Guillaume Bigot. Quiconque se penche sur l’APD offerte par la France ne peut qu’être frappé par son inextricable complexité, produite par une technocratie dont on se demande parfois si elle ne cherche pas à brouiller les pistes. Une partie de cette aide est réalisée sous forme de dons et une autre sous forme de prêts. Ces prêts ou dons sont dirigés vers des États étrangers – aide bilatérale ou versés à des organisations internationales – aide multilatérale. L’AFD (et ses filiales) joue un peu le rôle d’un chef d’orchestre, à la fois privé et public, tant pour le compte des ministères français que de nombreuses organisations internationales. C’est à la fois un guichet d’aides publiques, mais aussi une banque qui lève des fonds privés pour financer des opérations avec des entreprises. Cette seule définition laisse entrevoir un système tentaculaire, voire magmatique. Si l’on ajoute que la France aide, chaque année, 271 organisations internationales et 150 pays au moyen de prêts ou dons, on conçoit que la Cour des comptes elle-même peine à s’y retrouver.
Y a-t-il une idéologie identifiable ou un parti pris dans la distribution de cette aide ?
Le discours colonialiste s’est également renversé, nous estimant responsables – et comptables – des fléaux qui ravagent certains pays. Au départ très axée sur nos anciennes colonies et sur les pays les plus pauvres, l’APD s’est teintée d’idéologie mondialiste en se déployant « tous azimuts ». En son nom, on aide le développement du secteur privé (entreprises), des pays avec lesquels nous n’avons que peu de liens ou qui n’en ont pas besoin, voire des pays hostiles. Cette mondialisation se traduit également par une montée en puissance des contributions multilatérales dans l’APD française. Les aides que nous servons via l’Union européenne ou des fonds globaux (Fonds vert pour le climat, Fonds mondial contre le sida) représentent 43 % de notre aide globale. Depuis 2017, ce sont 25 milliards. Et 72 % de ces financements sont des contributions volontaires : une anomalie ruineuse voulue par Emmanuel Macron pour compenser la baisse de nos apports aux organisations internationales (en raison de la diminution relative du PIB français).
« Nous avons cherché à comprendre l’origine de ces flux financiers »
C’est donc la mondialisation qui prévaut.
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On peut considérer que cette logique de financement des grandes causes mondiales (égalité de genre, lutte contre le réchauffement climatique…) vise à préserver une mondialisation qu’on refuse obstinément d’interroger : on préfère organiser une sorte de charité mondiale pour corriger certains de ses effets. C’est pour ça que l’on nous parle de « biens publics mondiaux », comme le climat. Soyons concrets : le Brésil ou l’Indonésie, pays souverains, déforestent sans relâche, pour le plus grand profit des multinationales qui les aident à le faire. Mais, en bout de chaîne, c’est le citoyen français que l’on culpabilise en lui réclamant de l’argent pour replanter les forêts primaires.
Comment s’articule l’échelon européen pour la France ?
Cette aide publique européenne nous coûte de plus en plus cher (presque 3 milliards) pour des résultats encore plus décevants que l’APD française. Dans deux rapports successifs, la Cour des comptes européenne a épinglé cette catastrophe mais les budgets augmentent toujours. Les magistrats européens ont, par exemple, dénoncé la livraison de 250 chameaux à la Mauritanie pour lutter contre le djihadisme ou l’achat de mixeurs électriques pour des écoles africaines… privées d’électricité.
De quel argent parle-t-on exactement ?
Dans le cadre de notre mission pour avis budgétaire, nous avons justement cherché à comprendre l’origine et la destination de l’ensemble de ces flux financiers. C’est extrêmement délicat. En tant que député, il ne m’a pas été possible de disposer d’une cartographie exhaustive de tous les flux entrants et sortants gérés directement ou indirectement par les ministères et par l’AFD. Notons d’ailleurs que l’AFD est passée de la 28e à la 35e place dans le classement international sur la transparence des agences de développement.
L’AFD se défend en évoquant l’existence de prêts, en plus des dons. Mais il y a un risque quand même, écrivez-vous…
Au total, les prêts réalisés par l’AFD pèsent 50 milliards, dont 9,7 milliards vers des pays à risque. Dans mon rapport, j’ai révélé que l’administration s’était volontairement rendue minoritaire au sein des organes de gouvernance de l’AFD afin que la dette de cet organisme ne grève pas celle de la France. Pourtant, en cas de défaut, c’est le contribuable français qui sera appelé.
Pourquoi décrivez-vous une APD difficile à évaluer ?
Premièrement, la fragmentation est ahurissante : une myriade d’acteurs – ministères, agences internationales – dispersent les fonds sans réelle coordination et ces fonds passent par d’innombrables canaux. Deuxièmement, les indicateurs de performance sont soit inexistants, soit tellement vagues qu’ils sont dérisoires. Cela fait des années que le législateur exige des indicateurs et la réunion d’un organisme de contrôle. C’est encore en travaux. Lorsque je me suis rendu aux Comores, j’ai constaté que l’ambassadeur avait peu de prises sur les opérations pilotées par l’AFD et ses filiales. Je serai curieux de savoir si nos ambassadeurs notent les agents de l’AFD comme ils sont censés le faire ?
« Nous continuons à verser des fonds à des pays refusant de coopérer ou nous étant hostiles »
On défend parfois l’APD comme un moyen de lutte contre l’immigration illégale. Est-ce efficace ?
Les montants dédiés représentent moins de 1 % de notre aide globale et ces versements ne sont assortis d’aucune contrainte. D’ailleurs, l’OCDE refuse de comptabiliser toute aide exigeant de la part du bénéficiaire des résultats en matière de maîtrise des flux migratoires. Surtout, le lien qui peut nous sembler intuitif entre développement économique et réduction de l’immigration ne l’est pas. L’amélioration de la situation économique donne parfois aux populations les moyens de rémunérer un passeur ou d’acheter un téléphone portable ou encore d’acquérir des compétences ou des diplômes leur permettant de partir.
Plus largement, vous dénoncez une France incapable de défendre ses intérêts. Pourquoi ?
Primo, nous faisons tout pour invisibiliser notre aide, en privilégiant l’aide multilatérale plutôt que bilatérale mais aussi en étant presque gêné d’en assurer la publicité. Secondo, nous finançons souvent n’importe quoi, des projets ne correspondant pas à la réalité ou à la culture du pays et souvent irréalistes ou fantaisistes. Tertio, lorsque nous finançons des projets utiles, ce sont souvent des entreprises étrangères qui en bénéficient. Quarto, notre aide manque cruellement de conditionnalité. Nous continuons par exemple à verser des fonds à des pays refusant de coopérer ou nous étant hostiles.
Pensez-vous qu’il faille engager un moratoire comme les États-Unis ?
C’est indispensable. Ce moratoire doit exclure les aides contractuelles pour ne pas décrédibiliser la signature de la France et celles qui relèvent de l’urgence. Pour le reste, il faut vigoureusement appuyer sur « pause ». Nous économiserions immédiatement plusieurs milliards dont nous avons tant besoin en métropole comme en outre-mer.
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