Le JDD. Deux députés appellent à nouveau à la légalisation du cannabis, et même à la dépénalisation de la cocaïne… en invoquant des modèles étrangers. Votre réaction ?
Jean-Paul Bruneau. Comparer la politique française de lutte contre la toxicomanie avec celle d’autres pays demande une étude non partisane. Car dire que la répression de l’usage est un échec en France est faux, la loi n’ayant jamais été appliquée correctement. En effet, son application est sous l’influence de « l’interdit d’interdire » : les plans drogues se sont succédé avec l’idée « d’apprendre à consommer », avant que le secteur du soin soit pris en main par des addictologues qui n’ont pas l’objectif d’une prise en charge globale pour sortir de l’addiction, mais un accompagnement sans contrainte pour l’usager.
Or les professionnels de la « réduction des risques » persistent, persuadés d’être les seuls détenteurs de la solution, quitte à interpréter à leur avantage des politiques expérimentales à l’étranger.
Le Portugal est souvent cité en exemple… Qu’avez-vous à en dire ?
En 2001, le pays a dépénalisé l’usage et la détention de l’équivalent de dix jours de consommation, avant de limiter à trois. Il a aussi des peines administratives pour ceux qui ne respectaient pas les traitements proposés par les commissions de dissuasion de la toxicomanie, et le Portugal est resté très ferme sur les sanctions du trafic de proximité. La baisse de la consommation et du trafic s’est opérée au début et s’est maintenue sur les vingt années qui ont suivies.
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Mais à présent, de nouveaux problèmes frappent le pays comme le reste de l’Europe : arrivée du crack, des drogues de synthèses et de l’e-commerce. Ce qui a été décidé voilà vingt ans n’est donc plus applicable tel quel aujourd’hui. La légalisation n’empêchera pas le marché noir de produits plus attrayants pour le consommateur (sans taxes, plus variés et chargés en principes actifs).
Beaucoup de spécialistes, pourtant, jugent la « répression » inefficace…
Depuis 1970, la loi privilégie l’accès aux soins et le malade dépendant qui accepte d’aller voir un addictologue échappe aux poursuites. La répression – et parfois la prison – concerne surtout ceux qui commettent d’autres infractions sous l’emprise des stupéfiants. Le simple usage, dit « récréatif », est sanctionné d’une contravention, ce qui est déjà une forme de dépénalisation (équivalente à la sanction administrative au Portugal). Cette contravention est une modeste contribution pour financer les futurs soins du malade toxicomane… Certes, c’est toujours plus utile que de donner cet argent au réseau criminel ! Mais faire croire que le toxicomane ne va pas vers les soins par peur de la répression est grotesque. Il suffit de constater, aux abords des salles de consommation, la grande mansuétude qui perdure pour les consommateurs et dealers à proximité.
Est-il possible de savoir quel impact une dépénalisation aurait sur le trafic ?
Le trafic est international et les zones de production sont hors d’atteinte. Il faut donc renforcer la coopération internationale, ainsi que la surveillance maritime pour les containers qui arrivent en l’Europe. La saisie des porte-conteneurs et navires impliqués obligerait les armateurs à plus de vigilance ; tandis que la saisie des avoirs et des biens des mafieux, en France comme en Italie, aurait aussi un impact sur le trafic.
La légalisation n’empêchera pas le marché noir d’autres produits
Le projet politique engagé par nos ministres de l’Intérieur et de la Justice devrait porter ses fruits progressivement mais il faut une politique de santé publique qui réduise la liberté de consommer en parallèle… et non l’inverse.
Cette proposition de loi entend pourtant « protéger les consommateurs »…
Malgré une légalisation, le consommateur cherchera en priorité le produit le moins cher et le plus performant, pas le moins dangereux ! La contrebande aura donc plus de succès qu’un marché légal. La légalisation engage la responsabilité de l’État et oblige une prise en charge de toutes les conséquences. En revanche, elle n’empêche pas la production de drogues de plus en plus addictives hors de nos frontières.
Savons-nous combien coûte aujourd’hui cette prise en charge ?
Ces spécialistes devraient avoir l’honnêteté de dire aux Français combien coûte cette politique de réduction des risques, et la comparer à une méthode de prise en charge globale, axée sur le sevrage et la consolidation de l’abstinence jusqu’à l’autonomie, sans transfert sur d’autres dépendances (médicamenteuse, entre autres).
Étrangement, le manque de communautés thérapeutiques, type EDVO, qui visent l’autonomie avec une abstinence durable, n’est jamais cité par les militants de la légalisation ou de la dépénalisation ! Or le Portugal, régulièrement cité, a largement développé ce type de prise en charge. Mais en France, « l’enveloppe du financement d’État de la réduction des risques » ne se partage pas…
Trouvez-vous le parallèle avec l’alcool ou la cigarette pertinent ?
Ces drogues légalisées apportent des nuisances depuis cinquante ans, c’est indiscutable. Il a d’ailleurs fallu créer des lois de plus en plus restrictives des libertés pour freiner les conséquences de ces consommations ! La majorité des contribuables, qui prend soin de sa santé, ne pourra pas accepter éternellement de prendre en charge tous les malades addicts. La dépénalisation ou la légalisation n’arrangera rien. Si tout le monde fume, pourquoi pas moi ? C’est très contagieux, surtout pour les plus influençables ou les plus fragiles. La permissivité n’a rien d’éducatif dans ce domaine
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