Qu’est-ce que l’aide publique au développement (APD) ? L’ensemble des financements d’organismes publics vers des pays bénéficiaires listés par l’OCDE. Entre 2017 et 2022, Emmanuel Macron a fait passer l’APD française de 10 à 15 milliards d’euros. Et si les récentes difficultés budgétaires ont imposé une baisse, elle n’est prévue que temporairement. En octobre dernier, le député RN Guillaume Bigot rendait un rapport parlementaire détaillé sur le sujet, appelant déjà à réexaminer une aide « illisible, coûteuse et peu efficace ».
Depuis, Donald Trump a annoncé la suspension des activités de l’agence américaine, le temps d’examiner ses dépenses. De quoi relancer le débat. C’est ce qu’a fait l’eurodéputée de Reconquête Sarah Knafo cette semaine sur le plateau de CNews : « On ne prend pas la mesure de ce que c’est, de prendre l’argent dans la poche des Français pour l’envoyer au monde entier. » Le ministre chargé des partenariats internationaux, Thani Mohamed-Soilihi, a immédiatement dénoncé des « manipulations grossières ». En reprenant l’exemple de la Chine contre lequel Sarah Knafo s’était notamment insurgée, le ministre a affirmé que la France n’y dépensait pas d’argent public, puisqu’elle « prête au taux du marché ». Quelques heures plus tard, c’est l’Agence française de développement (AFD) qui critiquait à son tour « un flot d’informations non vérifiées ». Si la discussion est aussi difficile, c’est que l’APD se déploie de façon tentaculaire, en impliquant une myriade d’acteurs et différentes catégories d’aides.
L’aide s’exerce parfois dans des projets impossibles à contrôler
Concrètement, quels en sont les acteurs ? Les ministères de l’Europe et des Affaires étrangères, de l’Économie, de l’Éducation et de la Recherche… mais également des établissements publics comme l’AFD, ainsi que les collectivités locales… Le tout sans compter l’échelle européenne à laquelle la France contribue évidemment. En France, le principal chef d’orchestre de la distribution des aides s’appelle donc l’AFD. Un organisme qui agit à la fois comme une banque quand il s’agit de financer des projets par des prêts, et comme une agence qui attribue également des subventions pour le compte de l’État français. Voilà le nœud du débat entre Sarah Knafo, le ministre et l’AFD cette semaine. Mais si cette dernière a principalement réagi sur la question des prêts, cela n’épuise pas le sujet. L’agence indique elle-même la répartition des aides dans sa communication : en 2021, les dons ont représenté 88,1 % de l’APD mondiale, le reste relevait des prêts. En France, l’aide publique au développement française bilatérale (directement d’un pays à un autre) était sous forme de dons à 64,8 %.
Et si la passe d’armes de la semaine s’est concentrée sur la Chine, l’exemple n’épuise pas non plus – loin de là – la réalité de l’APD. Est-il vrai que l’AFD a des projets en Chine ? Oui. Est-il vrai que les prêts se font au taux du marché ? Oui. Mais la France y gagne-t-elle vraiment ? Pas sûr, pour deux raisons : d’abord parce que pour prêter de l’argent, la France surendettée est obligée… d’en emprunter. L’intérêt des pays émergents est évident : la France peut obtenir un taux plus intéressant qu’eux. Ensuite, l’avantage économique vanté par l’AFD – cela profiterait à des entreprises françaises – n’est pas si simple : l’OCDE interdit en effet de « lier » l’aide au développement à la préférence pour des biens ou des services français… Résultat, la Chine – elle – privilégie ses entreprises. Voilà pourquoi le ministre peut affirmer que la Chine ne bénéficie pas directement, via l’aide au développement, d’argent public.
L’aide s’exerce parfois dans des projets illisibles et impossibles à contrôler
Et pour le reste ? Plusieurs autres pays ont recours à des prêts, plus ou moins bonifiés. En clair, la France prête une somme d’argent qu’elle a elle-même emprunté à un taux préférentiel, à des pays qui peinent à emprunter – malgré une meilleure situation économique. Pourquoi considérer ces prêts comme de « l’aide » ? Parce qu’avec un taux préférentiel, le prêt coûte au préteur : la différence au moment du remboursement est comptabilisée comme « aide publique au développement ».
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Mais la critique ne s’arrête pas là, contrairement à la défense : l’aide s’exerce parfois dans des projets illisibles et impossibles à contrôler, mais surtout sans discrimination dans des pays parfois hostiles, peu coopératifs en matière d’immigration, ou largement réputés pour leur corruption… Le tout avec une efficacité… difficile à mesurer objectivement. Concernant l’aide « multilatérale » – un tiers de l’aide globale (l’argent est donné à des institutions telles que la Banque mondiale, les agences des Nations unies ou divers fonds) –, la Cour des comptes s’est montrée très critique, dénonçant des structures sans contrôle ni transparence dans lesquelles 25 millions d’euros ont été investis en six ans… Concernant l’aide « bilatérale », cela dépend évidemment de projets.
Pour sa défense, l’AFD évoque des indicateurs concrets comme les taux de vaccination ou de scolarisation. Mais comment contrôler l’efficacité de projets ou d’études sur le genre, l’égalité homme-femme ou la décarbonation, par exemple ? Sur son site, l’AFD reconnaît qu’il est « globalement difficile d’évaluer l’impact de l’aide publique au développement ». Elle cite seulement trois chercheurs de l’université de Copenhague qui ont calculé, en 2010, que cette aide contribuait à un point de croissance supplémentaire dans les pays en développement. Depuis 2010, personne n’a donc cherché à en savoir plus sur cette aide qui représente, à l’échelle mondiale… quelque 223 milliards de dollars. Le temps est-il venu de le faire ?
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