300 victimes, 60 avocats, deux ans de préparation et trois millions d’euros de coûts : voilà à quoi ressemble le « procès de l’année » : celui de Joël Le Scouarnec. Un dossier « très sensible », dixit le ministère de la Justice, car les victimes étaient toutes mineures au moment des faits. Pendant près de quatre mois, c’est l’ancienne faculté de la ville de Vannes, située à proximité du palais de justice, qui fournira des salles aux parties civiles, à la presse et au public. L’homme, déjà condamné, lors d’un procès à huis clos, à 15 ans de réclusion criminelle en décembre 2020 à Saintes (Charente-Maritime) pour viols et agressions sexuelles sur quatre mineures (ses deux nièces, une jeune patiente de l’hôpital de Loches, et sa voisine de six ans) risque dans ce nouvel épisode judiciaire jusqu’à 20 ans de prison.
Tout commence à Loches, en Indre-et-Loire. Joël Le Scouarnec exerce son métier de chirurgien pédiatrique à la clinique de La Fontaine. Là, il agresse sexuellement ou viole 29 patients âgés de deux à 22 ans entre 1983 et 1994. Des filles comme des garçons. Leur point commun ? Des victimes vulnérables, inconscientes, en salle de réveil ou en salle de soins, là où officie le médecin diabolique. Pour 11 de ces victimes, les faits sont hélas prescrits. Il continue ensuite sa carrière auprès d’enfants sans jamais être inquiété. Il exercera au total dans près de 12 établissements de l’ouest de la France.
En 2004, le FBI alerte les autorités françaises sur le fait que Joël Le Scouarnec fait partie d’un réseau pédopornographique. On retrouve notamment dans son ordinateur un très grand nombre d’images à caractère pédopornographique. En 2005, le chirurgien est condamné à une peine de prison avec sursis, mais personne ne l’empêche de pratiquer ni d’être en contact d’enfants. Il est même titularisé le 1er août 2006 au centre hospitalier de Quimperlé (Finistère). Le directeur de l’établissement et le conseil départemental de l’Ordre des médecins, pourtant au courant de la condamnation le visant, n’engagent aucune poursuite. Le praticien est même décrit à cette époque comme « sérieux et compétent ».
Un homme au champ libre
Comment cet homme a pu passer dans les mailles du filet pendant aussi longtemps ? Ceux qui le connaissent vous le diront, il ressemble à Monsieur Tout-le-monde. Un physique banal et une personnalité discrète, voire effacée. Son entourage professionnel décrit même un homme sympathique, avenant et cultivé. « Il était toujours prêt à discuter, à demander des nouvelles », raconte un ancien collègue. « C’était en un praticien très compétent », rajoute ce dernier.
Si Joël Le Scouarnec est aussi passé entre les mailles du filet pendant des années, c’est parce qu’il a été protégé. « Il a clairement fait l’objet d’une omerta familiale, avec sa femme qui savait qu’il était pédophile et une sœur qui était au courant qu’il touchait ses nièces et n’a pourtant pas bougé », explique Maître Francesca Satta, avocate de plusieurs victimes dans ce dossier. En effet, une de ses nièces raconte les agressions de « tonton Joël » dès 1999. Récit corroboré par la deuxième nièce. Pourtant, aucune plainte n’est déposée.
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Sa femme, dont il s’est séparé au début des années 2000, nie avoir été au courant de la vraie nature de l’homme. Elle évoque « l’homme double » et « la trahison d’un mari et d’un père ». C’est tout et c’est bien maigre : elle devra prouver cette ignorance devant la cour. « Il a profité de ce silence intra-familial puis de celui de son milieu professionnel, qui a su un temps pour les images pédophiles, mais qui n’a jamais notamment saisi l’Ordre des médecins », poursuit l’avocate. Pas de dénonciations, pas de poursuites, c’est aussi simple que cela.
Il faudra attendre 2017 pour avoir l’épilogue de cette sombre affaire. La jeune voisine de Joël Le Scouarnec alors âgée de six ans le dénonce. Elle l’accuse de viol et d’exhibition sexuelle. Le 2 mai, le médecin est interpellé. Alors âgé de 67 ans, il reconnaît l’agression sexuelle sur la fillette mais nie le viol, pourtant avéré par les expertises médicales. S’ensuivra la perquisition de son domicile à Jonzac (Charente-Maritime). Là, les policiers découvrent de nombreux carnets intimes du chirurgien. Ce qu’ils y lisent leur donne la nausée : une accumulation de récits pédophiles retranscrits méticuleusement dans des termes crus et sexuels. « Il faut savoir être patient et compter sur sa chance », décrit-il dans ces lignes tel un chasseur. Il raconte comment il attend que les enfants soient seuls, endormis ou anesthésiés dans le bloc opératoire pour ensuite agir.
Les enquêteurs découvrent à son domicile la véritable cachette d’un grand pervers
Les enquêteurs découvrent aussi à son domicile la véritable cachette d’un grand pervers. Joël Le Scouarnec collectionne des dizaines de poupées enfantines, des perruques, des godemichés et s’adonne à différents actes sexuels avec eux (pratiques zoophiles, scatophiles, sadomasochisme) … Il possède aussi des dizaines de milliers de photos pédopornographiques rassemblées dans un classeur vert. Au total, plus de 50 000 images et 5 000 vidéos violentes sont découvertes. Sont découverts également 299 fichiers informatiques pour chacune des victimes. Chaque fois y sont détaillés son âge, sa date de naissance, son adresse ainsi que la date et la nature de l’abus. Ces noms vont permettre aux autorités de se saisir enfin du cas Le Scouarnec et d’abattre un travail titanesque d’identification.
« Notre but, c’est que la vérité éclate »
Il est d’ailleurs impossible de nommer toutes ces victimes, tant elles sont nombreuses et leurs histoires différentes. Ainsi que leurs séquelles. Certains attendent ce procès depuis plus de trente années. D’autres se disent traumatisées par la violence de la procédure judiciaire, venue révéler des faits dont elles n’avaient aucun souvenir en raison de leur jeune âge et de leur niveau d’inconscience au moment des faits.
« Il y a un certain nombre d’enjeux dans ce procès. D’abord de libérer la parole, celles des victimes qui se sont tues un certain moment, de dire aussi ce que l’on a à dire par rapport à ce qu’il a fait subir aux victimes. Notre but, c’est que la vérité éclate. Cela permettra aussi de se reconstruire et de tourner peut-être la page. Le dernier enjeu est celui de l’indemnisation des victimes », explique Maître Francesca Satta.
Un nouveau Mazan ?
Bien entendu, la comparaison avec l’affaire Dominique Pelicot, qui a choqué la France entière fin 2024, est tentante. Il existe d’ailleurs de légères similitudes entre les deux dossiers. La durée du procès déjà. Quatre mois. Des audiences hors normes avec de nombreux protagonistes. Comme dans le Vaucluse. Les victimes aussi : endormies et évidemment, non consentantes. Il sera question dans le dossier Le Scouarnec comme dans le dossier Pelicot de soumission et de violences inconscientes.
Autre point commun : deux accusés qui conservent des traces précises de leurs méfaits. Des vidéos dans l’affaire de Mazan, des carnets dans le procès de l’ancien chirurgien pédophile. Voilà où s’arrête la comparaison. « Ce sont deux dossiers tout à fait singuliers », déclare Maître Satta. « Notre affaire concerne des enfants mineurs qui ont été agressés sexuellement ou violés par Joël Le Scouarnec pendant l’exercice de sa profession, alors que le dossier Mazan concernait des adultes. Nous sommes dans des milieux hospitaliers, avec des enfants qui se sont fait abuser à leur réveil ou après leur réveil. Ne mélangeons pas tout », ajoute-t-elle. Elle et ses clients espèrent obtenir des explications et des aveux de la part septuagénaire lors de ce procès tentaculaire. Début des audiences lundi 24 février à Vannes.
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