Toi aussi, mon fils ! C’est une passation en douceur que vivent Jean-René Menier et son fils Matthieu, en plein cœur de la Bretagne. Après une première vie professionnelle dans l’informatique, Jean-René a repris l’exploitation familiale de Mauron, à 60 kilomètres de Rennes, il y a vingt-six ans. C’était juste avant la naissance de Matthieu, qui a rejoint depuis deux ans son père pour travailler à ses côtés, comme salarié pour commencer.
Avec la perspective d’une reprise filiale dans quelques années, la ferme s’est reconfigurée, explique Jean-René, qui a saisi l’opportunité d’un agrandissement avec des terres voisines. « Mon choix a donné un second souffle à mon père », se souvient Matthieu. L’exploitation familiale s’étend aujourd’hui sur 260 hectares : des céréales, blé, orge, colza, mais aussi des légumes, petits pois, haricots, navets… une diversification requise pour être « moins tributaire des crises », explique le paternel, qui était réticent à travailler seul : « Nous avons fait le choix d’avoir du personnel plutôt que des plus grosses machines. »
Le choix du fils s’est dessiné au lycée : après un bac S et un BTS agricole complété d’une licence en commerce agroalimentaire, des premières expériences professionnelles et un passage à l’étranger, il est revenu au bercail. Il a même décidé de s’installer à la campagne, alors qu’il a grandi à Rennes. « On fait toujours différemment de ses parents, s’amuse-t-il. J’étais un urbain qui met facilement des bottes ! »
Le père comme le fils illustrent l’évolution des vocations : les agriculteurs d’aujourd’hui vont souvent voir ailleurs et ceux qui reviennent dans le sillon familial le font par choix. La pression familiale n’existe plus tellement, estime Matthieu, le futur repreneur : « Je le vois autour de moi, c’est surtout un métier passion, certains ont peut-être plus que d’autres un poids sur les épaules, mais ils se le mettent surtout eux-mêmes ! » Les jeunes exploitants sont aussi plus diplômés : « Le niveau de formation ne fait qu’augmenter, observe Jean-René. Il est normal qu’ils aient d’autres attentes, leurs conjoints aussi… »
Même si c’est un métier où l’on ne compte pas ses heures, le besoin d’équilibre personnel et familial est différent : les vacances, par exemple, inconcevables autrefois, sont vitales pour beaucoup aujourd’hui, et les solutions de remplacement se développent… pour ceux qui peuvent en assumer le coût. Autant d’évolutions qui rendent nécessaire une « revalorisation de l’ensemble du métier d’agriculteur, juge Jean-René. Il est pris dans l’étau entre les exigences de la société et la capacité à rémunérer… Mais on a besoin de producteurs en France, toute l’alimentation ne viendra pas du Mercosur, des États-Unis ou d’Ukraine ! »
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« Je le vois autour de moi, c’est surtout un métier passion ! »
Aller chercher les jeunes
Toutes les transitions ne sont pas aussi heureuses ; les repreneurs manquent parfois à l’appel. L’intendance suivra, estime Jean-René, qui ne la néglige pas mais est convaincu que « l’enjeu numéro un, c’est de donner l’envie, l’envie d’avoir envie ! Le reste, c’est de la mécanique, comme la loi d’orientation agricole ». Longtemps différée, votée au Sénat, elle doit favoriser le renouvellement des générations et prévoit notamment un « guichet unique » pour la transmission. Pour Julien Rouger, vice-président du syndicat des Jeunes Agriculteurs (JA), « avoir un espace de travail qui centralise toutes les démarches et les acteurs est une avancée ». Les sénateurs ont aussi introduit une « aide au passage de relais ».
Julien Rouger espère encore « une vraie réforme du foncier » plus tard mais les « JA » saluent déjà les mesures qui se dessinent. Le projet de loi prévoit également d’instaurer un nouveau diplôme national de niveau bac + 3 et d’accentuer la communication autour des métiers agricoles dans les établissements scolaires. Aller chercher les jeunes là où ils sont est un impératif, pour Matthieu, ambassadeur enthousiaste avec « Passion Céréales » : l’interprofession des céréaliers (Intercéréales) organise d’ailleurs un « live » lundi 24 février depuis le Salon de l’agriculture, diffusé sur la plateforme Twitch, prisée des ados et jeunes adultes, avec l’animateur Samuel Étienne.
Matthieu tient à ces rendez-vous qui permettent d’exposer les réalités d’aujourd’hui : « On me dit souvent “Ah oui, mes grands-parents…” alors que le métier n’a plus rien à voir ! Mais c’est un capital sympathie sur lequel on peut s’appuyer, surfer pour expliquer les marchés mondialisés, les tensions économiques… Montrer qu’on n’a pas perdu l’âme de l’agriculture que vous avez connue, mais que l’agriculture d’aujourd’hui, c’est aussi la gestion des ressources humaines, la technologie, bientôt l’IA… Au Salon, j’aime expliquer aux jeunes qui viennent voir la moissonneuse-batteuse qu’il y a plein de métiers différents qui leur sont ouverts ! »
Une diversité inédite
« On veut attirer toujours plus de monde. Il y a des places à prendre, il n’y en a jamais eu autant ! », abonde Julien Rouger pour les JA, attentifs à l’accueil de profils « non issus du monde agricole » : « Ils sont importants, c’est une partie du socle de demain ! Il faut encore nous améliorer pour guider ceux qui arrivent avec une idée, un souhait… » Le vice-président du syndicat ne cache pas que le mouvement de colère a logiquement entraîné une régression du nombre d’aspirants au métier, variable selon les filières, mais veut relancer une dynamique positive, en s’appuyant sur « la grande diversité de profils et de projets, bien supérieure à celle qu’on avait il y a dix ans ! »
Chez les Bretons, Jean-René a participé à l’organisation des manifestations l’an dernier, avec son fils Matthieu qui assure que « ces mouvements de levée de la paysannerie, du monde agricole, ne sont pas incompatibles avec le fait de donner envie aux jeunes de s’y lancer ! Ils ont montré aussi que c’est un métier de passion, d’engagement, d’entraide, de liens tissés… » Pour le toucher du doigt, rendez-vous porte de Versailles, dans le hall 2 pour les céréaliers, mais aussi dans tous les autres pavillons où fourmilleront des filières et professions bien en vie, et bien décidées à montrer, comme Jean-René, qu’on peut « bien vivre ce métier, mais aussi bien en vivre ». Et donner bien envie !
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