Le mage Jean-Luc Mélenchon n’aime pas se tromper. Fin décembre, l’Insoumis en chef prend les paris : la chute du gouvernement interviendra en début d’année, « sans doute le 16 janvier », au surlendemain de la déclaration de politique générale. Raté ! PS et RN ne votent pas la censure. Le message des électeurs est passé : non au chaos, oui à la stabilité.
Rebelote le 5 février, socialistes et frontistes refusent de soutenir deux motions de censure déposées par LFI sur le budget. Les troupes de Jean-Luc Mélenchon sont furibardes : le maintien aux responsabilités de François Bayrou compromet la perspective d’une présidentielle anticipée. À cet instant, le Premier ministre pense avoir un peu d’oxygène. Dans ce contexte, le petit monde politico-médiatique ne prête pas attention à un article publié par Mediapart le matin du 5 février titré : « Viols sur mineurs à Bétharram : les mensonges de Bayrou pour défendre une institution catholique. »
En substance, les auteurs affirment que le centriste a couvert des agressions physiques et sexuelles sur des enfants dans un établissement catholique des Pyrénées-Atlantiques lorsqu’il était ministre de l’Éducation nationale. Un collège-lycée que connaît très bien François Bayrou, et pour cause : le maire de Pau, originaire de la région, y a scolarisé trois de ses six enfants, et son épouse y a enseigné le catéchisme.
Un fils scolarisé dans l’établissement
D’abord évoquée dans la presse locale, « l’affaire Bétharram », du nom de cet établissement situé près de Lourdes, émerge au niveau national en mars 2024 après une enquête du Monde. Où l’on apprend notamment que trente-trois anciens élèves ont déposé plainte pour des faits de violences, agressions sexuelles et viols qui auraient été commis entre 1970 et 1990. Le quotidien du soir mentionne également l’existence d’une plainte déposée en 1996 par un parent contre un surveillant qui a percé le tympan de son fils après une violente gifle. L’un des fils de François Bayrou, alors ministre de l’Éducation nationale, fréquente l’établissement. Le ministre commande une enquête à l’inspection générale. Un rapport de trois pages conclut qu’au-delà de ce cas, il n’y a pas de phénomène de violence structurelle à Notre-Dame de Bétharram.
LFI entretient volontairement la confusion
L’année suivante, François Bayrou quitte ses fonctions après la dissolution. La vie de cet établissement catholique sous contrat reprend – en apparence – son cours normal. Jusqu’à la mise en examen en 1998 de l’ancien directeur, le père Carricart, accusé de « viol et agression sexuelle sur mineur de moins de 15 ans par personne abusant de son autorité ». Le mis en cause se donne la mort en 2000. « Jamais je n’ai été au courant de cette histoire à ce moment-là », assure au Monde François Bayrou en mars 2024. Entre-temps, la libération de la parole aidant, les témoignages se multiplient. 112 plaintes sont déposées pour des faits qui se seraient déroulés entre 1950 et 2010.
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Suivant leur obsession de renverser le gouvernement, les Insoumis voient dans cette affaire une opportunité de faire tomber Bayrou. S’appuyant sur l’enquête de Mediapart, LFI l’accuse d’avoir gardé le silence sur des faits de violences pédocriminelles dont il aurait été informé dès 1996 par une enseignante et par l’infirmière de l’établissement. En réalité, ces deux témoignages font état de violences physiques et non sexuelles. Pour intolérables que soient toutes les formes de violence, la nuance est de taille. Qu’importe, LFI entretient volontairement la confusion. Pour ne rien arranger, le Premier ministre s’emmêle lui-même les pinceaux, entre réponses ambiguës et dénégations maladroites. Comme lorsqu’il nie avoir rendu visite au juge d’instruction chargé du dossier Carricart, M. Mirande, qui se souvient d’un long entretien avec François Bayrou sur cette affaire en 1998. « Il s’inquiétait au regard de la présence de son fils dans l’établissement », confiait le magistrat au Monde en 2024. Le Premier ministre, lui, évoque une rencontre informelle avec le juge Mirande, qui était son voisin. Pour LFI, ces maladresses valent culpabilité.
Interpellé dans l’hémicycle sur cette affaire le 11 février, François Bayrou se défend : « Est-ce que vous croyez qu’on aurait scolarisé nos enfants dans des établissements dont il aurait été soupçonné ou affirmé qu’il se passe des choses de cet ordre ? » Avant de balayer des « polémiques artificielles ».
Dans l’entourage du Premier ministre, on reconnaît des erreurs de communication, mais aucune tentative de dissimulation. François Bayrou serait, selon ses proches, victime d’une entreprise de déstabilisation coordonnée par Mediapart et ses relais de La France insoumise : « Cette gauche en veut au Premier ministre d’avoir fracturé le NFP. Et ainsi éloigné Mélenchon du deuxième tour d’une hypothétique présidentielle anticipée. » Outre la recherche d’un motif de censure, l’entourage du Premier ministre voit également dans l’instrumentalisation politique de cette affaire une offensive anti-catho qui ne dit pas son nom : « Ne tournons pas autour du pot, on a là un modèle de sophisme trotsko : puisque François Bayrou est catholique, il protège forcément sa paroisse. »
Et de pointer une conjonction entre une extrême gauche avide de raviver la guerre scolaire et les réseaux fin de vie à l’Assemblée nationale, lesquels ne pardonnent pas au Premier ministre d’avoir scindé le texte en deux, l’un sur les soins palliatifs, l’autre sur l’aide active à mourir. « C’est un peu capillotracté. C’est une affaire personnelle, on n’a aucune obligation de venir à son secours. La fin de vie n’est pas le sujet », réplique un partenaire du socle commun et ardent défenseur de la légalisation de l’euthanasie.
Un emballement médiatique
Pour Camille Pascal, conseiller d’État et ancienne plume de Nicolas Sarkozy, les motifs de ceux qui montent en épingle cette affaire sont secondaires à côté de leur méthode : la propagation et l’amplification de la rumeur. Toute chose égale par ailleurs, l’historien voit des similitudes entre Bétharram et la mécanique de l’affaire Baudis, du nom de l’ancien maire de Toulouse, accusé en 2023 d’avoir participé à des orgies barbares avec des notables et le tueur en série Patrice Alègre.
Outre le motif de censure, une offensive anti-catho
Le parallèle lui semble d’autant plus évident que Camille Pascal était directeur de cabinet de Dominique Baudis à l’époque. « Au commencement de ces deux affaires, il y a un emballement médiatique sur la foi de propos invérifiables », note-t-il. En l’espèce, ceux d’une enseignante et d’un gendarme. La première affirme avoir alerté le ministre dès 1996 des violences commises dans l’établissement, dont Élisabeth Bayrou aurait été témoin. Le second, chargé de l’enquête en 1998, évoque « une intervention » de François Bayrou auprès de la justice, sans en détailler la nature. Ce que dément vigoureusement l’intéressé.
Las, « dans l’affaire Baudis comme dans celle-ci, il y a une tentation complotiste de certains médias d’adhérer à une version forcément scandaleuse. La preuve n’a aucune importance, la rumeur suffit », dénonce Camille Pascal. La nouveauté réside selon lui dans « la porosité qui semble exister entre Mediapart et LFI », amplifiant l’écho donné à cette affaire. Acculé, le Premier ministre a répliqué mardi dans l’hémicycle en chargeant le gouvernement Jospin à la fin des années 1990, notamment sa ministre de la Justice Élisabeth Guigou, destinataire de trois signalements du procureur général, prévenant d’une possible affaire de grande ampleur au sein de l’établissement. « Une misérable polémique politicienne », a balayé l’intéressée. Et du pain bénit pour une extrême gauche déterminée à renverser Bayrou.
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