La carrière surgit, tache blanche au milieu des vignobles des grands crus de Bourgogne. Depuis la route, les 80 hectares de pierre de Comblanchien sont pourtant à peine visibles : l’entreprise est soumise à des règles de remise en forme du paysage et doit minimiser les nuisances. « Les tirs de mines produisent des vibrations quasi nulles », souligne le patron, Jean-Roch Deswarte. Dans cet environnement naturel, l’extraction de la pierre doit respecter la vie de ceux qui y habitent : une portion de la carrière a été à l’arrêt six mois parce qu’un grand-duc – espèce protégée – avait décidé d’y nicher pour se reproduire. Nous sommes ici dans le petit village de Comblanchien, habité par 600 âmes et qui a donné son nom à cette pierre si particulière. Si l’exploitation de la carrière proprement dite date de 1804, le précieux minerai comblanchien trouve ses origines il y a plus de 165 millions d’années. « Parfois on tombe sur un fossile de coraux ou d’oursins », raconte l’exploitant.
La pierre de Bourgogne était largement exploitée par les moines, au Moyen Âge, notamment à l’abbaye voisine de Cîteaux. Aujourd’hui, Jean-Roch Deswarte, la cinquantaine, assure la présidence de SETP. Sa sœur, Céline Molin, en est la directrice générale. L’entreprise exploite dorénavant l’intégralité des concessions accordées par la mairie et affiche un chiffre d’affaires de 24 millions d’euros en 2024. L’entrepreneur et sa sœur, arrivés en 1995, ont étendu, petit à petit, leur empire blanc. Casque vissé sur le crâne, muni de bottes, Jean-Roch Deswarte explique qu’il a commencé avec une seule concession de 8 hectares et deux salariés. SETP en emploie aujourd’hui 215, pour une exploitation d’une centaine d’hectares.
Une renommée mondiale
Comment expliquer un tel engouement pour cet or blanc ? « La pierre de Comblanchien possède une belle homogénéité, entre le blanc et le beige, et surtout une solidité à toute épreuve – les mêmes caractéristiques que le granit – en plus d’une grande disponibilité. C’est une pierre exceptionnelle, sans micro-fissures, qui n’a pas besoin de consolidant », souligne le dirigeant. La pierre est très exactement la même que celle que les moines extrayaient il y a plusieurs siècles. À l’occasion des Jeux olympiques de Paris, lorsqu’il a fallu restaurer l’escalier du Grand Palais avec la pierre d’origine, aux teintes identiques, il a suffi d’exploiter le même banc de pierre utilisé à l’époque : « La chargée de projet n’en croyait pas ses yeux : plus d’un siècle plus tard, elle retrouvait très exactement la même teinte ! »
Une particularité qui fait sa renommée à travers le monde : le sol de la galerie des fresques qui relie les halls 1 et 2 de la gare de Lyon, le petit parvis de Notre-Dame de Paris, les marches des bistrots parisiens pour accéder aux sous-sols… « La pierre de Comblanchien fait partie du quotidien des Français », témoigne Jean-Roch Deswarte.
Extraire la pierre se fait au moyen de machines ultraperformantes. Au loin, une chargeuse jaune : « Elle nous a coûté un million d’euros. Nous sommes loin des méthodes ancestrales très harassantes. On ne casse plus les cailloux comme Rantanplan ! », s’amuse le tailleur de pierres en chef. Chaque année, sur la cinquantaine d’intérimaires, une dizaine passe en contrat stable. « Notre entreprise propose une alternative au travail de la vigne qui est très fatiguant », explique l’exploitant, en discutant avec Marc, une jeune recrue, qui surveille le travail effectué par la machine. Les immenses mâchoires d’acier, articulées par des treuils, font une sorte de quadrillage, puis viennent découper dans la pierre, avec la précision d’un fil à couper le beurre, des blocs de 15 tonnes.
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En 2024, 22 000 m³, soit l’équivalent de 2 300 camions ont été extraits. « C’est un produit brut, naturel. On débite les blocs puis on coupe dedans comme des tranches de bois. Que l’on n’aura pas besoin de changer avant plusieurs centaines d’années. » Tout au plus un coup de polissoir pour redonner son éclat à la pierre. Dans l’usine attenante, neuf tailleurs de pierre terminent les finitions : « C’est un métier industriel et presque artisanal : une main va terminer les formes, sentir que les pierres peuvent bien s’imbriquer les unes dans les autres. »
Un matériau d’avenir
Résultat : contrairement à son alternative en béton, la dépense énergétique « ultrabasse » – jusqu’à cinq fois moindre, dans un processus mesuré de son extraction à sa déconstruction – intéresse les collectivités et les conseils régionaux, qui se tournent vers cette alternative. Exemple dans le centre d’Aulnay-sous-Bois, où les rues piétonnes ont été refaites en pierre blanche, ainsi que leurs rambardes et leurs pavages. « L’attrait pour les matériaux bas carbone devient pressant », confirme Alban Praquin, le directeur général adjoint. « Ce marché ultraporteur nous pousse à nous agrandir », confie le patron.
Alors, pour continuer à honorer les demandes, une autre usine va voir le jour, un plan d’investissement de 15 millions sur trois ans, et la perspective d’embauche d’une vingtaine de salariés supplémentaires. Dans quelques mois, l’entreprise détiendra la plus grande capacité d’extraction de pierre blanche d’Europe. Une fierté française.
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