynamique du duo antagoniste formé par Jesse Eisenberg (David) et son partenaire Kieran Culkin (Benji), dont l’exubérance, la grossièreté et les répliques cinglantes traduisent une sensibilité à fleur de peau et un mal-être flagrant. Un numéro d’équilibriste impressionnant de la part du phénomène révélé par la série Succession, aussi pénible qu’attachant à l’écran, si bien que le public est assailli de sentiments contradictoires à son égard. Mais on est frappé par la sincérité de ce récit initiatique et identitaire qui évoque, entre humour et émotion, la souffrance et la résilience du peuple juif.
« Depuis vingt ans que j’écris des longs métrages de cinéma et des pièces de théâtre, je me nourris de ma propre expérience, indique Jesse Eisenberg. Le personnage de la grand-mère est inspiré de ma tante Doris, née dans la petite ville de Krasnystaw, berceau de ma famille. J’ai filmé dans la maison où elle a grandi. Elle est partie en Amérique en 1918, puis s’est installée à New York où elle est restée jusqu’à sa mort à l’âge de 107 ans. Son frère, mon grand-père, y a vu le jour en 1922. Tous les autres qui étaient restés au pays ont été assassinés, sauf ma cousine Maria. Ils ont soit été raflés pour se faire exécuter au camp de Belzec, soit fusillés directement dans le cimetière local. On ne sait pas. »
Un voyage qui va bouleverser deux cousins que tout oppose
Ce drame était le moyen de parler de lui-même, de trouver des réponses à toutes les interrogations existentielles qui l’assaillent. « Je suis dépressif et anxieux, comme beaucoup de juifs de mon âge [41 ans, NDLR], affirme-t-il. Alors que nos familles ont échappé à l’extermination ! Chaque jour, on devrait se réjouir de la chance qu’on a d’être en vie. Mais quand on a été élevé comme moi dans le New Jersey et qu’on a passé son temps à jouer à la console Nintendo, alors on se sent vide, sans but dans l’existence, coupable et misérable. »
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Jesse Eisenberg a assumé la responsabilité de tourner dans le camp de Majdanek, qu’il avait découvert en 2008 avec sa femme. Il est resté quasi intact : l’armée russe est arrivée avant que les nazis ne le brûlent. Le réalisateur s’est réfugié derrière sa caméra pour observer une distance nécessaire et veiller à ce que ses comédiens soient à l’aise. « Certains ont éclaté en sanglots, une réaction tout à fait compréhensible, confie-t-il. J’ai choisi des plans fixes, simples, sans musique. Le plus terrible a été la phase de repérages avec mon équipe technique. On se demandait par exemple comment éclairer une chambre à gaz… J’étais dévasté, mais motivé par le désir de témoigner. »
A Real Pain ★★★, de et avec Jesse Eisenberg, Kieran Culkin. 1 h 29. Sortie mercredi.
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