« Vous voulez que l’on fasse quelques photos en extérieur ? » Rachida Dati invite Anthony Quittot, le photographe du JDD, à la rejoindre sur la terrasse attenante à son bureau. Penchée au-dessus de la rambarde en pierre qui domine les jardins du Palais-Royal, Rachida Dati répond aux saluts de quelques familles venues goûter sous ses fenêtres. « Ça va ? Vous êtes bien ? C’est agréable cette douceur… Ici aussi on n’est pas mal non plus ! » lance-t-elle dans un grand éclat de rire.
Personnalité détonante, qui suscite l’élan de sympathie des quidams dès qu’ils la reconnaissent, Rachida Dati est en politique comme un poisson dans l’eau. Budget de la Culture en hausse, soutien au spectacle vivant, succès des plans Fanfare et Cabaret dans les territoires de France, la ministre déploie sa vision d’une culture diverse, joyeuse, populaire, quitte à donner quelques coups de griffe aux élites et à l’entre-soi. En avant-scène, le cinéma français et son insolente réussite qui célébrera ses succès lors de la 50e cérémonie des César ce vendredi. En coulisses des dossiers sensibles : la fermeture des chaînes C8 et NRJ 12, les collectivités territoriales qui coupent dans les subventions à la culture et mettent en péril les festivals des petites villes de province. Sans oublier les municipales à Paris et la réforme du mode de scrutin pour mettre fin à « une anomalie démocratique ». Rachida Dati répond aux questions en toute franchise, avec le regard et l’assurance d’une ministre à l’offensive et d’une candidate en campagne.
Le JDD. Le Conseil d’État confirme la fermeture de NRJ 12 et de C8. Supprimant la première chaîne de la TNT et une émission, « TPMP », qui s’adresse à un public large et populaire. Comment justifier une telle décision ?
Rachida Dati. L’Arcom est une autorité indépendante qui a été créée par un vote du Parlement. Les missions et les procédures ont été fixées dans la loi. La décision de l’Arcom a été prise après un long processus conforté par le Conseil d’État. Si une majorité de responsables politiques considèrent que ces règles sont injustes, il revient au législateur de les modifier.
Des journalistes du JDD ont entendu des membres de l’Arcom se vanter d’avoir fermé C8 : « On nous a demandé de virer Hanouna, on a fait notre boulot. » Quelle est votre réaction ?
La suite après cette publicité
Je ne sais pas dans quel cadre ont été tenus ces propos. Mais, s’ils sont avérés, ils sont inacceptables et constituent une faute déontologique grave. Et dans ce cas, je m’en entretiendrai avec le président de l’Arcom afin de faire toute la transparence.
Certains plaident pour la suppression pure et simple de l’Arcom. Que leur répondez-vous ?
Pendant longtemps, on a reproché aux responsables politiques de trop interférer dans le paysage audiovisuel, ce qui a conduit à la création d’une autorité indépendante dès 1982 et depuis jamais remise en cause. Aujourd’hui, quoi qu’on en pense, le paysage audiovisuel est divers.
J’ai également une pensée pour tous ces téléspectateurs qui considèrent qu’on les prive injustement d’un média…
Vous récusez toute intervention du politique dans l’univers médiatique, pourtant votre prédécesseur, Rima Abdul-Malak, avait ciblé, en février 2023, CNews et C8, sur l’antenne de France Inter…
Je ne suis pas sur sa position s’agissant de CNews ou du groupe auquel elle appartient. Je tiens au pluralisme, comme au respect des règles qui régissent l’audiovisuel.
La conséquence directe est la perte d’emploi pour 400 salariés. D’un trait de plume…
Vous avez raison, il y a des conséquences sociales. Je pense à la secrétaire, à la maquilleuse, à tous les techniciens qui perdent leur emploi. Le paysage audiovisuel évolue, ce n’est pas la première fois qu’une chaîne s’arrête. Mais je resterai évidemment attentive au suivi social. J’ai également une pensée pour tous ces téléspectateurs qui considèrent qu’on les prive injustement d’un média…
France TV Info – audiovisuel public –, dans le traitement du conflit au Proche-Orient, a parlé d’« otages palestiniens » au lieu de prisonniers, et a consacré un sujet au potentiel hôtelier de Gaza à la suite des propos de Donald Trump sur la « riviera du Moyen-Orient ». L’Arcom a-t-elle été saisie ?
Tout cela est effectivement choquant. Il y a eu une défaillance professionnelle indéniable, c’est pour cela que le directeur de la chaîne a été mis en retrait et qu’un journaliste a été suspendu. Des mesures immédiates ont été prises et des excuses ont été présentées. Et, par ailleurs, l’Arcom a légitimement été saisie.
Vendredi prochain, le cinéma français remettra ses récompenses au cours de la 50e cérémonie des César. On imagine que l’ambiance sera festive compte tenu de ses performances ?
Le cinéma a été créé en France. Notre pays le fait vivre avec succès dans toutes ses nuances. Le cinéma d’auteur y a sa place, comme le cinéma populaire. L’année 2024 a été exceptionnelle, supérieure à celle de 2023 avec 181 millions d’entrées. Ce succès est largement attribuable à nos mécanismes de financement. C’est une exception culturelle que d’autres pays nous envient et essaient de mettre en œuvre, sans toujours y parvenir. Lorsque j’ai été nommée à ce ministère, le CNC était fragilisé. Je l’ai conforté, y compris dans un contexte budgétaire compliqué. Il a fait l’an dernier l’éclatante démonstration de son efficacité. Le succès du cinéma en France est double : d’une part, par le nombre exceptionnel d’entrées en salle et, d’autre part, la France comme lieu de tournage. Notre patrimoine, nos espaces naturels sont très attractifs pour les producteurs étrangers, de même que nos nombreux studios de tournage partout sur le territoire.
Le nouveau directeur du CNC a travaillé dans votre cabinet, il est perçu comme un profil très politique…
Ce n’est pas une décision sans fondement du président de la République : sa connaissance des sujets, son profil international et ses qualités professionnelles l’ont distingué lors du comité de sélection. Je note que l’accueil des professionnels est très bon. Je lui fais toute confiance pour réussir dans ses fonctions.
« Il n’y a aucun désert culturel en France. L’offre est importante »
Le cinéma se porte bien, et pourtant, certains festivals, Gérardmer, Reims, de même que le spectacle vivant – comme la maison de la danse à Lyon – s’inquiètent de la baisse drastique des subventions des collectivités. Cela vous inquiète-t-il ? Pouvez-vous les rassurer ?
L’offre culturelle dans notre pays est importante. Il n’y a aucun désert culturel en France. Nous sommes le pays des festivals et du patrimoine comme écrin de notre culture. S’agissant des collectivités locales, leurs dotations ont été relativement préservées dans le budget 2025. Chacun à son niveau fait des efforts, toutefois l’investissement dans la culture est un choix politique. Si des collectivités se désengagent, c’est leur choix.
L’État peut-il s’engager à les préserver ?
Depuis 2017, le ministère de la Culture a bénéficié d’une augmentation de son budget à un niveau inédit : +1,4 milliard d’euros. C’est un choix politique fort du président de République, non seulement de le préserver mais même de l’augmenter. Pour 2025, dans un contexte budgétaire très difficile, j’ai obtenu que ce budget soit maintenu. Et pour tous ceux qui ont la critique facile, en 2024, il n’a pas manqué un euro au spectacle vivant sur les territoires, il en sera de même du côté du ministère en 2025. D’ailleurs, le programme qui finance la création a augmenté de 2,5 millions d’euros cette année.
La cinémathèque a récemment déprogrammé la diffusion du Dernier Tango à Paris. Le cinéma est-il menacé par une sorte de censure morale ?
Ce sujet soulève plusieurs questions. Il y a de plus en plus d’atteintes à la liberté de création en France : des spectacles qui sont déprogrammés, des artistes qui renoncent à présenter des expositions, des conférences annulées… Ce n’est pas la France. C’est tout le sens des mesures que j’ai mises en œuvre en décembre dernier pour enrayer ces atteintes à la création. Effectivement, la diffusion du Dernier Tango à Paris à la cinémathèque a suscité beaucoup de polémiques. Ce film a été diffusé sans explication, sans contextualisation, sans rappeler les propos de l’actrice qui remettait en cause les conditions de tournage. Les difficultés étaient là.
Canal+ finance le cinéma français à hauteur de 200 millions par an. La signature d’un accord entre son concurrent Disney+ et le CNC pourrait conduire Canal à diminuer son financement. Cela vous inquiète-t-il ?
Bien sûr que c’est une préoccupation. Canal+ est indissociable du cinéma. Vous dites Canal+, vous pensez cinéma. J’ai confiance dans la négociation en cours. J’échange avec Maxime Saada, le PDG de Canal+. Je le redis, le cinéma français a besoin de Canal+. Et je ne crois pas que ses dirigeants aient l’intention de se désengager.
Le cinéma français a aussi son côté obscur avec la révélation d’affaires d’agressions sexuelles, de harcèlement, qui donnent lieu à des procédures judiciaires. Y a-t-il un problème systémique auquel il faut s’attaquer ?
Le monde du cinéma est un lieu de pouvoir et de domination. Des faits qui relèvent du pénal doivent être dénoncés. La lutte contre les violences sexuelles et sexistes est un combat que je mène depuis très longtemps. En tant que ministre, j’ai mis en place des dispositifs qui sont de plus en plus opérants et qui incitent à des changements de comportement, tels que la conditionnalité des aides, le référent pour les mineurs ou les formations pour l’ensemble des professionnels. Cela incite aussi à la révélation de situations qui ne l’auraient pas été par le passé.
Le projet de loi de réforme de l’audiovisuel public est prêt. Ce regroupement garantira-t-il l’indépendance des rédactions et des antennes ?
L’audiovisuel public est aujourd’hui très dispersé. Les audiences télévisées déclinent et le public vieillit. L’objectif de cette réforme est de préserver un audiovisuel public très fort, aujourd’hui confronté à la concurrence de groupes privés de plus en plus organisés et structurés. C’est le sens de la proposition de loi déposée par le sénateur Laurent Lafon qui est inscrite à l’ordre du jour du Parlement le 7 avril, et que je soutiens. La holding ne touchera pas à l’identité de chacune des entités. Elles conserveront leurs rédactions et leurs spécificités.
Y aura-t-il des économies et des réductions de postes ?
Ça n’a jamais été la motivation de ce projet. Cela fait dix ans que l’on parle de cette réforme qui est attendue pour préserver un audiovisuel public qui est de plus en plus attaqué.
Delphine Ernotte termine son deuxième mandat à la tête de France Télévisions. Pourrait-elle diriger la future holding, comme elle semble le souhaiter ?
Elle peut être candidate. Elle sera, dans ce cas, auditionnée comme les autres prétendants au poste.
Lors de vos vœux, vous avez évoqué la création d’un « National Trust » à la française pour l’entretien de 45 000 sites de notre patrimoine historique et religieux. Comment cela fonctionnerait-il ?
Le National Trust à la française, inspiré du modèle britannique, permettra ainsi d’étendre le soutien de l’État aux propriétaires privés en leur permettant de bénéficier d’une ingénierie, d’une expertise et de financements. Cette initiative sera complémentaire du Centre des monuments nationaux (CMN), qui a pour mission de conserver les monuments historiques.
Quelles seront les sources de financement de ce National Trust ?
Par du mécénat et des dispositifs de financement innovants. J’ai à cœur que tout cela ne coûte pas un euro de plus au contribuable. Et j’applique ce principe très largement, pour l’ensemble de nos grands projets patrimoniaux. Comme je l’ai décidé pour la restauration du Louvre, nous ferons simplement payer plus cher les visiteurs extra-européens à partir du 1er janvier 2026. Ce dispositif financera l’intégralité du projet muséal.
« Agir pour renforcer l’éducation à l’image à l’école »
Êtes-vous favorable à la loi PLM, qui fixe un statut électoral particulier à Paris, Lyon et Marseille ?
Cette réforme est la mise en application du principe démocratique « un électeur = une voix » comme c’est le cas dans toutes les communes de France. Je ne comprends pas qu’on puisse s’y opposer. J’y suis donc favorable.
Quels nouveaux chantiers pour renforcer l’éducation artistique et culturelle ?
L’accès à la culture reste ma priorité, pour tous et notamment pour ceux qui en sont le plus éloignés socialement et géographiquement. Le cinéma est là aussi un bon exemple. L’utilité de « Ma classe au cinéma », qui permet chaque année de faire découvrir le cinéma en salle à 2 millions d’élèves, fait consensus. Mais aujourd’hui, ce dispositif est fragilisé. Nous avons décidé avec Élisabeth Borne d’agir pour renforcer l’éducation à l’image à l’école.
Qu’est-ce que la « France Music Week » ?
Nous devons replacer la France sur la carte de la musique mondiale, encore mieux valoriser la création artistique française et la richesse de ses talents. C’est dans cet esprit que le président de la République a annoncé lors de la dernière fête de la musique le lancement d’une « France Music Week », qui se déroulera en juin prochain. Elle sera un carrefour d’échanges et de rencontres, une célébration de la musique sous toutes ses formes et une réflexion au plus haut niveau sur les mutations et défis de la filière mondiale. Je pourrai en dire plus très bientôt sur le programme !
Source : Lire Plus