À quoi ça tient, parfois, une carrière de joueur. Janvier 2023 : Bradley Barcola vient de souffler ses vingt bougies mais, en digne représentant de cette jeunesse pressée, il aimerait davantage de considération et de temps de jeu. À l’Olympique lyonnais (OL), son club de presque toujours, barré par une concurrence expérimentée, il apparaît « dans la rotation » comme on dit, mais pas comme une priorité. Il demande à être prêté en Suisse. Le Servette de Genève et le FC Saint-Gall sont sur les rangs.
Les dirigeants alémaniques évoquent encore avec nostalgie les négociations avec Bruno Cheyrou, alors responsable du recrutement de l’OL, et ses conseillers : « On l’attendait avec impatience en Espagne, où on préparait la seconde partie de la saison. Tout était quasiment bouclé. » Que se serait-il passé si le fougueux ailier gauche avait rejoint le championnat helvétique ? Serait-il aujourd’hui titulaire au PSG et régulièrement aligné en équipe de France ?
À l’époque, Laurent Blanc se soucie comme d’une guigne de ces considérations. L’entraîneur est arrivé trois mois plus tôt au chevet d’un OL en crise. Le mercato hivernal a rebattu les cartes : Toko-Ekambi, Faivre, Reine-Adélaïde ou encore Tetê ont fait leurs valises, la porte s’entrouvre pour les jeunes. En février 2023, « le général » Alexandre Lacazette, taulier de l’attaque locale, se blesse. Barcola saute sur l’occasion (et les occasions), enchaîne les buts (5) et les passes décisives (9). Le début d’une histoire d’amour saveur terroir pour le natif de la capitale des Gaules ? Que nenni. Déjà dans les radars de plusieurs grandes écuries, le gamin à la silhouette aussi longiligne que ses dreadlocks (1,82 m pour 73 kilos) annonce en début d’été son association avec le tout-puissant agent Jorge Mendes. Comme dirait Cheyrou, ce n’est pas anodin. Son président John Textor a beau le déclarer intransférable, il s’engage pour cinq ans avec le PSG à quelques heures de la clôture du marché contre 45 millions d’euros, une somme énorme. « Le choix était mûrement réfléchi, explique-t-on dans l’entourage du club parisien. Bradley est le joueur le plus “vertical” du championnat français et correspondait exactement au profil recherché par Luis Enrique, qui venait d’arriver en poste. »
« Il y a eu un déclic, une libération face à Manchester City »
Passés en partie dans l’ombre de Kylian Mbappé, les premiers mois sont laborieux. Le nouveau venu est raillé de toutes parts pour son CV maigrichon, son manque d’impact physique et sa nonchalance. Un chroniqueur en vue le surnomme « Bambi ». À Lyon, il devient le traître, lui qui avait maintes fois affiché sa fidélité à l’OL avant son départ. Mais le capitaine de l’équipe de France vit une fin de règne conflictuelle à Paris. Barcola s’installe à la gauche de l’attaque et termine la saison suffisamment fort pour être dans la liste de Deschamps pour l’Euro 2024, où il jouera trois bouts de matchs qui laisseront quelques regrets, tant il semblait en forme. Cet automne, les derniers doutes tombent comme les feuilles mortes.
« Son évolution est excellente, juge l’ancien défenseur et directeur sportif du PSG Alain Roche. Face à Arsenal ou au Bayern, il était encore en dedans mais il y a eu un déclic face à Manchester City [4-2, le 22 janvier]. Ce soir-là, pour lui, c’était à pile ou face. En première mi-temps, il tergiversait, n’osait pas, je me disais en tribune : “Ce n’est pas possible !” Et puis, au retour des vestiaires, il s’est mis à accélérer, il a marqué le but de l’égalisation à 2-2 et entraîné ses coéquipiers dans la folle remontée. Le fait d’avoir dominé ces joueurs-là lui a donné une confiance supplémentaire, des certitudes techniques. »
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Aux côtés d’un Ousmane Dembélé irrésistible et de milieux virevoltants, Bradley Barcola incarne ce nouveau PSG emballant et volontiers attiré par les talents de la Ligue 1, comme en témoigne le recrutement de Désiré Doué. Au centre d’entraînement de Poissy, on estime que le numéro 29 doit encore gagner en polyvalence, vertu cardinale du foot version Luis Enrique, et en finition. « Dans trois ans, s’il continue ainsi, il bouclera les saisons avec vingt-cinq ou trente buts au compteur. » Il en est déjà à onze, rien qu’en championnat.
Peut-il encore s’affirmer davantage au sein du vestiaire, lui qu’on décrit comme discret, voire introverti ? « Je trouve qu’il a déjà gagné en personnalité, assure Alain Roche. Son caractère ne changera pas, mais s’il est un leader sur le terrain, c’est déjà formidable. Être titulaire à Paris à seulement 22 ans est un immense défi, on ne s’en rend pas suffisamment compte. Il est arrivé avec très peu de matchs en L1 au compteur (quarante, souvent comme remplaçant). Il faut du temps pour s’habituer au haut niveau, avec l’exigence et un entraîneur qui ne te lâche jamais. Les gars ont confiance en lui, ça se voit. Sa qualité de contrôle est exceptionnelle, il a progressé dans ses appels et ses contre-appels, son jeu dans les petits espaces se bonifie, c’est une très belle réussite. »
Même l’arrivée du virevoltant Géorgien Kvaratskhelia ne semble pas l’avoir déstabilisé alors que se profilent de grosses échéances avec Liverpool en Ligue des champions (lire ci-après) et la Croatie en quart de finale de la Ligue des nations : « L’an passé, le PSG voulait déjà engager Bernardo Silva, poursuit-on en interne. Un club avec de telles ambitions se doit de mettre de la densité dans l’effectif, à tous les postes. C’est la règle, Bradley le sait. » Roche en est persuadé, « la concurrence va lui faire du bien. Il lui faudra être constant, concentré, prendre sa chance à chaque fois ». Jusqu’à présent, Bradley Barcola a rarement échoué dans l’exercice.
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