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Dans l’aube morne de la lâcheté, une flamme vacille. Boualem Sansal, fragile, âgé, réduit par la maladie, a choisi de se priver de nourriture et de ne plus consulter ses médecins. Son corps plie, mais son esprit, lui, brille comme un phare en pleine tempête. Son appel muet nous parvient, glacial comme le vent des cimes, ardent comme le sable du désert.
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Et nous ? Nous sommes là, spectateurs tétanisés par une injustice qui s’inscrit sous nos yeux. C’est atroce. C’est révoltant. C’est détestable. C’est insoutenable. Les mots échouent à décrire l’infamie. Comment peut-on imposer une telle agonie à un homme dont le seul tort est d’avoir écrit, d’avoir pensé librement ? Comment admettre qu’un pouvoir, aveugle de despotisme et ivre de contrôle sur ses habitants, s’acharne sur un corps déjà meurtri ?
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« Dirigeants de France et d’Europe, vous qui brandissez la liberté comme un étendard, où êtes-vous ? »
Qu’attendez-vous, vous tous, à Alger, à Paris, à Bruxelles, à Madrid, à Montréal ? Qu’attendez-vous pour élever vos voix de démocrates, pour pulvériser la chape de silence, pour proclamer qu’écrire ne constitue pas un crime, que penser ne saurait être une menace contre la sécurité d’un État, même oppressif et brutal ? N’y a-t-il personne, dans cette terre qui a donné naissance à Kateb Yacine et tant d’autres, pour se dresser, pour hurler son indignation et son refus de cette injustice ?
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J’imagine mon ami Boualem, seul derrière les barreaux de sa cellule, son corps endurant l’effacement, ses pensées jaillissant dans la nuit. À quoi réfléchit-il, dans cette prison où la douleur devient compagne, où l’attente devient supplice ? Quelle détresse doit peser sur lui, lui, l’homme de lumière, étouffé par les ténèbres de l’arbitraire ? Et vous, dirigeants de France et d’Europe, vous qui brandissez la liberté comme un étendard, où êtes-vous ?
Comment osez-vous rester muets, ne pas frapper du poing, ne pas exiger que ce pouvoir fasse preuve d’un sursaut d’humanité, d’un reste de dignité ? Pourquoi ce silence complice, cette lâcheté insupportable ? Je hurle ma fureur contre la tyrannie algérienne, contre ses larbins serviles, contre ces nations européennes amnésiques, engoncées dans leurs calculs diplomatiques.
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Je refuse d’écrire une élégie funèbre. Je refuse que les journaux, demain, titrent à la gloire de Sansal, qu’ils louent son courage lorsqu’il sera trop tard, eux qui le laissent mourir aujourd’hui. Car une fois disparu, Boualem deviendra un héros, un sage, un martyr. On encensera son audace et son talent. Mais à quoi bon ces regrets posthumes, ces hommages écœurants ?
C’est maintenant qu’il faut agir, pas demain, pas plus tard, pas après. Je vous implore, vous qui lisez ces mots. Que votre indignation devienne une clameur. Que votre révolte devienne action. Que chaque heure qui passe soit un coup porté contre cette injustice, que chaque jour soit une épreuve pour ce régime tyrannique. Car chaque minute nous rapproche de l’irréparable. J’ai envie de hurler. De maudire. De dénoncer cette passivité qui ronge le monde. Je veux croire que vous, qui lisez ces lignes, n’en faites pas partie. Et si vous avez un pouvoir, une influence, usez-en, par solidarité, par justice, par amour.
Boualem Sansal ne doit pas être livré à l’oubli et à la désolation. Le temps est compté. Faites que demain ne soit pas trop tard. Je vous en supplie.
Kamel Bencheikh est écrivain. Son dernier ouvrage : L’islamisme ou la crucifixion de l’Occident, préface de Stéphane Rozès, éditions Frantz Fanon, novembre 2024, 208 pages.
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