Il semble déjà loin le temps du dernier bureau politique, où les cadres du parti promettaient qu’il n’y aurait pas de guerre des chefs. Douze jours plus tard, et sans aucune surprise, deux candidats se sont déclarés pour prendre la tête du parti : Laurent Wauquiez et Bruno Retailleau.
Les deux camps vantent une campagne sans attaque personnelle, mais le naturel revenant vite au galop, les tacles ont rapidement fusé. Dès l’annonce de la candidature du ministre de l’Intérieur, l’entourage du chef des députés LR dégaine, dénonçant « la lourde responsabilité d’ouvrir une guerre des chefs qui va diviser le parti ».
La raison de cette colère ? Un accord qui aurait existé entre les deux hommes pour se partager les postes : Retailleau au gouvernement, Wauquiez au parti. « Un deal que Laurent a dû passer avec lui-même » ironise un proche du ministre.Dans l’entourage du député, on reconnaît « un sentiment de trahison », « un tournant dans leur relation ». Laurent Wauquiez ne tiendrait pas rigueur à son adversaire d’avoir changé d’avis, « mais qu’il ne le reconnaisse pas, quelle tristesse », remarque la même source.
Pourtant, les deux hommes sont d’accord sur un point : ils ne veulent pas de guerre des chefs. Lors d’un nouveau bureau politique, ce lundi 17 février, Laurent Wauquiez dit à son adversaire : « Je ne suis pas candidat contre toi ». À la sortie, Bruno Retailleau affirme « qu’il faut être deux combattants pour la guerre » et qu’il ne compte pas être l’un d’entre eux.
Les deux hommes sont d’accord sur un point : ils ne veulent pas de guerre des chefs
Les arguments sont bien rodés des deux côtés. Bruno Retailleau veut s’appuyer sur son bilan à Beauvau. Le camp Wauquiez lui répond, tranchant : « Quel bilan ? Cela va vite se voir, qu’il parle beaucoup mais que les actes ne suivent pas ». Un député abonde dans ce sens : « Il dit qu’il fera à LR ce qu’il a fait à son ministère. C’est-à-dire : rien ? Échec sur l’Algérie, pas de loi immigration, rien sur l’AME… »
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Un fidèle du président du groupe à l’Assemblée pointe l’incompatibilité des deux fonctions : « L’Intérieur doit être sa priorité, je ne vois pas comment il peut mener les deux de fronts. Il ne peut pas être ministre à temps partiel ». Un autre ajoute : « Après Grenoble, Elias, et Louise, comment comprendre que celui qui est censé protéger les Français fasse le tour des fédérations ? C’est inadmissible ! ».
« Un ministre de l’Intérieur n’a pas de temps libre », assène Wauquiez
Droit dans ses bottes, le premier flic de France expliquait dimanche, lors du Grand rendez-vous Cnews-Europe1-Les Échos, qu’il ferait campagne « sur son temps libre ». Laurent Wauquiez en remet une couche en arrivant à la réunion. Il affirme qu’il n’a pas voulu cette guerre, qu’il voulait l’union, tout en précisant, quand on l’interroge, qu’« un ministre de l’Intérieur n’a pas de temps libre ». Le ministre l’évoque lors de la réunion : « Je suis ministre de l’Intérieur et je le resterai jusqu’au bout ».
Son entourage trouve cet argument de l’incompatibilité « ridicule, débile, cela décrédibilise Laurent ». Au contraire, ils vantent leur champion comme « un politique qui a une vision, un chef, pas juste un gestionnaire – on a vu ce que cela avait donné avec Christian Jacob ». Surtout, ils estiment que la position de ministre de l’Intérieur est précisément ce que cherchent les militants : « La droite n’a jamais été aussi forte que quand les patrons de parti étaient au pouvoir », insistent-ils.
Ils inversent l’accusation : « Laurent n’a que 10 % de taux de vote à l’Assemblée, il ne sait pas déléguer ». Relativisant, ils ajoutent : « Quand une grenade est jetée quelque part, ce n’est pas le ministre qui court après les méchants ». Une ministre se dit d’ailleurs « fascinée » de la manière dont son collègue au gouvernement « a pris la lumière » : « Tout le monde le découvre, mais rien de lui n’a changé hormis son statut de ministre ».
Un ancien député observe la situation : « Bruno joue sa carte et devrait normalement gagner. Laurent va jouer du mythe “Balladur/Chirac” pour inverser la machine en faisant appel au “parti profond” ».
Wauquiez, trop longtemps en retrait ?
De l’autre côté, celui qui se voyait jusque-là comme le candidat naturel, Laurent Wauquiez, veut mettre en avant son investissement pour le parti. Il a travaillé à la refondation, il a sondé les militants, il doit donc mener ce travail au bout. Mais ses camarades l’ont souvent trouvé trop en retrait, trop discret, pas assez « utile » au parti.
Les critiques sont balayées d’un revers de main par son équipe : « Ce sont des petits barons qui veulent régler leurs comptes avec Laurent, et Bruno est juste leur objet ». Surtout, selon son entourage, « il veut profiter des trois mois à venir pour faire la campagne que Bruno ne pourra pas faire. Il va aller voir les adhérents un par un ».
Selon l’un de ces « barons », Laurent Wauquiez tente de déplacer le débat sur le terrain des différences de fond, de liberté de ton, « car il ne veut pas un choix d’incarnation où il perd ». « Bosser avec Bruno c’est confort, Laurent gagne plutôt à ne pas être connu », lance-t-il acerbe. Et d’ajouter : « Le vrai problème (de Laurent Wauquiez, NDLR), c’est qu’il sème la terreur et récolte la solitude ».
Brice Hortefeux joue l’optimisme : « L’enjeu est de transformer une potentielle guerre fratricide des chefs en une compétition mobilisatrice gagnante »,dit-il au JDD, en reconnaissant « que ce n’est pas facile ». Jean-François Copé, questionné sur la guerre des chefs, rigole : « Cela me rappelle des souvenirs, le temps où les chanteurs avaient de la voix », faisant référence à la guerre qui l’avait opposé à François Fillon.
Une partie des cadres est déjà lassée du spectacle
Les intimes des deux hommes profitent du moment pour sortir les boules puantes : « Mais attention aux entourages, comme à chaque fois », nuance un bon connaisseur des rouages du parti. Une partie des cadres est déjà lassée du spectacle : « Il faut rester loin de tout ça pour le moment », dit un député. « Je n’ai pas envie d’assister à un suicide collectif », ajoute un autre.
Un Congrès pour désigner le patron en mai
La suite se prépare, enfin : le Congrès pour désigner le patron du parti aura lieu les 17 et 18 mai. Bruno Retailleau aurait voulu aller plus vite, mais les règles du parti prévoient un délai de 90 jours pour l’organisation de cet évènement. « Le calendrier va donc dans le sens qu’on souhaitait », souligne un proche de Laurent Wauquiez. Un Congrès « dématérialisé » pour « éviter les frais ». En revanche, la question du changement de nom n’est pas tranchée, ce sera au futur président d’en décider.
« Le match n’est pas plié, une élection n’est jamais jouée »
À l’issue de la réunion, Laurent Wauquiez ne s’attarde pas devant la presse. Bruno Retailleau, lui, est appelé avec insistance par la presse, tenue à l’extérieur des portes vitrées de la maison de la Chimie. Les journalistes font des signes, tapent sur les vitres et le ministre ne boude pas son plaisir de venir s’exprimer. Il salue l’organisation du Congrès, dans les règles des statuts du parti, et rappelle qu’il est à « 150 % de sa tâche de ministre ». Un soutien de Retailleau se veut cependant prudent : « Le match n’est pas plié, une élection n’est jamais jouée, le corps électoral va être très réduit ».
Si les deux candidats souhaitent décorréler cette élection de 2027, personne n’y croit vraiment. Julien Aubert remarque que « l’élection se fera moins sur le parti que sur la capacité à gagner une présidentielle. C’est ça qui est contradictoire avec le fait que les deux candidats affirment régler le problème de la désignation du candidat après ». Même son de cloche chez un député : « Retailleau est candidat pour satisfaire une ambition personnelle. Il n’a aucun projet pour LR sauf de préparer sa candidature pour 2027 ».
Aller trop vite en besogne serait oublier que d’autres candidats sont déjà sur la ligne de départ, comme Xavier Bertrand ou David Lisnard. « Unir le parti pour ce Congrès, oui, avoir la garantie d’être candidat en 2027, c’est une autre paire de manches », tranche un cadre du parti.
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