Comme bien des usines en France, le site de KNDS, à Bourges, vibre au rythme métallique des machines. Dans ces hangars ultrasécurisés, le fracas de la ferraille résonne continuellement. Par moments, une voix humaine s’élève au milieu du vacarme, rappelant que derrière chaque robot, l’humain reste maître de la machine. « Deux cents personnes se relayent en trois-huit, l’usine ne dort jamais », plastronne le chef de l’établissement, Laurent Monzauge. Au bruit assourdissant s’ajoute l’odeur d’huile et des arômes métalliques. « Je viens sur le site une fois par semaine, et ces essences de parfum me prennent au nez à chaque fois », semble s’enivrer Laurent Monzauge, qui a commencé sa carrière dans l’entreprise en tant qu’ouvrier avant d’occuper un bureau établi sur un autre site, moins chantant, à une poignée de kilomètres.
C’est entre ces murs que la légende du canon Caesar s’écrit. Des tubes en acier brut de trois tonnes sont acheminés depuis la société métallurgique Aubert & Duval (Loire) pour y être taillés. « Notre usine façonne ces ébauches au long d’une trentaine d’opérations. À force de chariotage et d’alésage, la pièce de canon pèsera 1,9 tonne pour 9 mètres de long, un monstre sur le champ de bataille », détaille Gabriel Massoni, porte-parole de KNDS.
Pour atteindre ce résultat, le site de 6 hectares compte sur une soixantaine de machines, en plus de ses ouvriers hautement qualifiés. « Ce ne sont pas de simples presse-boutons. Ils pilotent leurs appareils, modifient les programmes et ajustent des côtes allant jusqu’à cinq centièmes, soit l’épaisseur d’une feuille de cigarette ! » souligne Laurent Monzauge, blouse blanche sur le dos.
« Le passage à l’économie de guerre repose sur un triptyque : produire davantage, plus vite et à des coûts maîtrisés »
Parmi les tourneurs, fraiseurs ou soudeurs, Anthony, fort de douze ans d’ancienneté dans l’entreprise, confie : « Dans le contexte actuel, il y a une pression supplémentaire sur nos épaules. » La pièce qu’il travaille ce jour-là est stratégique : elle assure la jonction entre la culasse et le tube, un élément clé du système Caesar. La pression géopolitique ne doit pas faire dérailler la fabrication relancée sur un rythme effréné. « Cette pièce de 500 kilos vaut à elle seule 50 000 euros. S’il y a une erreur, elle part à la poubelle », précise le technicien d’usinage.
Si le Caesar est la star de l’usine, c’est aussi dans ces murs que sont assemblés les canons qui équipent les avions Rafale et les chars Leclerc. Dernière canonnerie du pays, la production de Bourges fait la fierté de la région Centre et rayonne bien au-delà de ses frontières : les redoutables canons Caesar sont exportés vers une douzaine de pays. Une renommée aussi soudaine qu’inattendue, qui explose il y a trois ans lorsque Vladimir Poutine décide d’envahir l’Ukraine. La pièce d’artillerie envoyée aux Ukrainiens s’impose par son efficacité : doté d’un canon de 155 mm d’une portée de 40 kilomètres, le Caesar peut tirer jusqu’à six obus en moins d’une minute avec une précision chirurgicale. Monté sur un camion à roues, le système offre une mobilité accrue, permettant de changer rapidement de position sans laisser à l’ennemi le temps de le détecter. « C’est un facteur très important dans une guerre contemporaine », expliquait récemment un commandant ukrainien à l’AFP.
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Depuis 2022, les carnets de commande de KNDS ont explosé, et les cadences de production aussi. « Aujourd’hui, notre usine s’inscrit pleinement dans l’économie de guerre », affirme le directeur général Nicolas Chamussy. Avant la guerre en Ukraine, deux à quatre canons Caesar sortaient des hangars chaque mois ; en 2025, le site en produira huit. « Les cycles de production ont été raccourcis : la fabrication d’un tube est passée de neuf à six mois, ajoute le directeur général. Le passage à l’économie de guerre repose sur un triptyque : produire davantage, plus vite et à des coûts maîtrisés. »
« C’est une fierté de travailler dans la confection d’armement »
Depuis 2022, l’entreprise, détenue à 50 % par l’État français et à 50 % par un fonds familial allemand, a investi plus de 500 millions d’euros dans de nouvelles machines et infrastructures. Aujourd’hui, elle est capable de réaliser des achats anticipés sur fonds propres afin de constituer des stocks de matières premières et de sécuriser ses approvisionnements. « Depuis trois ans, chaque espace de l’entrepôt est occupé. Avant, certains endroits étaient carrément vides », souligne Kévin, technicien. KNDS France et ses différents sites comptent désormais 2 000 fournisseurs, dont 90 % sont français.
L’empreinte de l’économie de guerre a exigé le renforcement des équipes : la filiale française recrute entre 300 et 500 personnes par an, en CDI, en intérim, en apprentissage ou en reconversion professionnelle. Laurent, en poste depuis deux ans et demi, en est un exemple : « Avant, j’étais dans le bâtiment. J’ai effectué un stage chez KNDS, et aujourd’hui c’est une fierté de travailler dans la confection d’armement, cela demande un savoir-faire particulier. »
Quelques kilomètres plus loin, à La Chapelle-Saint-Ursin, près de 500 employés fabriquent des obus pour le Caesar. « Peu d’industriels au monde maîtrisent ce couple. C’est ce qui fait la force de notre outil et de sa précision », affirme un responsable. Avec un taux d’attrition de moins de 10 %, le canon donne bien du fil à retordre aux troupes russes. Ave Caesar !
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